Portrait : Chehida Mint M’Boyrick, jeune, mauritanienne et directrice à Paris

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Dans le marasme social et professionnel que la Mauritanie connaît depuis des années, les exemples ne sont pas pléthore, la faute à l’étouffement des vraies compétences. À l’extérieur, ces exemples foisonnent, s’épanouissent au gré des compétences acquises. Chehida Mint Boyrik est l’un de ces exemples, une de ces fiertés rassurantes mauritaniennes. Rencontre parisienne.

Cette jeune trentenaire vivant à Paris est aujourd’hui directrice d’une agence de BNP PARIBAS. «C’est une agence en gestation depuis trois semaines, et qui ouvrira en mai prochain; elle sera entièrement dédiée à l’international, avec des comptes de clients vivant à l’extérieur de l’Hexagone» confie souriante la jeune femme habillée de mauve, sa couleur. Une agence qui devrait gérer un portefeuille d’une demi-douzaine de milliers de clients. Une grosse nouvelle responsabilité pour l’ancienne conseillère en clientèle à la même banque, et l’ancienne employée d’une société américaine d’exploitation de logiciels, Extended Sytems.

Après un Bac S obtenu à Nouakchott, la stéphanoise s’envole vers Evry, en banlieue française, dans le 91, où elle passe son DEUG d’éco-gestion, enchaînant avec une licence, puis une maîtrise en analyses d’économie politique, avant de clore son chapitre estudiantin avec un Master en affaires internationales dans une école de commerce.

«De plus en plus, les entreprises apprécient particulièrement les parcours universitaires, suivis d’un passage dans une école de commerce. C’est un gage d’indépendance et d’autonomie pour elles; l’assurance d’une personnalité bien structurée. Ça tape dans l’œil des recruteurs» avance Chehida.

Elle et la Mauritanie

«J’ai failli rentrer après mes études, mais quand j’observe ce qui se passe au pays, ça décourage» déplore la directrice. «Les mentalités, le système, tout stagne» soutient avec une grimace Chehida, qui est persuadée que tous les mauritaniens veulent rentrer chez eux, y travailler, y prospérer, participer à l’évolution du pays. «Mais on appréhende tous aussi l’instabilité qui y perdure. Personne, quelle que soit sa valeur professionnelle et personnelle, ne peut espérer réussir en Mauritanie sans l’appui d’une puissante famille, de connaissances aux bras longs. C’est une triste réalité qui fait que le pays stagne toujours, car les énergies créatrices ne sont pas libérées» remarque-t-elle.

Le système social mauritanien n’est pas en reste dans les critiques de Chehida Mint Boyrik. Comme la place de la femme, à ses yeux par trop idéalisée. «Il est incontestable que la femme mauritanienne est forte, un pilier de son foyer, mais ça ne peut plus suffire, car quelle est la réelle valeur ajoutée sociale d’un tel statut, objectivement?» s’interroge Chehida en touillant sa tasse de thé.

Le marasme ambiant se retrouve dans les sociétés elles-mêmes, mêmes celles étrangères qui s’installent, et s’adaptent à certaines façons de faire «illogiques», qu’elle découvre en postulant à l’une d’elles.

«J’ai postulé à la BNP, en même temps à Paris qu’à Nouakchott. Et au final, mes compétences ont nettement été plus appréciées, et comptabilisées dans l’entretien, que mes origines, ou ma nationalité sur laquelle mon interlocuteur a beaucoup insisté, comme cela a été le cas à Nouakchott, et où vous découvrez qu’à compétences égales, un local est largement moins considéré et payé qu’un expatrié. Le respect des employés et des futurs potentiels employés n’existent pas» critique la trentenaire, pensive.

Pourtant elle aurait pu travailler dans l’entreprise familiale à succès, dans la pêche, à Nouadhibou. «Mais je n’aime pas le poisson et on doit tous pouvoir espérer vivre et s’épanouir dans le travail et la carrière de notre choix» dit-elle de façon péremptoire. «Et puis, il sont bien contents aujourd’hui, pour des conseils utiles, d’avoir une banquière dans la famille» lâche-t-elle en riant.

Le système de passe-droits, «bien pire» selon elle que la plus importante des corruptions, qui règne en Mauritanie ne peut pas «satisfaire n’importe quel individu épris de méritocratie». «Le passe-droits, c’est le privilège donné par le système à des individus, et une minorité, de passer sur les autres. Littéralement souvent. Du coup, les documents n’ont aucune valeur. Vous ne pouvez vous fier l’esprit tranquille au travail d’une vie qui peut vous être arraché à n’importe quel moment par ce système de passe-droits, qui enlève toute crédibilité à la plupart des institutions» soupire désolée mais lucide, la directrice d’agence.

