Ramtane Lamamra :  » Les mandats de la CPI gênent nos efforts pour la paix en Libye ».

Ramtane Lamamra est Commissaire de l’Union africaine pour la Paix et sécurité. En marge du 17e sommet de l’Union africaine, qui se tient jusqu’au 1er juillet à Malabo, il répond aux questions de jeuneafrique.com sur les positions du comité des cinq chefs d’Etat africains chargés d’une médiation dans le conflit libyen.

 

 

Jeune Afrique : Cinq chefs d’Etat africains chargés d’une médiation dans le conflit Libyen par l’Union africaine (UA) se sont réunis à Pretoria (Afrique du Sud). Le 26 juin, à l’issue de cette rencontre, ils ont émis un communiqué dont les termes sont nettement plus policés que ceux de Jacob Zuma qui accuse l’OTAN de tentative d’assassinat de Kaddafi. Pourquoi, selon vous, un tel contraste ?

Ramtane Lamamra : Ce communiqué peut paraître policé tout simplement parce qu’il s’agit d’un instrument diplomatique. Il est sensé nous aider dans notre interaction avec nos partenaires et les acteurs du conflit en Libye. Mais il réaffirme avec force nos positions de principe, à savoir la réclamation d’un cessez-le-feu immédiat, l’arrêt des bombardements de l’OTAN, la création de couloirs humanitaires et un dialogue inclusif. La démarche préconisée par l’UA dès le début du conflit s’impose désormais comme la voie à suivre. Il reste à parachever ce consensus au niveau de la communauté internationale, car il est aujourd’hui évident que l’Otan a été au-delà du mandat que lui confère la résolution 1973.

Est-ce que votre démarche se limite au constat et à l’indignation ? Peut-on, par exemple, imaginer une saisine du Conseil de sécurité pour faire arrêter l’intervention de l’Otan ?

Saisir le Conseil de sécurité ne serait d’aucune utilité puisque trois de ses cinq membres permanents, le fameux P3, sont à la fois juges et parties. Ils n’accepteront jamais de reconnaître qu’ils ont outrepassé leur mandat. Ce qui s’est passé le 15 mars dernier devant le Conseil de sécurité est à ce titre exemplaire. Lorsque nous avons exposé notre point de vue, le P3 a mis immédiatement fin au débat en réaffirmant qu’il y avait un respect du cadre de la résolution. Ce n’est cependant pas suffisant pour nous décourager et pour nous faire renoncer à la légalité internationale. Nous pouvons encore agir, d’autant plus que la résolution de 1973, dans son deuxième paragraphe, accorde un rôle central à l’UA, au même titre qu’au représentant spécial de l’ONU, le Jordanien Abdelilah al Khatib.

Loin de se limiter à l’indignation, notre démarche est au contraire pro-active, animée par la volonté de fédérer. Notre comité est ainsi à l’origine de la création du Groupe du Caire, réunissant l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union européenne, l’UA, l’Organisation de la conférence islamique (OCI) et la Ligue arabe. Réunis le 18 juin dans la capitale égyptienne, les membres du Groupe du Caire ont rédigé un document – entériné à Pretoria – encore officieux, qui marque le début d’un consensus autour de la position africaine vis-à-vis de l’intervention de l’Otan en Libye. Ce consensus de plus en plus large prouve la cohérence de notre démarche pour instaurer les conditions d’une solution politique au conflit libyen.

Des pays membres de l’UA ont reconnu le Conseil national de transition libyen (CNT) comme unique représentant légitime du peuple libyen. Des émissaires de Benghazi sont même attendus pour le sommet de l’UA. Cette cacophonie ne fragilise-t-elle pas votre démarche ?

En aucun cas. Les représentants du CNT ont participé, le 25 mai à Addis Abeba, au sommet dédié à la crise libyenne et nous avons été reçus à Benghazi. Leur présence à Malabo est légitime et s’inscrit dans le cadre des activités du comité des cinq chefs d’Etat.

En revanche, nous souhaitons dissiper tout malentendu en affirmant clairement que l’unique représentant de la Libye (membre fondateur de l’UA) que nous reconnaissons est le gouvernement de Tripoli. Je ne porte par ailleurs aucun jugement sur les gouvernements africains qui ont reconnu le CNT car il s’agit d’un choix souverain. Mais en ce qui nous concerne, la nature de notre action nous impose de mettre l’accent sur ce qui est de nature à rassembler.

Quel est votre sentiment à propos du mandat d’arrêt lancé par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de Kaddafi, de son fils Seif el-Islam et du patron de ses services de sécurité, Abdallah Senoussi ?

Je souhaite rappeler que l’UA est la seule organisation à avoir inscrit la lutte contre l’impunité comme principe cardinal dans son acte constitutif, mais il faut se souvenir que nulle part dans l’histoire de l’humanité la justice n’a précédée la paix. On évoque communément la justice des vainqueurs, comme celle du procès de Nuremberg ou celle du tribunal de Tokyo.

Dans le cas présent, l’enthousiasme du procureur de la CPI à délivrer des mandats d’arrêt international – le Soudan et le Kenya hier, la Libye aujourd’hui –  s’inscrit à contre-courant des efforts que nous menons en vue de l’instauration d’une paix pour faire avancer la justice. Alors quand vous me demandez si les mandats de la CPI contre trois dirigeants libyens sont de nature à faciliter la solution pacifique, je réponds « non ». Sans aucune hésitation.

 

Propos recueillis par Cherif Ouazani, à Malabo

Source  :  Jeune Afrique le 29/06/2011

 

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