Enquête dans le monde très opaque du catering: Circulez, Mauritaniens, il n’y a rien à voir !

Deux milliards d’ouguiyas par an, nets d’impôts, c’est le montant, exorbitant, du chiffre d’affaires catering de quelques sociétés étrangères en activités sur notre sol. Ces deux milliards échappent à tout contrôle de l’administration mauritanienne.

Aucune taxe, aucun impôt, aucun emploi, aucun investissement, aucune retombe directe, pour le pays. Une poignée d’étrangers qui travaillent au noir, avec un ordinateur portable ou un carnet de facturation et qui transfèrent la totalité de leur butin chez eux.
Exemple principal: Tasiast, le plus gros budget alimentaire, ces trois dernières années, 600 millions de nos ouguiyas, et une mafia dont le cerveau détourne, à son avantage et avec la complaisance, voire la complicité, de la direction, des marchés certes juteux mais qui n´ont pas une influence directe sur l´activité minière. Tasiast, ainsi, a confié à Ahmed Elaly, un libanais – cuisinier, sous la première direction de la mine – la gestion du camp. Ce monsieur a, de cette façon, récupéré un budget énorme, sans aucun contrôle, la mine se déchargeant sur lui, en lieu et place du bureau de Nouakchott qui n’a plus son mot à dire.

Les fournisseurs ne sont plus consultés, le marché se gère entre le cuisinier promu chef de camp et les épiciers libanais de la capitale, ‘’Le Gourmet’’ et ‘’Fawaz Médina 3’’, contre pourcentage. Mais le marmiton gourmand a vite compris, au vu des marges pratiquées, qu’il peut organiser, lui-même, la majeure partie de l approvisionnement du site et s’est associé avec un employé de Fawaz, un autre libanais du nom de
Hussein. Ensemble, ils ont échafaudé un plan, pour devenir fournisseur local unique de la mine, sous le couvert d’une société fantôme, sans registre, sans employés, sans bureaux et sans matériel.
Ils achètent au moins disant, cash, sur le marché de Nouakchott, commandent des containers, louent un camion et livrent la mine.  Refacturation du simple au double, avec des frais de livraison par un particulier, les bordereaux sont visés… par le chef de camp et payés, sans sourciller, par Tasiast: ce qui compte, pour la société, c’est que leurs employés mangent; quant aux modalités… Voici, donc, comment, depuis près de trois ans et aux yeux et à la barbe des commerçants de la place, deux libanais détournent un marché d’un milliard et demi d’ouguiyas, sans comptes à rendre à personne, ni sur les prix, ni sur l`origine de la marchandise qui provient, parfois, de lieux insalubres, ni aux impôts. Pas de loyer commercial, pas de bureau, pas de matériel, juste une vieille Renault express rouge, pour faire profil bas, et un seul employé mauritanien qui accompagne les livraisons sur Tasiast. Par contre, chez eux, au Liban, ces messieurs ont construit de mirifiques villas…

 

