REVOLUTION EN TERRE ARABE

Les mouvements populaires qui sont arrivés à bout de deux chefs d’Etats présentés désormais comme les pires des dictateurs des temps modernes, et guère plus comme des leaders ayant redressé des systèmes économiques et éducatifs, sont en train d’être réédités en Algérie et peut-être au Yémen, au Maroc et ailleurs dans le monde arabe…

C’est à croire que l’année 2011 promet d’être le temps d’un réveil de toute la nation arabe après les rêves qui l’ont bercée depuis la fameuse Nahda ! Et pour cause, environ deux siècles après, les revendications semblent similaires même si les approches s’avèrent différentes.

Au XIXe siècle, la Nahda avait consacré la renaissance culturelle et politique arabe relativement à un désir de réinvention identitaire face à la décomposition politique de l’Empire ottoman.

En pratique les initiateurs de la Nahda, vont entreprendre de moderniser leur société par l’adoption de la traduction et de la diffusion d’ouvrages ainsi que par le développement de l’imprimerie. Le souci était de mettre la nation arabe sur la même longueur d’ondes que l’Occident, à défaut de le rattraper. Aussi, ce qui aujourd’hui se pose comme révolution des peuples arabes, pourrait être perçu beaucoup plus comme une libération, semblable à bien des égards à ce que la France a vécue en 1789 ; tellement il est clair que les bourreaux étaient ceux-là même qui gouvernaient. Sauf que du côté de la Nation arabe, le corollaire du clergé fait partie des bénisseurs d’une révolution qui les débarrasse des idoles (asnaam), ainsi qu’ont eu à se féliciter certains prêcheurs à la grande satisfaction de milliers de leurs disciples, après la chute de Ben Ali et de Mubarack…

Si la Nahda a été l’œuvre d’intellectuels issus de divers horizons, notamment religieux, et ayant opté pour la transposition des idéaux éminemment occidentaux comme les principes de raison et de démocratie, la vulgarisation de ces concepts tiendra dans les principes d’Unité (Tawhid) compris comme unité politique de la Oumma et unité religieuse ; le souci étant d’annuler les divisions de l’Islam et de revenir aux fondements. S’y ajoutent l’interprétation ou ‘Ijtihad’ des textes religieux pour rompre avec le principe de l’imitation ou ‘Taqlid’ et la Consultation ou ‘Shura’, mot retrouvé dans les textes sacrés qui sera le versant islamique du principe de la démocratie.

Ceci pour situer dans l’histoire les fondements d’une prédisposition des arabes en général à assumer la gestion politique de leur vie.

Sauf qu’il s’est passé comme une rupture entre ce réveil du monde arabe s’étant voulu à la fois un retour aux sources de l’islam et une adaptation à la modernité selon un modèle européen et la réalité des pouvoirs nés, dans certains pays, de la décolonisation. Là où la royauté a fait long feu, c’est une dictature incarnée par des Présidents indéboulonnables et qui la plupart du temps se sont proclamés guides : Libye.

Les enthousiasmes d’une Nahda, à promouvoir la démocratie, prendre en charge les droits de la femme et un traitement égal des citoyens sans distinction, vont être étouffés dans les répressions commises par les dirigeants des Etats arabes nés après les indépendances : Maroc, Tunisie…

Le XXe siècle va être marqué dans le monde arabe par l’avènement d’un culte de la personnalité voué aux leaders, allant jusqu’à prendre la forme d’idéologies : le Nassérisme par référence au nationalisme incarné Gamal Abdel Nasser et le Baathisme symbolisé essentiellement par Saddam Hussein aux yeux de ses inconditionnels…

Il y a eu également les gros titres faisant que les dirigeants s’entouraient de toute sorte d’immunité vis-à-vis de leurs sujets ou administrés : au Maroc, le roi est « protégé par Allah », en Libye le leader est en même temps « Le Guide suprême et le Frère », en Egypte, le président porte le titre de ‘Rais’, mot arabe se rapprochant du sens de la « tête » la partie la plus indispensable au corps…En Arabie Saoudite, le roi est le serviteur des deux lieux sacrés (Mecque et Médine)…Bref, quand on est à la tête d’une Nation arabe, on est comme le roi qui dans l’Europe féodale recevait sa couronne de Dieu !

