Les femmes sont le thermomètre des mouvements dans le monde arabe

« Dans les sociétés arabes, les femmes demeurent un enjeu fondamental au cœur de toutes les batailles futures », écrit cette semaine dans l’Obs Souhayr Belhassen, première femme Présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme.

 

 

Françoise Giroud disait qu’ «il y aura égalité entre les hommes et les femmes, le jour où on nommera des femmes incompétentes à des postes de responsabilité.» On pourrait dire aujourd’hui que les progrès du statut des femmes dans les nouvelles sociétés musulmanes seront le mètre-étalon d’une véritable libération de la femme. Or ce n’est pas un hasard si les femmes, défiant tabous et stéréotypes, se sont imposées comme des protagonistes essentielles des différents soulèvements qui secouent des dictatures du monde arabe, particulièrement en Tunisie mais également en Egypte et jusqu’en Iran. Parce que ces femmes savent que les libertés qu’elles conquièrent indiquent le degré de liberté du mouvement en cours.


En jean-T Shirt ou drapées de noir, des dizaines de milliers de femmes ont fait entendre leur voix, dans les rues de Tunis, du Caire, de Manama ou de Sanaa, réclamant des réformes

 

Elles en sont le thermomètre : « Les femmes ont joué et continuent à jouer un rôle à part entière dans les soulèvements et les révolutions dans la région, et ce qui est essentiel, c’est qu’elles sont là en nombre, physiquement, dans les rues », estime Nadim Houry, chercheur chez Human Rights Watch. « C’est un signe d’espoir », dit-il, soulignant que les femmes « devraient maintenant jouer un rôle clef dans les nouvelles institutions issues de ces révolutions ». Que cela soit en jean-T Shirt ou drapées de noir, des dizaines de milliers de femmes ont fait entendre leur voix, dans les rues de Tunis, du Caire, de Manama ou de Sanaa, réclamant des réformes dans ces pays. A Bahreïn, où des milliers de manifestants majoritairement chiites réclament la chute de la dynastie sunnite des Al-Khalifa, les femmes ont participé en masse à la mobilisation, leur traditionnelles abayas formant un océan noir au sein des manifestations où hommes et femmes défilent séparément.


Asma Mahfouz, une jeune Egyptienne dont le blog vidéo appelant à la mobilisation a connu un énorme succès, est considérée comme l’une des voix ayant déclenché la révolte

 

Dans des pays les plus conservateurs, comme en Libye ou au Yémen, les femmes ont défié les normes sociales pour se joindre à la contestation, défilant dans la rue et parlant ouvertement aux journalistes, face caméra. « Les femmes jouent un rôle essentiel dans la région (…) et elles ont été un facteur-clé pour le démarrage » de la révolution, estime Tawakoul Karman, une militante yéménite, fer de lance de la mobilisation féminine contre le président du Yémen Ali Abdallah Saleh. « La révolution vise avant tout à renverser le régime. Mais elle a aussi permis de venir à bout de traditions archaïques, selon lesquelles une femme devait rester à la maison et en dehors de la politique », se réjouit-elle. Asma Mahfouz, une jeune Egyptienne dont le blog vidéo appelant à la mobilisation a connu un énorme succès, est considérée comme l’une des voix ayant déclenché la révolte sans précédent qui a entraîné la chute du président égyptien Hosni Moubarak le 11 février. « Si quelqu’un pense que les femmes ne devraient pas manifester, qu’il se comporte en homme et ose descendre avec moi dans la rue le 25 janvier », avait notamment lancé la jeune militante, voilée, dans une vidéo en arabe postée sur You Tube.

L’enjeu de cette bataille ne concerne pas seulement les pays arabes mais aussi nos banlieues où règne bien souvent un machisme exacerbé qui trouve ses justifications religieuses dans une interprétation fruste du Coran

En Arabie saoudite, où il n’y pas eu de mobilisation massive, des voix commencent cependant à se faire entendre notamment sous des pseudonymes féminins, via Facebook ou Twitter. « J’appelle les Saoudiennes à agir maintenant. Nos frères saoudiens nous ont trahies, car ce sont des lâches », écrit par exemple SaudiWomenRevolution. « L’important ce n’est pas seulement de se débarrasser du numéro un du régime, de chasser le dictateur », estime M. Houry. « Il s’agit aussi de se débarrasser de tous les « ismes » qui font que cette région est à la traîne: sexisme, confessionnalisme… » L’enjeu de cette bataille ne concerne pas seulement les pays arabes mais aussi nos banlieues où règne bien souvent un machisme exacerbé qui trouve ses justifications religieuses dans une interprétation fruste du Coran qui, malheureusement, reste dominante, alors que, si l’on suit les exégètes les moins conservateurs, l’islam offre à la femme, pour la première fois, la possibilité de rompre la chaîne de l’esclavage, d’être considérée – devant Dieu – comme l’égale de l’homme. Mahomet interdit le meurtre des petites filles, ordonne au mari de subvenir aux besoins de sa femme, crée pour la fille une part d’héritage qui – même réduite à la moitié de celle de son frère, qui a la charge des biens de famille – est, à l’époque, un progrès inimaginable. Lors de ses exploits spirituels et guerriers, Mahomet a toujours une femme à ses côtés. Loin des traditions bibliques qui font porter à la femme le poids du péché originel, l’islam lui prescrit donc, dès le VIIe siècle, des égards d’une surprenante modernité : Dieu est aux femmes autant qu’aux hommes. Pour Malek Chebel « Celles qui subissent le voile, venu des hommes, du milieu des hommes, de l’univers masculin : le frère, le père, l’imam, tout autour, le quartier… Et enlever le voile, loin de déplaire à Dieu, je pense qu’on peut plaire encore plus à Dieu, parce que on sera un individu. Et la femme pourra dire : je suis un individu, je suis une musulmane, qui s’assume et qui n’a pas besoin d’un fichu pour montrer qu’elle est musulmane. »

Jean-Marcel Bouguereau

Source  :  Le Nouvel Observateur ( blogs) le 07/03/2011

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