Complicités au plus haut niveau

 Interrogez les fournisseurs de la capitale, les employés du bureau Tasiast de Nouakchott, tous au parfum: de leur propre aveu,  cette situation les dépasse et ils n’osent mot dire, par peur de représailles, le chef de camp disposant de complices, au plus haut niveau de la société. «Dans le temps», disent-ils, au bureau de Nouakchott, «on demandait des cotations, à tous les gros fournisseurs de la ville, et tous remportaient des commandes mais cela ne dépend plus de nous, aujourd’hui, il faut voir avec le chef de camp.» Essayez de vous inscrire, sur le site Tasiast, comme fournisseur, on vous demande de contacter Ahmed Elaly. Quant aux indications supposées renvoyer au bureau de Nouakchott, elles sont erronées. Ahmed Elaly et son complice gèrent, à eux deux, tout le ravitaillement de la mine, au mépris de tout et tous. Ce changement de comportement coïncide avec le  rachat de Tasiast par Red Back Mining, l’arrivée d’un nouveau directeur et la promotion du cuisinier comme chef de camp. C’est à la direction générale de la mine, aux auditeurs de Kinross et à la police des mines de mettre un terme, immédiat, à ces pratiques.
Au-delà de cet exemple éloquent, il suffit de se poster devant un des supermarchés de la capitale ou bien au marché marocain, pour voir de nombreux intervenants charger des quantités importantes de marchandises diverses, comme ces chinois propriétaires de restaurants glauques, intervenant,  en catimini, pour les sous-traitants pétroliers asiatiques et réalisant des marges colossales, surtout quand ils alimentent, en alcool de contrebande, les bases de leurs clients à l’intérieur du pays. C’est aussi le cas du français Serge Tiran, d’Icebergrim, qui tient, depuis deux ans, marché florissant, à son domicile de Tevragh Zeïna où il négocie gros et détail, principalement au service de la communauté française. Boucherie clandestine, poulailler, poissonnerie, porc importé, phacochère; tout est travaillé dans un atelier spécial, disposant de près de cinquante congélateurs grand format. Les commandes s’opèrent par téléphone; les livraisons, à domicile, grâce à deux bus frigos. Et, pendant ce temps, nos commerçants se tournent les pouces. L’amitié franco-française, ça aide, surtout que ce monsieur  est aussi bénéficiaire, depuis deux ans, d’un contrat de ravitaillement des militaires français. L´armée française, en poste à Atar, se fournit, à discrétion, pour des millions d´ouguiyas, chaque semaine, via Icebergrim qui appartient à l’un de ses nationaux, sans jamais faire appel d’offres auprès des fournisseurs de la place. Un marché de gré à gré, probablement pianoté par un attaché militaire de l´ambassade, pour favoriser un ami, moyennant petits arrangements discrets, sachant qu’il n´y a, en ce domaine, aucune règle, ni obligation commerciale qui soit suivie de près. Icerbergrim est planquée à l’arrière de l’ambassade d’Arabie Saoudite, sur une place publique, face à la mosquée; ne paye aucune taxe, aucun impôt, aucune charge sociale et n’est nanti d’aucun numéro de contribuable. Elle emploie, uniquement, des étrangers, parfois en situation irrégulière, et transfère ses bénéfices directement en France. Tous ces acteurs clandestins de notre économie ne sont jamais inquiétés, ils sillonnent les routes pour livrer leurs gros clients dans des camions et des bus frigorifiques pleins de marchandises, parfois avec un chauffeur mauritanien, histoire de passer les postes sans attirer l’attention.    

Abus diplomatiques
Les ambassades, quant à elles, commandent, directement, des containers entiers de produits alimentaires et d’entretien, hors taxes, commandes dont bénéficient, également  hors taxes, ceux de leurs nationaux en odeur de sainteté auprès de leurs services, alors que cela est, en fait, strictement réservé aux membres du corps diplomatique. Au final, toutes les grosses représentations diplomatiques abusent de ce droit, dans notre petite ville où tout le monde se connaît, et nos commerçants chez qui l’on trouve tout, aujourd’hui, sont privés de cette clientèle fortunée, eux qui importent, sans bons de commande préalables, payent douane, taxes et loyers, et se retrouvent, dos au mur.
MCM n’est pas en reste. Le contrat de catering, en cours depuis près de deux ans, avec une équipe déplacée spécialement du Maroc – filiale de New-Rest, qui se fait, d´ailleurs, livrer, directement par camion, depuis le royaume chérifien –  a été obtenue dans des conditions opaques, par des proches du pouvoir. MCM décide, un jour, de se décharger des tracasseries du catering et de la gestion du site. Ils décident, à la surprise générale, de regrouper toutes les charges  dans un seul lot comprenant le catering, le nettoyage, l´entretien des locaux, le jardinage, le blanchissage etc. Plusieurs offres sont déposées. Les enveloppes ne sont pas ouvertes à la date prévue mais quatre mois plus tard. Personne n´est désigné, seulement des présélections, ce qui n’est absolument pas prévu par le dossier d´appel d´offres. Les soumissionnaires, qui ont payé le cahier des charges et effectué plusieurs visites, sont dans l´impasse. Mis sur la touche, ils attendent une décision qui ne viendra pas. 
On apprend, au bout de dix mois, que le marché a été remporté par New-rest qui ouvre une filiale, à Nouakchott, associée à une femme d’affaires bien connue, alors qu’il devait s’agir, selon le cahier des charges, d’une société strictement locale, active, avec une expérience dans le domaine. A l´époque et contrairement à plusieurs soumissionnaires, cette société n´était pas enregistrée au Ministère du Tourisme et n’avait pas de licence pour pratiquer la restauration. Elle n’était donc pas qualifiée. De plus, son dossier –  le reçu de paiement, s’il y en a eu un, devrait le prouver – ne faisait pas partie de l’appel d´offres. Même si elle est enregistrée, aujourd’hui, au registre de commerce et dispose d’un partenaire local bien appuyé au niveau de cette société, c’est un marché de gré à gré de plusieurs centaines de millions d’ouguiyas, sans aucun contrôle de l’administration mauritanienne, sans aucun respect des procédures et où tous les participants ont été floués, sans aucune vergogne, par les directeurs de la mine. Le contrat de New Rest avec MCM est arrive à terme et sans bruit faire. Nous pensons qu’il y a eu reconduction tacite ou encore stand by, le temps d’«organiser» la suite.