 

La famille et une grand-mère comme modèles

Passionnée de cuisines du monde, Chehida tient cet amour de sa grand-mère, récemment décédée. «Mon exemple! C’est elle qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui. C’était une force de caractère, une tolérance et une joie hors du commun» se remémore Chehida. «C’est la lumière que j’ai placée devant moi».

Dans le même temps, ses parents, « particulièrement ouverts d’esprit pour leur génération » ne l’ont jamais limitée dans ses choix. « Ma mère m’a toujours dit, tu fais ce que tu veux de ta vie, mais tu assumes. Du coup, avec une telle exhortation, on réfléchit à deux fois avant tout choix tout acte, surtout quand on est loin d’eux » explique Chehida Bent Abdallahi Ould El Mamy Ould M’Boyrick, de son nom complet.

Métisse de plusieurs cultures, et plusieurs communautés, bambaras, marocaines, maures, wolofs, et bien d’autres, Chehida a fusionné celles-ci et les arborent comme identité, telle que sa grand-mère, affectueusement appelée «Yaye» (mère en wolof et pulaar) l’avait fait, avec ce tatouage bambara (Djamou-ndlr), sur le menton, pour montrer malgré sa blancheur, la présence et la profondeur de ses origines ouest africaines.

Une multiplicité de facettes culturelles, de rencontres, qui l’incite comme sa grand-mère à ne pas juger, et à nouer facilement contact. Cette ouverture d’esprit a incité beaucoup de ses rencontres à réévaluer leur vision de l’islam, des musulmans. «C’est une de mes fiertés : à mon niveau d’avoir montré à travers mes rencontres, une autre face de l’islam, que l’on évoque pas particulièrement souvent en France» estime la jeune femme d’un sourire large. Un large sourire empreint de détermination et que tous ceux qui la connaissent, soulignent.

Débuts parisiens à Evry

Une détermination et une soif d’apprendre, qui ne pouvaient résolument pas lui faire suivre le chemin le plus facile. «J’ai un métabolisme inversé; de la même façon peut-être je raisonne de façon inverse. Par exemple j’ai choisi Paris car c’est une ville que je n’aimais pas du tout, et j’étais persuadée que dans ce contexte je me donnerais à fond dans les challenges que je me fixais alors» s’amuse Mint Boyrik.

En arrivant à Evry, elle découvre la chorale et s’y prête corps et âme pendant neuf ans, à la mairie de cette ville du 91 en Ile-de-France, avec des enfants de tous horizons. «L’argent qu’on gagnait avec cette chorale servait à donner des cours, à des enfants en difficulté» lâche laconiquement la jeune femme, discrète et peu loquace sur ses bonnes actions, qui se souvient tout de même de ses débuts à l’université d’Evry.

«Quand je suis arrivée en 2000, nous étions deux mauritaniennes seulement sur tous le campus, et nous avons vite été remarquées par le recteur de l’université qui nous a recommandé pour cette chorale, espérant faciliter notre intégration» explique Chehida (martyr en arabe- ndlr). Elle rencontrera dans cette parenthèse musicale et sociale Manuel Valls, maire d’Evry et aussi aujourd’hui, porte-parole du candidat à l’élection présidentielle française, François Hollande. «Un homme agréable, qui pouvait comprendre notre situation, car étant lui-même étranger, d’origine espagnole» glisse la jeune femme de Nouadhibou.

Ces rencontres positives l’ont confortée dans la conviction et dans son éducation séculaire, fortement liée au respect des aînés. «Qui n’existe plus ici en France» soupire la bambaro-mauro-berbero-wolof. «Et les gens sont agréablement surpris quand ils sont confrontés à des personnes respectueuses de leur expérience plus ancienne» continue-t-elle en terminant le fond de son thé. «Mais ce sont ces choses qui nous rappellent aussi, qu’où que l’on aille, on ne doit jamais oublier qui on est, et d’où on vient. Cela, Yaye l’a imprimée en lettres d’or dans ma tête. Je sais quelles sont les richesses de mes origines» conclut-elle avec un large sourire. Une grande dame déjà.

Mamoudou Lamine Kane

Source  :  Noor Info le 04/03/2012

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