Le scandale révélé récemment suite à un audit financier de la Sonimex ne constitue pas en soi une surprise. Les Mauritaniens se sont habitués à découvrir, les unes après les autres, les affaires de corruption, de détournement et de trafic d’influence qui, au cours des dernières décennies, ont miné l’économie du pays et réduit près des deux tiers de sa population à l’état d’extrême pauvreté.
L’une des plus retentissantes fut l’affaire dite « hommes d’affaires contre Banque Centrale » qui a défrayé la chronique en 2009. Mais, au moment où des révoltes populaires secouent beaucoup de pays de la région, le scandale qui vient d’éclater a de quoi révolter les consciences les plus amollies. Il interpelle en même temps les pouvoirs publics sur les conditions de fonctionnement de notre système monétaire et financier.
L’affaire « Sonimex » – puisque c’est ainsi qu’il faut l’appeler désormais – est caractéristique, d’abord, en raison son ampleur : 11 milliards et demi d’ouguiyas soit 49 millions de dollars c’est-à-dire le quart de la totalité des réserves en devises de notre pays. A côté de ce scandale, l’affaire du riz avarié (400 millions d’UM) qui a valu la prison à Ould Waghf et celle du Commissariat aux droits de l’homme (250 millions d’UM) pour laquelle Ould Dadde croupit toujours en prison, ne sont, pour ainsi dire, que des broutilles. Combien d’écoles, de maternités, de dispensaires auraient pu être construits et équipés avec 11 milliards et demi d’ouguiyas ? Combien d’emplois auraient pu être créés au profit de milliers de jeunes chômeurs aujourd’hui sans avenir et sans espoir ?
Ensuite, le montage financier à l’origine du scandale a été fait au mépris de la loi et des règles de bonne gouvernance monétaire. La Banque Centrale a, semble-t-il, été instruite par les plus hautes autorités de l’Etat, en Avril 2008, à l’effet d’accorder un financement direct de 11 milliards et demi d’ouguiyas à la Sonimex sans aucune garantie si ce n’est la domiciliation dans un compte à la BCM des recettes de la vente des produits importés et payés sur ce financement, domiciliation qui n’a jamais été respectée. Le motif était, comme toujours, la lutte contre la montée des prix. La violation flagrante des procédures était justifiée par un programme spécial d’intervention qui n’était en fait que le prétexte pour une immense opération de prévarication.
Ce nouveau scandale ternit davantage l’image de la BCM en mettant à nu de graves disfonctionnements dans cette institution qui est chargée de mettre en œuvre la politique monétaire de la République Islamique de Mauritanie et de veiller à la stabilité du système financier national. Ces disfonctionnements mettent en cause tous les organes de la BCM et, en particulier, le Conseil de Politique Monétaire présidé par le Gouverneur de la BCM et comprenant des membres nommés par le Premier ministre et le ministre des Finances. Ces membres sont, en principe, choisis en fonction de leur compétence et leur expérience avérées dans le domaine monétaire ou économique. Ils reçoivent à ce titre une rémunération confortable. Leur mission consiste, entre autres et conformément à l’article 19 des Statuts de la BCM, à s’assurer de la nature et de l’étendue des garanties dont sont assortis les prêts consentis par la Banque Centrale. Dans le cas d’espèce, le Conseil de Politique Monétaire a fait preuve d’un laxisme inexcusable. Il a fermé les yeux sur la nature irrégulière du financement accordé directement par la BCM à la Sonimex, entreprise de droit privé, financement qui porte sur un montant équivalent au quart des avoirs en devises du pays. Il ne s’est pas non plus inquiété de l’absence totale de garanties contrairement aux exigences la loi.
Le Conseil de Politique Monétaire ne peut, en l’occurrence, se prévaloir d’aucun alibi. Il est au courant de cette opération dans ses moindres détails depuis près de trois ans. En effet, dans ses rapports successifs sur les états financiers de la BCM , l’auditeur indépendant Deloitte a régulièrement attiré l’attention sur le non recouvrement du prêt Sonimex. Ces rapports sont de surcroît publiés sur le site de la BCM elle-même (www.bcm.mr ) et peuvent être consultés par tout un chacun.
Dans son rapport sur l’exercice 2008, le cabinet Deloitte écrit au sujet de ces « avances »:
« Au cours de l’exercice 2008, la BCM a réescompté des traites de MRO 200 millions en faveur de la Sonimex et lui a accordé des avances de MRO 11.598.millions pour faire face à un programme d’urgence. Le principal et les intérêts provisionnés sur ces concours sont en attente de remboursement à la date de notre rapport ((Confère Note 7). »
Dans son rapport sur l’exercice 2009, le cabinet Deloitte réitère les mêmes observations en attirant l’attention sur le montant de l’encours total de ces impayés qui sont passé, en raison des intérêts, à plus de 12 milliards et demi d’ouguiyas : « Au cours de l’exercice 2008, la BCM a accordé, dans le cadre d’un programme d’urgence, des avances de MRO 11.598 millions à la Sonimex. Le principal et les intérêts de MRO 966 millions provisionnés sur ces concours, soit un encours total de MRO 12 564 millions, sont en attente de remboursement à la date de notre rapport ».
Malgré les injonctions répétées de l’audit, le Conseil de Politique Monétaire n’a pris aucune décision pour assainir cette situation. Il en a pourtant eu largement le temps puisque la loi portant statuts de la BCM lui impose de se réunir au moins une fois par mois (Article 22). Il a dû donc se réunir au moins 36 fois depuis le début de cette affaire sans qu’il ne daigne prendre la moindre mesure sur une question qui engage 49 millions de dollars soit le quart des réserves en devises de la Banque Centrale. Dans ces conditions, on peut légitimement se poser la question de savoir à quoi sert le Conseil de Politique Monétaire de la BCM et à quoi consacre-t-il les réunions mensuelles que ses membres tiennent en vertu de la loi et moyennant de généreuses indemnités payées par le contribuable?
B.C Source: Le Quotidien de Nouakchott