« Face u00e0 Aqmi, l’action militaire seule ne suffit pas »

 

Les otages français apparaissent sur une vidéo, diffusée par la chaîne Al-Andalus, le 30 septembre 2010.  afp.comOù en est la coopération régionale sur le front de la lutte contre le terrorisme islamiste? Le diagnostic de Soumeylou Boubeye Maïga, ministre des Affaires étrangères du Mali.

 

Ministre des Affaires étrangères du Mali, Soumeylou Boubeye Maïga connaît fort bien les enjeux du combat engagé dans l’espace saharo-sahélien contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Il faut dire que cet ancien journaliste connaît la chanson: il a été dans un passé récent titulaire du portefeuille de la Défense puis chef des services de renseignement de Bamako. Pour l’heure, admet-il, ce dossier mobilise les trois-quarts de son temps et de son énergie. Le chef de la diplomatie malienne répond ici aux questions de LEXPRESS.fr.

La lutte contre le terrorisme islamiste a-t-elle changé d’échelle et de nature ?

Le défi, c’est d’instaurer une présence permanente dans cette zone. Primo, il s’agit d’une région très rude et difficile d’accès. D’où un vrai casse-tête logistique. D’autant qu’il faut transférer à des forces militaires des tâches de sécurité publique. Secundo, nous devons faire face à de lourdes contraintes en termes de moyens: cette force, il convient de la soutenir, de l’entretenir et de l’alimenter. Tertio, la nature de la menace et l’identité de ceux qui l’incarnent s’avèrent floues. Il s’agit d’acteurs hybrides, impliqués aussi dans des trafics et autres activités illégales, et insérés dans les populations locales.

Les priorités des pays concernés ne sont pas nécessairement identiques

L’action armée seule ne suffit pas. Neutraliser les noyaux durs d’Aqmi, soit. Mais à quoi bon s’ils se reconstituent au moindre désengagement? Il faut donc prolonger cette action militaire, notamment par l’amélioration qualitative de la présence de l’Etat. Une démarche que rend nécessaire la distorsion entre la taille des territoires et leur peuplement. Songez que le seul Nord-Mali couvre 810.000 km², soit une fois et demi la superficie de la France, et qu’il n’héberge qu’1,2 million d’habitants. Gardons-nous par ailleurs de la tentation de militariser cet espace. Il faut que les autochtones prennent en charge une partie des opérations de sécurité, notamment par l’entremise, dans des sociétés de type tribal, de leurs représentants élus. Quatrième point enfin, il s’agit de prévenir un danger transnational. Or, les priorités des pays concernés ne sont pas nécessairement identiques. D’où des modes de traitement différents, ce qui peut susciter des frictions.

Le Cemoc, état-major voué à la coordination régionale, n’est-il à ce stade qu’un sigle ?

Non, il existe bel et bien. Et nous tentons de rendre plus opérationnel cet état-major conjoint établi à Tamanrasset (Algérie), qu’il s’agisse de l’identification des périls ou de la planification des actions combinées dans les secteurs frontaliers. Ainsi, nous venons de lancer le ratissage de la forêt de Wagadou, aux confins du Mali et de la Mauritanie. Il s’agit pour nos quatre pays -Algérie, Mauritanie, Mali et Niger- de constituer à l’horizon de la fin 2012 une force de 25.000 à 75.000 hommes, toutes spécialités confondues : gendarmerie, police, douanes et justice.

"Face à Aqmi, l'action militaire seule ne suffit pas"

Soumeylou Boubeye Maïga en 2007.

AFP PHOTO GEORGES GOBET

 

Qu’attendez-vous de vos partenaires européens et américains ?

D’abord, une aide en matière de formation. L’effort est déjà engagé, mais doit changer de braquet et privilégier des savoirs très spécialisés. A terme, on peut envisager que le poste avancé de Tessalit, dans le Nord-est du Mali, héberge un futur centre d’instruction. Ensuite, nous avons besoin d’équipements -transmissions, communications, brouillage, matériel de vision tous temps, diurne comme nocturne, véhicules-, mais aussi, compte tenu de l’étendue du théâtre, d’une couverture aérienne. Au total, l’effort requis suppose des centaines de millions d’euros. Entendons-nous bien: l’objectif n’est pas de faire du Sahel une zone de guerre permanente, mais bien au contraire une zone sécurisée pour l’activité économique et les actions de développement. Chacun sait que les retards en la matière préparent un terreau favorable aux trafics illégaux, qu’il s’agisse de drogue, d’armes ou de terrorisme. L’espace saharo-sahélien est devenu une région stratégique majeure. En route pour l’Europe, les flux de cocaïne venus d’Amérique latine y croisent les flux d’héroïne venus d’Afghanistan. La frontière sud du Vieux continent n’est plus l’Afrique du Nord, mais le Sahel.

Au lendemain de la liquidation d’Oussama Ben Laden, vous disiez redouter une fuite en avant des cellules locales affiliées à Al-Qaïda. Qu’en est-il ?

Pour l’heure, cette nébuleuse traverse une phase de flottement. La crise libyenne, avec l’afflux massif de forces étrangères au voisinage de son théâtre d’opération, perturbe ses activités. Voilà pourquoi ses membres font plutôt profil bas. Mais qu’en sera-t-il demain, après le retour à la normale ? D’autant qu’Aqmi met à profit cette parenthèse pour renforcer ses capacités. Selon des données fiables, il y a eu acquisition massive d’armes collectives, dérobées à la faveur de pillages des arsenaux de l’armée de Tripoli: mitrailleuses de 12.7 et 14.5 mm, canons de 106mm, pièces d’artilleries anti-aériennes. Certes, les commandos estampillés Al-Qaïda attendent des jours meilleurs pour les employer, mais il ne fait aucun doute que l’on assiste à une militarisation de la région. Notre but, à moyen ou long terme, reste bien d’extirper ces groupes de leurs sanctuaires.

En quoi cet épisode affecte-t-il le sort des otages français enlevés au Niger ?

Leur vie ne semble pas plus en danger aujourd’hui qu’hier. Là encore, la présence de forces étrangères dans les parages a un effet dissuasif. Si Aqmi s’en prenait à ses captifs, il s’exposerait à des représailles immédiates, voire décisives. Par ailleurs, la finalité des ravisseurs demeure avant tout financière. Tout porte à croire que les négociations butent sur le montant de la facture.

Par Vincent Hugeux, publié le 14/06/2011 à 14:10, mis à jour à 17:00

Source: L’Express

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