Le commandant Chrif Ahmed Ould Krembellé :

‘’Maaouya était l’unique chef du BASEP et pourtant cela ne l’a pas prémuni du coup d’Etat d’août 2005’’.

Le commandant Chrif Ahmed Ould Krembellé, qui vient d’être mis à la retraite anticipée, est un personnage atypique de la galaxie militaire. Doté d’un humour ravageur, il est connu pour n’avoir pas sa langue dans ses poches. Il lui arrive de dénoncer, parfois devant les plus hauts gradés de l’Armée, les tares dont souffre la Grande Muette. Ce qui lui a valu beaucoup de déboires par le passé.
Le Calame l’a interrogé sur les raisons de son départ, les problèmes de l’Armée, la guerre contre AQMI, le BASEP, son arrestation en 2003 après la tentative avortée de coup d’état et d’autres sujets.

Le Calame : Vous venez d’être mis à la retraite anticipée, alors qu’il vous restait encore deux ans à accomplir. Pourquoi cette révocation qui ne dit pas son nom?
Chrif Ahmed Ould Krombelé : Non, il ne me restait pas deux ans à accomplir, puisque j’avais été ajourné, pour le grade de lieutenant-colonel qui devait me permettre de rester, encore, jusqu’en 2015. Quant à ma révocation, je n’en connais aucune raison valable. J’ai été affecté, en urgence, en mars dernier, à Foum Gleita, sommé de rejoindre mon nouveau poste en 48 heures. Après quatre mois de bons et loyaux services au centre national d’entraînement commando, on me notifia ma mise aux arrêts, sur ordre du général Ghazouani. Deux mois d’arrêt de rigueur. Traduction devant un conseil d’enquête, présidé par le colonel Sid’Ahmed Ould Elmane, directeur du Génie. Deux charges principales retenues contre moi: critique contre le commandement et sape du moral des troupes. Je devais, aussi, m’expliquer sur ce qui s’était passé, en 2007, entre moi et le colonel Sid’ Ely, ancien intendant, aujourd’hui à la retraite. Evidemment, je réfute toutes ces accusations fallacieuses dont le seul objectif est de se débarrasser d’un vieil officier supérieur, encombrant par sa franchise, mais qui a, tout de même, servi 29 ans, avec abnégation et sacrifice, et reste très respecté par la troupe, en général, pour ses attentions aux plus faibles. Une démonstration, en tout cas, que la carrière d’un officier, même supérieur, tient à un fil et demeure tributaire des humeurs de ses chefs.

On justifie, donc, votre départ par le fait que vous n’avez pas la langue dans la poche. Ce que n’aime pas beaucoup l’Armée. Quelles sont les pratiques que vous dénoncez?
Mon éducation et ma culture m’ont appris l’amour de la franchise, de la probité et du partage; le dégoût de l’injustice et de la malhonnêteté. En tant qu’officier supérieur, je réprouve l’enrichissement excessif, sur le compte de l’institution militaire, le mépris des subordonnés, la longévité dans les fonctions, l’égoïsme, l’injustice dans les promotions, les affectations de complaisance, les stages à l’étranger. Je dénonce la dérive de certains officiers, par rapport à leur mission, sacrée, de défense du pays. Certains supérieurs, ayant eu en charge certaines fonctions, n’ont rien à envier aux plus grands riches hommes d’affaires, aux plus grands banquiers, en termes de villas, troupeaux et parcs automobiles. Quand, dans une armée, un sous-officier, après avoir occupé un poste de gestion, se retrouve nanti d’un hôtel qui vaut plusieurs centaines de millions, c’est qu’il y a anguille sous roche. Je réprouve les critères sur la base desquels les promotions et la gestion des carrières se font. Moi, j’ai porté le grade de lieutenant pendant douze ans, bloqué par la seule volonté de mes chefs. La seule fois où j’ai obtenu une note d’aptitude de 12 – le seuil de promotion – je suis passé au brevet de capitaine, deuxième de l’Armée nationale. D’autres officiers valeureux et compétents n’ont pas pu passer aux grades supérieurs, quand ils n’ont pas, tout simplement, été congédiés, pour des considérations erronées. Généralement, ce sont ceux qui n’ont jamais accepté de se compromettre.

