Qui, du régime ou de la contestation syrienne, sera “le premier à craquer” ?, se demande Ammar Abdoulhamid, auteur du blog Syrian Revolution Digest. En envoyant lundi l’armée dans les rues de Deraa pour mater la contestation, le régime du président Bachar Al-Assad a adressé un message fort aux manifestants qui veulent sa chute. Soutien inconditionnel du régime, l’armée syrienne faisait pour la première fois son entrée dans la répression contre les manifestants. Mais, la méthode forte n’a semble-t-il pas encore entamé la motivation des contestataires qui continuent à défier le pouvoir dans la rue et appelent à amplifier le mouvement.
Sur la page Facebook du groupe The Syrian Revolution 2011 lundi 25 avril 2011 :“Ô chabab, soulevez-vous maintenant dans tous les villages et les villes et faites appeler la communauté par les muezzins et dans toutes les rues (…) Quiconque est lâche aujourd’hui participe au massacre de Deraa”.
La ville de Deraa, toujours assiégée par l’armée syrienne qui a vu l’arrivée de nouveaux renforts, focalise toutes les attentions, bien que d’autres villes soient également assiégées . Parmi les quelque 3 000 soldats envoyés à Deraa lundi figurent des “unités de la 4e division, qui sont sous le commandement direct de Maher Al-Assad [le frère du président syrien], à la 5e division, commandée par Mohammed Saleh Al-Rifai, avec le renfort du 132 bataillon”, précise l’opposant syrien en exil Ammar Abdoulhamid sur son blog. Comme le précise Juan Cole, sur son blog Informed Comment, “l’armée syrienne compte 220 000 soldats en exercice, onze divisions blindées et quelque 5 000 tanks. (…) La secte chiite alaouite, à laquelle la famille Assad appartient, domine les échelons supérieurs du corps des officiers”. Un billet sur la 4e division blindée sur le blog The American audacity.
A l’instar des révolutions tunisienne et égyptienne, les manifestants anti-régime misent sur des divisions au sein de l’armée voire même le ralliement de l’institution militaire à leur cause. Un scénario que nombre de commentateurs de la région écartent. Ainsi Rami G. Khoury, journaliste au Daily Star Lebanon, estime qu’“il est peu probable que nous retrouvions le modèle égyptien ou tunisien d’agences de sécurité abandonnant le président et le renversant, tout en restant au pouvoir. En Syrie, soit le système tout entier s’impose et reste au pouvoir -avec ou sans réelles réformes- soit il est changé dans son intégralité”.
Un reportage du 27 avril 2011 de la chaîne qatarie Al Jazira English sur l’armée syrienne, son assaut sur la ville de Deraa et les possibles divisions en son sein (25 minutes).
Pourtant, sur la Toile syrienne, les rumeurs persistent depuis 48 heures d’une mutinerie au sein des divisions armées envoyées à Deraa. Dès lundi, Abdoulhamid Ammar faisait état sur son blog “d’informations concernant un nombre croissant de défections au sein de l’armée et d’affrontements entre différentes unités de l’armée à Deraa”. Des rumeurs avaient déjà circulé mi-avril concernant l’exécution de neuf soldats syriens ayant refusé de tirer sur les manifestants à Banias (dont Ammar Abdoulhamid s’est fait l’écho sur son blog mais qui ont été notamment mises en doute par Joshua Landis sur son blog).
Malik Al Abdeh, éditeur en chef de la chaîne de télévision d’opposition syrienne Barada TV twitte le 26 avril 2011 : “une information non confirmée de Deraa : quelque 50 hommes de sécurité pro-Assad ont été tués dans des affrontements avec des soldats séditieux”.
Malik Al Abdeh twitte également : “Nous savons qu’au moins 100 soldats ont fait défection, dont deux capitaines. Un général à la retraite de Deraa est désormais à la tête des forces séditieuses”.
