Yahya Ould Ahmed El Waghf, president du parti ADIL :

‘’Il n’est pas possible d’organiser des élections transparentes, en l’absence d’acteurs aussi importants que ceux qui se considèrent, aujourd’hui, hors du jeu’’.

– Votre parti, ADIL vient d’organiser une conférence-débat sur le thème: «Où va la Mauritanie?». Pourquoi, en ce moment, et quelle réponse avez-vous proposée?
– Au parti, nous avons estimé politiquement malsaine la situation actuelle du pays, au vu de la dégradation sensible du débat. Une part importante de l’opposition ne participe pas au dialogue politique, en considèrent les résultats inaptes à garantir le consensus attendu et remet en cause la légalité des institutions législatives. Tout cela au moment où nous espérions, au niveau d’Adil, que les choses s’améliorent et qu’on allait aboutir à un arrangement permettant d’organiser des élections consensuelles et transparentes. C’est dans cette situation que nous avons décidé d’organiser ledit colloque. Nous y avons convié tous les partis politiques mais, également, des intellectuels et des leaders de la société civile, pour lancer un vrai débat autour de cette question. Evidement, nul ne peut proposer, aujourd’hui, de réponse claire et précise à celle-ci. Où va la Mauritanie? Nous souhaitons tous, bien entendu, que la Nation s’oriente vers l’édification de la démocratie, le développement, la stabilité et la prospérité, mais chacun a son point de vue sur les voies et les moyens d’y parvenir. Le parti ADIL souhaite que la Mauritanie s’oriente vers la meilleure trajectoire possible pour réaliser les ambitions de nos citoyens.
Notre proposition part d’un constat: nous avons déjà franchi une grande étape, lors du dialogue politique de l’automne dernier, même s’il fut partiel et que ses résultats ont été considérés insuffisants, par une partie de l’opposition. Nous estimons, pour notre part, qu’il a abouti à une réforme de notre code électoral, réforme qui peut permettre, il faut le reconnaître, de mettre fin au monopole du pouvoir par un parti, à travers l’élargissement de la proportionnelle, l’élimination des listes indépendantes et le nomadisme politique. Ce sont des avancées considérables. Mais, il faut le dire aussi, cela n’est pas l’avis de tout le monde. Certains pensent que des points, importants, n’ont pas été approfondis, à savoir la séparation des pouvoirs, la nature même du pouvoir, la répartition des responsabilités, au niveau de l’exécutif, le rôle du Parlement, etc. Quoiqu’il reste à accomplir, les résultats actuels sont une excellente base pour parfaire notre système électoral, et avancer, donc, plus rapidement et plus sûrement, vers la démocratie que nous appelons, tous, de nos vœux. Mais il n’est pas possible d’organiser des élections transparentes, en l’absence d’acteurs aussi importants que ceux qui se considèrent, aujourd’hui, hors du jeu. C’est pourquoi nous avons dit et nous le répétons, tout en reconnaissant les avancées, significatives, du dialogue: il faut, encore, produire des efforts, aussi bien du côté de l’opposition que de celui du pouvoir, pour renouer le contact et examiner comment organiser des élections auxquelles tout le monde puisse participer. Tout boycott ne manquera pas de les ternir, en nous ramenant vingt ans en arrière. L’expérience de 1992 nous a montré que si l’opposition ne participe pas aux élections, on ne pourra nullement avancer vers une démocratie véritable.