Pourquoi selon vous, l’Armée reste-t-elle coupée du pays? On ne peut pas dénoncer ses travers. Elle est à l’abri de l’IGE, alors que, comme chez les civils, elle a ses mauvais gestionnaires et ses détourneurs, Ould Abdel Aziz la craint-il à ce point?
Cette question est à poser aux responsables politiques. Je sais qu’ailleurs dans le monde, l’Armée est soumise aux mêmes obligations auxquelles sont soumises toutes les institutions étatiques. Mêmes les armées turque et guinéenne ne sont plus à l’abri.

On dit, souvent, que l’Armée est verrouillée, pour éviter un coup d’Etat; que l’essentiel de l’armement est entre les mains du BASEP, devenue une unité d’élite pour protéger, exclusivement, son chef. Comment vous, les officiers, viviez cette situation?
Les armes détenues par le BASEP sont comme toutes celles des autres unités. Le bataillon de sécurité présidentielle est une formation fondée, en 1989, par le président Maaouya Ould Sidi Ahmed Taya. Il en était l’unique chef pourtant cela ne l’a pas prémuni du coup d’Etat d’août 2005.

Face à un ennemi aussi mobile qu’AQMI, pensez vous que notre Armée a les moyens de faire face et de contrôler des milliers de kilomètres de frontières?
Le soldat mauritanien est discipliné, courageux et loyal. Il faut, aussi, reconnaître que, depuis que le pays s’est engagé dans la guerre contre le terrorisme, des unités, adaptées, mobiles et dotées d’une grande logistique, ont été montées. Cependant, la lutte doit prendre en compte d’autres facteurs – celui du renseignement n’est pas le moindre, avec l’implication des populations et leur mise en confiance – comme la coordination avec les pays de la sous-région pour combattre un phénomène transnational qui constitue une problématique pour le monde entier.

Vous avez été arrêté en 2003, suite à la tentative de coup d’Etat du 8 juin et l’on vous a acquitté, à l’issue du procès de Ouad Naga. Juste après, Maaouya vous a longuement reçu. Qu’est-ce que vous vous êtes dit?
Effectivement, après mon acquittement et ma réintégration dans l’armée, suite au procès de Ouad Naga, le président Maouya Ould Sid’Ahmed Taya m’a reçu, pendant plus de deux heures dans son bureau. Il m’a entretenu, entre autres, de certains de ses projets, comme l’amélioration des conditions de vie du personnel des forces armées et de sécurité, le dialogue qu’il comptait engager avec les différents opérateurs politiques. Son intention d’amnistier le commandant Saleh Ould Hannena et ses camarades, afin qu’ils participent à la construction nationale.

Lors de votre détention, en 2003, avez-vous été torturé?
Oui. Durant deux mois, nous dormions à même le sol, dans une courte tenue bleue, dans des cellules infestées de moustiques. La nourriture servait, juste, à nous maintenir en vie. Têtes cagoulées, comme les prisonniers de Guantanamo. Bref, une torture morale et psychologique, pour tous; et physique, pour certains, assortie de brimades et de vexations, genre: «pauvres officiers de l’Est, comment osez-vous prétendre diriger un pays? Ce n’est pas un troupeau de vaches!» Depuis, les détenus de 2003 se sont organisés, afin d’engager une procédure, auprès des juridictions nationales et internationales, contre les membres de cette zélée commission d’enquête, pour qu’elle réponde de ses actes.

Le président Ould Abdel Aziz fut, longtemps, un ami de votre frère, l’ancien capitaine Ely, mais leurs relations se sont distendues, depuis que celui-là est devenu président. Cela est-il dû aux articles de moins en moins élogieux qu’Ely publie, parfois, dans Le Calame ou à autre chose ?
Aziz et Ely étaient plus que des amis. Ils ont vécu ensemble, à Kaédi, jeunes sous-lieutenants. Ils partageaient bon nombre de valeurs communes: la franchise, la sincérité, le dégoût pour les comportements peu orthodoxes. Effectivement, j’ai constaté, comme vous, que leurs relations se sont distendues. Je ne peux pas vous en dire les raisons car Ely ne m’en a jamais parlé. Mais je soupçonne que ses articles, dans Le Calame, soient à l’origine de ma révocation de l’Armée. Si la confirmation ne m’en pas été clairement donnée, par le colonel Mohamed Ould Mohamed El Moktar qui m’a seulement dit: «la décision vient d’en haut», je crois que, Ely étant maintenant à l’abri, le commandant Chrif, son frère, restait encore attaquable, sous le motif, fallacieux, de violation de devoir de réserve.

