Comment l’Afrique noire observe-t-elle les révoltes tunisienne et égyptienne ? Les Subsahariens sont-ils prêts à faire de même ? Plusieurs ingrédients semblent déjà réunis pour que là-bas aussi, tout implose. Mais les soupapes de sécurité ne manquent pas.
Les « révolutions » en cours dans le monde arabe ne laissent personne indifférent en Afrique noire. Au Sénégal, ces chamboulements sont observés « avec beaucoup d’attention », souligne Baye Oumar Gueye, rédacteur en chef de Sud FM, première station de radio privée du pays. Cet intérêt particulier s’explique par les nombreux dénominateurs communs des peuples de ces deux ensembles géographiques et culturels.
Le plus important d’entre eux, en ces temps de contestation, reste « l’aspiration au changement », ajoute le journaliste. Sans parler des modes de gouvernance quasi identiques de leurs nations : une minorité qui s’accapare des richesses, laissant la majorité de la population dans une grande misère, le despotisme ou tout simplement les mêmes formes de dictatures. « Les dérives monarchiques » sont désormais légion dans les républiques du continent noir. La tendance, au niveau des présidences, est à la succession de père en fils.
Fils d’un père de président
C’est le cas du Togo : Faure Gnassingbé hérite du pouvoir après le décès de son père Gnassingbé Eyadema. Au Gabon, Ali Bongo prend le commandement après Omar Bongo. Le Sénégal pourrait subir le même sort car le vieux président Wade, à plus de 83 ans, remue ciel et terre pour imposer son fils Karim malgré l’impopularité de ce dernier.
L’avancée inquiétante de la pauvreté est également facteur de tension sociale. Déjà en 2008, plusieurs pays du continent, à l’instar de l’Egypte, avaient connu des vagues de protestions contre le coût de la vie trop élevé. Ces ressemblances poussent Tsingaré Tchaoumba, directeur de la commission nationale zimbabwéenne pour la justice et la paix, à s’attendre à ce que « les émeutes sociales arabes se prolongent en Afrique » car, ajoute-t- il, « les populations sont en train de souffrir. Ce sentiment, il le partage avec de nombreux Africains venus participer au Forum social mondial (qui s’est tenu du 6 au 11 février à Dakar).
L’Afrique est différente du monde arabe
Les révoltes des peuples tunisien et égyptien constituent un « signal fort pour les autorités africaines », souligne Mamadou Ngom, étudiant en géographie à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Cependant, « les contextes diffèrent d’un pays à l’autre », tempère son camarade Rassoul, étudiant en philosophie. Il rappelle que « ce ne sont pas les mêmes cultures que dans les pays arabes ».
Facteurs de stabilité sociale
En Afrique subsaharienne, « les facteurs de stabilité sociale sont nombreux », poursuit notre apprenti philosophe. Au Sénégal, par exemple, les marabouts jouent le rôle de stabilisateurs sociaux. Ces forces religieuses, sans être inféodées aux différents régimes en place, ont l’habitude d’étouffer dans l’oeuf toute forme de contestation à l’encontre du pouvoir au nom de cette stabilité. C’est l’une des particularités africaines que d’autres coutumes et traditions assurent dans plusieurs pays.
Liberté d’expression
Autre différence de taille avec le monde arabe : la liberté d’expression. Contrairement aux pays arabes où la presse est muselée, les pays du continent noir comptent des médias qui sont non seulement indépendants mais qui ne craignent pas non plus de critiquer le pouvoir.
La liberté de ton est plus une réalité au sud du Sahara – surtout dans des pays comme le Sénégal, le Benin, le Ghana… – que dans la sphère arabe et maghrébine. Pire, selon l’impression générale en Afrique noire, il n’y aurait aucune liberté au Maghreb et ailleurs dans les pays arabes.
A quand le tour ?
Malgré les efforts que leurs pays ont à faire en matière de progrès démocratique, les Subsahariens que nous avons approchés croient avoir des régimes politiques meilleurs que ceux de leurs frères arabes. Pour Baye Oumar Gueye, « ce n’est pas la même culture du pouvoir. En Afrique au moins, ce n’est pas la même famille qui monopolise toujours le pouvoir ».
Ces différences rassurent pour le moment certains. Le risque de contagion est pourtant bien réel. L’aggravation de la situation sociale dans presque tous les pays africains risque de tout faire imploser. « Reste à savoir quand, et dans quel contexte », s’interroge inlassablement le journaliste sénégalais.
Oumar Baldé
Source : Yabiladi le 19/02/2011