– Comment évaluez-vous, plus précisément, le résultat du dialogue politique entre le pouvoir et quatre partis de l’opposition? Le début de sa mise en œuvre vous parait-il satisfaisant?
– Comme je l’ai dit à l’instant, je considère que le dialogue a abouti à des résultats concrets importants, particulièrement au niveau du système électoral. Même au sein de l’opposition qui n’a pas participé au dialogue, plusieurs personnes pensent la même chose. Outre le système électoral et le nomadisme politique, il y a, également, le rôle des partis politiques, leur capacité accrue à se construire de manière progressive. Bien évidemment, ça ne s’érige pas en un jour, la démocratie ne peut s’édifier et se consolider que de façon cumulative. Mais un pas, décisif, est franchi. Il était nécessaire. Est-il suffisant? Ce n’est pas l’avis de tout le monde. Il y a certains qui pensent que c’est bon, il y en a d’autres qui le trouvent encore insuffisant. Je pense qu’il ne faut pas se lasser, il faut continuer à discuter, pour voir comment rendre cet acquis acceptable par tout le monde, pour s’assurer que les élections vers lesquelles nous nous dirigeons vont se dérouler dans un esprit de consensus et de transparence, et faire de sorte que tout le monde y participe. Il faut agir en ce sens, le plus rapidement possible. Quant à la mise en œuvre des conclusions, il y a eu débat, tout le monde y a participé, de façon active, mais, à un certain moment, le champ de ce dialogue s’est rétréci. Les partis qui ont travaillé à l’output n’ont pas bénéficié, ensuite, du même niveau d’information. Quand il s’est agi de mettre les conclusions en œuvre, les institutions ordonnées à cet effet n’ont pas été pleinement mises à contribution.

– Vous faites allusion aux commissions?
– Tout à fait. Du coup, les conclusions de l’accord n’ont été mises en œuvre que dans un cercle très réduit. Cela n’est certes pas un bon signe. Il n’empêche que le résultat présenté au Parlement, même s’il y a des problèmes au niveau de la démarche, respecte les grandes lignes de l’accord signé.

– Dans une récente déclaration à la presse, vous avez laissé entendre que votre participation à la majorité présidentielle s’essouffle. Faut-il entendre que vous regrettez avoir quitté l’opposition? Que le pouvoir n’a pas respecté les termes de l’accord que vous avez signé avec lui?
– Non, nous ne regrettons pas du tout d’avoir signé un accord avec le pouvoir, parce que comme je viens de le dire, le dialogue dont nous parlons, aujourd’hui, entre une partie de l’opposition et le pouvoir, a repris, dans leur intégralité, les thèmes de la plateforme qu’ADIL avait déposée en 2010. Toutes les réformes proposées, par l’accord politique issu du dialogue, ont été discutées, en amont, entre ADIL et la majorité. Tant au niveau du système électoral que de celui de la gouvernance, y compris l’équilibre entre les différents pouvoirs et en leur sein même, tout cela figurait dans l’accord entre la majorité présidentielle et ADIL. Nous nous félicitons d’avoir été les premiers à avoir senti la nécessité du dialogue. Nous l’avons dit, et nous œuvrions pour que cela puisse avoir lieu rapidement. Mais nous étions conscients que cela n’était pas encore mûr, dans les esprits. Tous les partis n’étaient pas au même niveau de compréhension et de conviction, quant à cette nécessité. C’est pourquoi avons-nous engagé, unilatéralement, le dialogue avec le pouvoir et avons signé un accord politique. C’était une première. Pour la première fois, en effet, le pouvoir négociait, ouvertement, de façon publique, avec un parti de l’opposition et signait, avec lui, un accord avec, pour seul objectif, la mise en place de réformes politiques. Il n‘a jamais été prévu, dans cet arrangement, la moindre faveur gouvernementale ni quelque avantage que ce soit. Malheureusement, la majorité n’avait pas, à ce moment, compris l’urgence et la nécessité de ces réformes, elle a mis du temps à le comprendre. Une année entière pour initier la même démarche avec une partie de l’opposition et à adopter une partie des réformes que nous espérions. Nous pensons que si la majorité avait compris, comme nous, la nécessité d’entreprendre les réformes convenues dans notre accord, fin 2010, nous n’aurions pas perdu tout ce temps précieux. Acceptées en 2010, mises en œuvre en 2011, ces réformes auraient permis d’organiser les élections dans les délais, au lieu de se retrouver dans une situation confuse que les différents acteurs interprètent chacun à sa manière et qui est loin d’être anodine. Nous regrettons, vraiment, que les gens aient si peu anticipé les évènements pour comprendre que le dialogue était nécessaire et qu’il fallait, par conséquent, mettre en œuvre les réformes très rapidement. Mais il n’est jamais trop tard ; aujourd’hui, des réformes, utiles, nous le pensons, sont en cours d’ouvrage et c’est bien. Il faut, à présent, poursuivre le dialogue, afin d’obtenir un large consensus, pour organiser des élections transparentes, avec la participation de tout le monde. L’avenir de notre démocratie en dépend. On a, sans doute, besoin d’être assuré que ces réformes vont se traduire en actes. C’est important et l’un des points fondamentaux de l’accord. Certains vous disent: «nous n’avons pas de problèmes par rapport à ces réformes-là, mais nous doutons de la correction de leur mise en œuvre». Nous sommes de ceux qui considèrent que ces réformes constituent un acquis, important, vers la pacification de la scène politique et nous continuerons à nous battre pour leur mise en œuvre intégrale et l’approfondissement du dialogue, en vue d’élections où tous les acteurs participent.