“Peu de temps après, des informations ont commencé à filtrer puis à abonder au sujet d’une mutinerie dans des unités affiliées avec la 5e division et des soldats de ces unités se soulevant pour freiner l’avancée des unités de la 4e division tentant d’atteindre la mosquée Al-Omary au centre de Deraa”, poursuit Ammar Abdoulhamid. Au vu de la persistance des rumeurs, le blogueur y revient dans un nouveau post mardi, tandis que le journal américain Chistian Science monitor mentionne ces informations, également rapportées par la chaîne qatarie Al Jazira Arabic.
Sur la page Facebook du groupe The Syrian Revolution 2011 le 26 avril : “(…) Et de là, nous saluons tous les officiers et le personnel militaire qui refuse de tirer sur leurs fils, leurs frères (…)”
“Les informations font état de quelques défections dans les rangs de la 5e division qui évoluent en mutinerie, car quelques officiers de haut rang ont estimé que faire défection n’était pas suffisant et qu’ils avaient le devoir de protéger la ville et ses résidents désarmés de l’assaut vicieux des soldats loyalistes qui composent la 4e division, commandée par Maher Al-Assad lui-même”, rapporte Ammar Abdoulhamid. Mais, “les informations ne s’arrêtent pas là, et évoquent la capture ou du moins des pièges tendus pour capturer Maher Al-Assad et Rustom Ghazali, le chef de la police politique qui gère les manifestations de Deraa”, ajoute le blogueur, émettant toutefois les précautions d’usage sur la véracité de telles informations dans une situation aussi “volatile” qu’observée actuellement en Syrie.
Sur la page Facebook du groupe The Syrian Revolution 2011 : “Hé les gars, nous devons intensifier les contacts avec des éléments de l’armée et des commandements. Notre révolution est pacifique. Ils sont notre peuple et nous sommes leur famille, leur devoir de nous protéger et nous défendre. Ils doivent comprendre qu’il existe d’autres options que de nous tirer dessus (…)”.
Et, effectivement, certains blogueurs mettent en doute ces rumeurs, à l’instar de la blogueuse Maysaloon, qui parle de “rumeurs ridicules selon lesquelles l’Iran et le Hezbollah auraient envoyé des snipers en Syrie pour tirer sur les manifestants, parce que les soldats syriens refusent d’ouvrir le feu. J’apprécie que certains soldats puissent avoir refusé, mais je suis presque certaine que les services de sécurité syriens s’en sortent très bien pour tirer sur leur propre peuple sans avoir à demander l’aide de l’Iran et du Hezbollah”.
L’arrivée en renfort de blindés de l’armée syrienne à Deraa le 27 avril 2011.
“Si une telle mutinerie a réellement eu lieu si vite dans le jeu, prédit le blogueur Ammar Abdoulhamid, la tactique de l’armée d’Assad semblerait alors se retourner contre lui, un développement qui pourrait susciter une plus grande division au sein de l’armée dans les prochaines heures et les prochains jours, avec toutes sortes d’implications pour le mouvement de contestation, selon la façon dont ces conflits internes se jouent”. Prudent, Ammar Abdoulhamidestime toutefois que “si, d’autre part, les informations se révèlent être ni plus ni moins des exagérations et des vœux pieux, le mouvement de contestation va encore avoir du chemin à faire avant de produire un impact significatif sur la structure et la base du régime, et le défi va être de s’en tenir au message et à la méthode pacifique tout le long en dépit de la violence croissante des Assad”.
(Crédit photo : TV syrienne via Reuters TV)
—————
Un collaborateur du “Monde” en prison en Syrie depuis le 9 avril
Khaled Sid Mohand, journaliste algérien, a été arrêté le 9 avril à son domicile à Damas. Collaborateur du “Monde” et de Radio France, il enseignait par ailleurs le journalisme à l’Université St Joseph à Beyrouth.
Depuis ce jour, ses proches sont sans nouvelles de lui et ignorent le motif de son arrestation et le lieu de sa détention. “Le Monde” demande sa libération.
Le site de son comité de soutien : http://www.liberezkhaledsidmohand.org/
Source: Le Monde