Pour en revenir à l’Armée, comment peut-on qualifier son commandement actuel? Est-elle bien tenue?
Je connais bien le général Ghazouani, pour avoir servi, avec lui, au BCS, sous les ordres du capitaine Mohamed Ould Hadi, actuel DGSN et passé, avec lui, cinq ans au BB. Un homme de bon cœur, intelligent, peu enclin au mal mais qui peut y être, facilement, poussé. Or, commander une armée, surtout une armée infestée d’officiers voraces, requiert de la vigilance, de la patience et de la pondération. Je ne peux pas juger de la bonne tenue ou non de l’Armée. L’avenir nous édifiera.

Comment expliquer que des colonels beaucoup moins anciens que d’autres passent généraux avant eux? Le mérite n’a-t-il plus sa place, au sein de la Grande muette?
Le mérite doit être le critère essentiel, dans l’avancement des officiers. Cependant, il arrive que certains officiers fassent des bonds, assez spectaculaires, dans leur avancement. Cela nécessite l’aval du président de la République, chef suprême des forces armées et, à ce titre, signataire du décret d’avancement. Certains officiers peuvent, aussi, prendre le chemin le plus court, suite à un événement peu ordinaire, pour accéder au plus haut sommet de la hiérarchie militaire. Cela a été le cas des commandants Saliou Djibo et Sékou Konaté, respectivement au Niger et en Guinée, devenus, subitement, généraux, suite à des coups d’Etat. L’important reste d’être à la hauteur des responsabilités que confère le nouveau grade. L’un des principaux artisans de la puissance militaire française et célèbre parachutiste, le général Marcel Bigeard, est un officier «sac-à-dos», ne disposant d’aucun diplôme académique. Même si cette ascension s’est faite au détriment des peuples d’Algérie et d’Indochine. Il est devenu député de Toulon.

Vous avez assisté à des événements importants, au cours des deux dernières décennies. Vous étiez, par exemple, l’aide de camp de feu le colonel Ahmedou Ould Abdallah, le 12 décembre 1984. Comment vous avez-vous vécu les préparatifs du coup d’Etat qui emporta Ould Haïdalla?
Vous savez, comme j’aime souvent à le dire, ma carrière militaire a commencé par un problème et a fini par un problème. En 1983, pendant que j’étais à l’EMIA, prêt à entamer ma deuxième année, je me suis révolté, contre une poignée de jeunes coopérants français qui nous humiliaient, sans raison, et nous couvraient d’insultes et d’invectives. Pour avoir résisté à ces comportements néo-coloniaux et refusé de m’en excuser, publiquement, comme l’avait suggéré feu le colonel Yall, chef d’état-major, j’ai dû aller servir à Bir Moghrein, comme soldat de deuxième classe. Là, je rencontrai le colonel Ahmedou Ould Abdallah, pour la première fois, et il m’a, aussitôt, pris en affection. Depuis, je ne l’ai plus quitté, devenant, même, son aide de camp. C’est grâce à lui que ma situation s’est régularisée et que j’ai été envoyé, en Algérie, pour une formation de deux ans. Effectivement, j’ai assisté aux préparatifs du coup d’Etat du 12/12/84 mais j’étais encore trop jeune pour en comprendre toutes les péripéties. Les longues méditations du colonel Ahmedou, entre Zouérate et Fdérik, les affectations des officiers et les actions sociales, en faveur des soldats et de leurs familles, ne m’interpellaient pas. Jusqu’à ce jour du 12 décembre où nous atterrîmes, à bord du Defender du commandement à Atar. Le colonel Ahmedou s’entretint, longuement, sur le tarmac, avec Moulaye Ould Boukhreiss, commandant de l’EMIA, avant de reprendre l’avion pour Nouakchott. Dans l’avion, il m’apprit que je n’étais plus au service du commandant de la deuxième région mais du chef d’état-major national et que Haidalla n’était plus président: un coup d’Etat venait de le renverser.