– Si les parties contractantes de l’accord décident d’aller aux élections municipales et législatives sans la COD, ADIL participerait-il au scrutin?
– La participation d’ADIL aux élections ne relève pas de mes compétences. Le moment venu, les organes compétents du parti vont en débattre. Moi, je me mets à l’idée que ces élections doivent permettre la participation de tous les partis et nous nous battrons pour que cela soit ainsi.

– Pour y arriver, que fait ADIL, concrètement, à l’endroit de la majorité et de l’opposition?
– Quand il y a une crise de confiance entre deux parties, la solution devient difficile. Nous sommes, malheureusement, dans ce cas de figure. Cependant et malgré ce qu’en pensent les gens, la classe politique mauritanienne a démontré ses capacités à dépasser ses divergences et à trouver des solutions à ses différents, quand l’intérêt du pays est en jeu. Personne ne pouvait penser que Dakar allait avoir lieu. Il a eu lieu, avec ses forces et ses faiblesses. J’espère qu’à nouveau, la classe politique saura renouer le contact et trouver un consensus. L’intérêt de notre pays nous l’impose. Et soyez-en certains: Adil travaillera, avec toutes les parties, pour trouver les démarches nécessaires au dépassement du blocage actuel.

– Quelle est votre position, par rapport à la question, soulevée par l’opposition, de l’illégalité actuelle des institutions législatives?
– Je suis, personnellement, très heureux que les acteurs politiques, aussi bien de l’opposition que de la majorité, soient attachés au respect de la Constitution. Il est vrai que le tiers du Sénat devrait être renouvelé, depuis un an, et que l’Assemblée nationale en place a siégé plus de cinq ans. Nous avons un Conseil Constitutionnel qui a donné un avis, au sujet de l’Assemblée. Etait-il compétent en la matière? Son avis peut-il changer quelque chose? Je ne suis pas juriste et ne peux, donc, pas répondre à ces questions. Cela dit, nous sommes face à deux impératifs qu’on doit concilier, autant que possible. Le respect de la Constitution est impératif, en démocratie, tout comme le respect de la régularité des élections. Leur liberté et leur transparence constituent des conditions incontournables pour une alternance pacifique et l’instauration de la démocratie. C’est ici que se situe le dilemme: comment respecter la Constitution et organiser des élections transparentes et crédibles pour tout le monde? Je ne pense pas qu’en cette situation, le débat juridique puisse nous mener à la solution. La question, me semble-t-il, est devenue politique et sa solution ne peut être que politique.

– Pour endiguer le risque de famine, consécutif au déficit pluviométrique de l’année dernière, le gouvernement mauritanien a monté un programme d’urgence dénommé Emel 2012. Qu’en pensez-vous?
– Je n’ai pas encore suffisamment d’informations sur ce plan. Ce que je sais, en revanche, c’est que l’enveloppe annoncée est conséquente. Je pense, d’un point de vue organisationnel, qu’on pourrait arriver, si le gouvernement met en place les instruments qu’il faut, à des résultats satisfaisants. Mais il n’y a pas, encore, suffisamment de visibilité sur ce qui va se faire. Recourra-t-on aux boutiques de solidarité? Aux banques de céréales (SAVS) ou au secteur privé? Je ne sais pas exactement et je vous le répète: je n’ai pas suffisamment d’informations, pour l’instant.

Propos recueillis par Dalay Lam

Source  :  lecalame.info le 25/01/2012

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page