Un resto intouchable
Autre exemple: un homme d’affaires connu a  racheté le restaurant Schenker de Tevragh Zeina dont il a laissé la gestion à New Rest. Il est de notoriété publique que ce restaurant est, en fait, principalement un bar où l’on sert de l’alcool aux non-nationaux, donc aux Maghrébins et autres Occidentaux. Il faut juste laisser sa carte d’identité à l’entrée. Je signale que cet établissement, en activité depuis de nombreuses années et largement fréquenté par toutes les compagnies pétrolières, est resté épargné, tant par les impôts que par les campagnes contre les débits publics d’alcool qu’on a pu voir fermer, ces derniers temps. Schenker sauve les apparences puisque sa société de logistique ne donne pas dans la restauration. Mais, sous son couvert et avec la complicité du DG, Karim Azai, une tunisienne, Leila Feki, installa son commerce dans les locaux de Schenker et monta le restaurant. Travaillant en gros, ils approvisionnent les plates-formes et les sites de recherches pétrolières. En ville, ils nourrissent tous les expatries du secteur, à boire et à manger pour tous, un chiffre d’affaires en millions de dollars. Ils vendent, notamment, en gros, à des prix de l’ordre de 12 dollars le kilo d’oignons verts, 5 dollars celui de pommes de terre ; c’est dire les marges. Finalement, que nous reste-t-il, à nous, Mauritaniens? (Més)usant de ce que l’Etat demande d’acheter localement, les uns et les autres font en sorte que ce ne soient jamais des locaux qui profitent des marchés.
Qui donne donc l’exemple à ces sociétés? Personne n’a jamais entendu parler de sélection de fournisseurs pour le palais présidentiel, le palais des congrès, l’université de Nouakchott ou l’institut de Rosso. Pas d´appel d´offres, pour l´armée, la marine, la gendarmerie. Ils nourrissent des milliers d´hommes, tout au long de l´année, dans des conditions inconnues du public, sans cantines, sans normes d´hygiène, sans contrôle, contrairement à ce qui est exigé des civils, constamment harcelés par les services de l’administration qui donne la pénible impression de ne pas travailler pour notre confort mais pour le sien. Où et comment se fournissent, donc, l´Etat et l’administration mauritanienne? Quel est le budget, global, en produits alimentaires et d´entretien, de ses différentes institutions?
Au ministre des Mines, à celui du Commerce, aux autorités de régulation de passation des marchés, à la police des Mines, aux postes de police et de gendarmerie qui sont, partout, sur les routes, de faire appliquer les règles de concurrence loyale et d´exiger, immédiatement, des grandes sociétés qu’elles clarifient leur position. C’est un manque à gagner, énorme, pour notre économie, que ce désordre et ce laxisme ambiants.
Ils se doivent aussi de contrôler les marchandises qui transitent sur nos routes, d’en tracer l´origine, d’assurer la crédibilité du fournisseur, en l’astreignant à factures, cachetées par une société de la place.
Aux autorités mauritaniennes de donner l’exemple, d´exiger, des institutions, des appels d’offres réellement ouverts aux fournisseurs de la place, reconnus pour leurs activités, et pas à des particuliers ou des sociétés factices; et enfin, de protéger les commerçants et de ne pas laisser la porte ouverte à l’anarchie, dans ce secteur.

Ben Abdella

Source  :  Le Calame le 09/03/2011

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