Pouvez-vous nous citer d’autres faits qui vous ont marqué?
D’abord, mon service, en tant que soldat de deuxième classe, à Bir Moghrein. Mais, aussi, l’histoire de ces deux camions Hino, flambant neufs, don de la coopération japonaise au centre de formation technique de l’Armée nationale de Rosso, qui n’ont jamais travaillé pour l’Armée et furent sortis de la caserne, sous le regard, médusé, du personnel du centre, et cédés, à titre de réforme, par le chef d’état-major national de l’époque, pour un montant symbolique de 20.000 ouguiyas. Ou, encore, ces deux officiers béninois venus acheter une pièce prélevée sur le seul Buffalo de notre armée, afin de réparer le leur.

Quel est le meilleur chef qui vous a commandé?
Difficile à dire. Le colonel Ahmedou Ould Abdallah fut, pour moi, un père spirituel. Et un chef militaire modèle. J’ai, encore en mémoire, la réaction, téméraire, de ce grand officier, à la peur d’un jeune officier, aujourd’hui colonel, qui tremblait, à Fdérik, en répondant à une question de Haïdalla, alors président: «Lieutenant, gardez honneur, vous avez l’habitude de me répondre, quand même!» Le colonel Sidya Ould Mohamed Yehya fut un grand technicien des armées, un officier supérieur aux qualités morales et militaires indéniables. Je citerai, aussi, le général Mohamed Ould Hadi qui se donnait l’air d’un officier hautain mais qui m’a marqué, par la qualité de son commandement, alors que j’étais jeune lieutenant, sous ses ordres au BCS. Je regrette que les colonels Sidya et feu Mohamed Lemine Ould Ndiayane, chef d’état-major national, mort en service commandé, aient quitté l’armée, sans avoir arboré, comme ils le méritaient amplement, le grade de général. Ces deux officiers, très peu portés sur l’argent et l’injustice, étaient de la trempe de leurs frères d’armes feus les colonels Mohamed Ould Bah Ould Abdel Kader, Ahmed Salem Ould Sidi, Ahmed Ould Bousseif et Yall Abdoulaye pour ne citer que ceux là.

Vous avez été cité, par le lieutenant Boye Alassane Harouna, dans son livre «J’étais à Oualata», comme un des rares officiers qui les traitaient bien, lui et ses camarades d’infortune, lorsqu’ils étaient aux arrêts, à l’état-major, en 1987, après leur tentative de coup d’Etat. Comment cela s’est-il passé?
Mon chef, le capitaine Ould Hadi, commandant du BCS et actuel DGSN, m’avait chargé de la mission de placer ces officiers aux arrêts et de les conduire, au besoin, devant la commission d’enquête qui siégeait dans son bureau. C’est ainsi que j’ai accueilli feu le lieutenant Sarr Amadou, en provenance de Nouadhibou où il se trouvait en mission. Il me chargera, d’ailleurs, d’une commission à transmettre à son épouse. Il s’agissait, pour moi, de frères d’armes, de promotionnaires ou d’anciens et je n’avais aucune raison de dépasser les limites de ma mission.

Un dernier mot? Des projets d’avenir?
Je ferai, bientôt, incha Allahou, paraître un livre qui édifiera, davantage et avec force détails, l’opinion, sur certains événements, comme ceux de 1987 – la tentative de coup d’Etat et la commission d’enquête – 1989 et les événements tragiques, entre la Mauritanie et le Sénégal; 1994 – la rébellion touarègue – et les dessous de ce qui s’est passé, le 8 juin 2003. Je fus, notamment, un acteur privilégié des heurts avec le Sénégal, pour avoir servi sur la frontière sud du pays, aux premières heures du déclenchement du drame. J’entretiendrai, aussi, du degré de responsabilité de certains de nos officiers, dans le pillage du patrimoine de notre armée, voire du pays, ayant été, en ma qualité d’officier d’administration, au cœur du système de gestion qui a prévalu, pendant les deux dernières décennies.

Propos recueillis par Sneïba El Kory

Source  :  lecalame.info le 27/09/2011

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