C’est cette situation qui a prévalu des décennies durant dans le monde arabe, surtout dans sa partie située dans le Nord de l’Afrique.

Dans l’autre partie influencée par la situation au Moyen Orient de l’après guerre, les adeptes d’un islamisme né depuis 1928 se retrouveront alors au coeur de presque tous les événements. On le voit combattre en Palestine en 1948, soutenir un certain roi Farouk dès le début de son règne, s’opposer à Abdel Nasser, se réconcilier avec Anouar Al Sadate. On les a vus se rebeller contre ce dernier puis contre son successeur Hosni Moubarak.

Fortement idéologique, le mouvement des frères musulmans va dans le monde arabe se caractériser par une variation dictée par les contextes politiques. Et les hostilités seront là pour nourrir les enjeux. Mais les différents courants qui pourraient être issus de l’école des frères musulmans n’auront pas droit à la même perception ni au même type de relations de la part des régimes arabes influencés pour la plupart par les Européens. Pas de dialogue avec le Hamas en Palestine mais soutien à l’intégration en Irak du Parti islamique irakien ; et puis neutralité à l’égard du mouvement  » La Société de la Paix  » en Algérie.

 

 

On pourrait déduire de ce rappel historique que les Etats arabes modernes issus pour la plupart d’un rapport avec l’Occident se soient développés en calquant certes un modèle occidental au plan culturel et certainement économique. Mais on notera en même temps que l’aspiration démocratique a été une utopie. Car si celle-ci devait correspondre à une liberté d’expression, à des alternances au pouvoir, à un juste partage des richesses, les pays arabes ont pratiquement échoué à la réussir. Leurs élites l’auraient-elles souhaitée, il s’est toujours trouvé des dirigeants adossés à des puissances occidentales pour les réprimer violemment. D’où les dictatures et aux mains d’acier. D’où surtout un système de corruption conçu pour garantir longévité à leurs pouvoirs : l’Egypte, la Tunisie et peut-être demain l’Algérie et le Maroc, passent pour être les exemples vivants de systèmes perçus jusque-là comme solides.

Ce ne sont pourtant pas les raisons de secousses qui ont manqué. Il s’en est trouvé des plus impressionnantes….

Et depuis longtemps…Dans le Maghreb Arabe, le sort des islamistes oscille entre Exil, incarcération et répression…

Et jusqu’à peu avant la chute de Moubarack, l’exclusion en Égypte du jeu politique des islamistes était flagrante…

Aujourd’hui, comme si l’histoire était en train d’obéir à une certaine phénoménologie, le mouvement islamiste est en train de resurgir à la faveur des révolutions que connaissent les pays arabes. On les voit prendre part aux manifestations de rues, en Algérie, et en Egypte ; revenir au pays après la chute de l’Ennemi : en Tunisie. C’est dire que les enjeux de ces soulèvements ne sauraient être fixés en dehors d’une implication de ces mouvements longtemps réprimés dans le monde arabe au nom d’un modernisme et d’une démocratie jusque-là pas réalisés de façon satisfaisantes.

C’est pourquoi, la considération d’une nature arabe qui justifie la propension à céder aux injonctions de la rue n’a d’égal que l’observation des discours religieux servis comme breuvage magique dans d’autres pays arabes ou semi arabes. En effet, dans la plupart des pays où des mouvements de liesses populaires ont accompagné les pressions des rues en Tunisie et en Egypte, on a entendu des imams, des chefs religieux et des leaders d’obédience islamistes récupérer les sorts des chefs d’Etats fragilisés. Les présentant désormais comme des espèces de Satan ou des idoles, les leaders d’opinion ont réussi à faire passer les dirigeants de leurs Etats pour des ennemis à abattre. C’est pourquoi, très rares sont ceux parmi les chefs religieux et autres dirigeants de partis politiques qui dans le monde arabe ont désapprouvé voire condamné les actes de suicide qui ont participé à la révolte. Au contraire, il s’en est trouvé qui ont cherché à justifier l’auto immolation au feu et à en faire porter la responsabilité aux seuls dirigeants des pays où ces actes ont été commis…

Kissima

La Tribune N°537 du 14 février 2011

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