Autour d’un thé (23/03/2012)

(Sneïba. Crédit photo : Sneïba)

Incontournable. Partout, dans les salons, taxis, les bureaux, à la maison, au marché. Les « intellects », les mauritaniens lambdas, les spécialistes de la politique de tout bord, hommes et femmes, volatiles et chameaux, ne parlaient que du « très très important discours prononcé devant les populations de Nouadhibou par le Président des pauvres, le Bâtisseur, le Sauveur » pour reprendre les expressions de la TVM et de la radio.

Forcément. La vedette médiatique venait d’être subtilisée, avec un éclat mémorable, par cette marche du lundi 12 mars qui avait rassemblé des dizaines de milliers de gens, malgré les distributions gratuites, dans les boutiques de solidarité, de quantités de dattes et de poisson. Une marche de « vieillards incapables de se tenir debout », de « barbus menteurs », d’ « anciens voleurs », reconvertis en anges après que le Sauveur les a privés de leurs privilèges : « eau, électricité et voitures à la charge de l’Etat ». Le discours du Raïs ne pouvait être que saignant, à la mesure du choc que celui-ci avait pris la veille. Le meilleur commentaire que j’ai entendu sur cet échange de propos peu courtois entre l’opposition et le Président est celui d’un ami de la majorité pour qui « Si d’anciens hauts responsables de la vieille école, dont certains ont participé à la pose des premiers jalons de ce pays, profèrent des mots parfois grossiers, rien n’empêche un jeune boy nar d’à peine 53 ans, rompu à la discipline militaire avec plus de vingt ans de subordination, de lâcher, à son tour, toutes sortes d’insanités ». De toutes les indélicatesses et maladresses que son Excellence a étalées, dans une colère inégalée, significatrice de l’émoi ressenti la veille, je n’ai retenu, moi, que le fait que le Président ne ment pas. Pourtant, il n’a pas de barbe. Contrairement aux barbus qui mentent. La barbe et le mensonge ne devraient pas faire bon ménage, selon le Président. Selon la logique, libre, aux « raseurs » et aux imberbes, de mentir à leur guise. Pas les barbus. C’est d’autant plus simple que notre Raïs prend soin de se raser, de près, tous les matins : ça ouvre des perspectives…
Ou bien renversement total des traditions. Les ministres ne volent plus. La preuve. Tous font la queue à la SOMELEC et à la SNDE, pour payer leurs factures d’eau et d’électricité. Poursuivons la logique du Président jusqu’au bout : Tous les opposants de la COD sans barbe peuvent venir rejoindre le Président, dans le camp des imberbes diseurs de vérité. Et tous les barbus du gouvernement et de la majorité devraient aller adhérer à l’opposition, pour agrandir le camp des barbus menteurs. Ainsi, on aura, d’un côté, les sans barbes, pour construire le pays dans l’honnêteté et, de l’autre, des « Borom Sikkim » (Gens de barbe, en wolof) symbole du mensonge et de la malveillance. La date du discours de Nouadhibou faisant foi : c’est-à-dire que tous ceux qui, au moment du discours, avaient poil au moment seront considérés comme barbus, même s’ils s’empressent à les raser et tous les autres seront considérés comme imberbes, même s’ils se précipitent à les laisser pousser. Cette trouvaille vient un peu en retard. Elle aurait révolutionné le monde arabe et lui aurait épargné son Printemps. Je m’explique : Si les Tunisiens, les Egyptiens et les Libyens, dont les Présidents, le fuyard Ben Ali, le défunt Kadhafi et le prisonnier Moubarak étaient plus ou moins bien rasés, au temps de leur gloire, si ces trois peuples savaient que leurs leaders ne sauraient mentir puisqu’ils étaient sans barbe, ils les auraient épargnés et cru en toutes leurs promesses, y compris les plus tardives. Les révolutions arabes n’auraient pas eu lieu et les menteurs et vieillards essoufflés de la COD, auxquels sont venus s’ajouter un groupe d’anciens hauts officiers encombrants, n’auraient eu aucune référence où se renvoyer, chaque fois que les « tasses se bousculent ». Entre la falsification, l’infidélité et le mensonge, la ligne est très ténue. C’est juste une question de nuance. Les promesses électorales, c’est connu mondialement, n’engagent que ceux qui y croient. Leur irrespect n’est la preuve d’un quelconque mensonge. Inutile de s’y attarder. Aucun dictionnaire au monde n’explique « coup d’Etat » par « rectification ». Ce n’est pas un mensonge, c’est une stratégie. Et, pour être logique avec lui-même, Aziz s’est rectifié, à Nouadhibou, en reconnaissant avoir conduit deux coups d’Etat. Ça a une autre gueule, évidemment, qu’un seul et une rébellion. Les marchés de gré à gré avec la forme, sous Aziz, ne sont pas comme les marchés de gré à gré, avec les autres. D’ailleurs, selon une sortie ridicule de la majorité, ceux du Président Aziz auraient suivi. Le tripatouillage de la Constitution, ce n’est pas un mensonge. C’est une « mise à niveau institutionnelle ». Le Président ne ment pas, il nuance. C’est cela, le privilège du rasoir…

Sneïba

Source  :  Le Calame le 23/03/2012

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