Samory Ould Beye : « s’il s’agit de la solidarité c’est certainement entre le pouvoir publique et les hommes d’affaires et non pas entre le pouvoir et les populations »

Essirage.net : Monsieur Samory Ould Beye, vous avez dit jeudi lors d’une sortie des centrales syndicales à propos de la cherté de la vie que 80% des mauritaniens sont touchés par la pauvreté. Sur quelle base concrète-vous avance ce chiffre ?

 

Samory Ould Beye : Sur la base des réalités et des statistiques officieuses .par rapport à la pauvreté il est claire que 80% des mauritaniens vivent la précarité, la pauvreté ; et que d’autres vivent dans la pauvreté extrême. Nous savons qu’une poignée des mauritaniens s’accapare des richesses de ce pays dont ils s’approprient au détriment des autres groupes. D’où cette masse énorme sombrant dans la misère et la pauvreté du fait du comportement abusif de ceux là qui contrôlent tout sans vergogne ; gérant ainsi les affaires du pays comme on gère sa boutique de maison. Donc j’estime aujourd’hui qu’il faut chercher à redresser les choses à asseoir les bases et règles de partage des richesses nationales entre les composantes nationales de manière équitable.

Il faut que les options politiques incarnent les préoccupations de ces nombreux mauritaniens qui vivent cette situation déplorable qui en réalité perdure et constitue le germe de mépris et de haine, sources de division et d’instabilité.

Aujourd’hui après cinquante ans ou un demi-siècle d’existence, nous sommes un des pays, disons les plus riches dans la sous région compte tenu de ses ressources multiples. Que ce soit les ressources halieutiques et Minières, élevage et autres avec une population ne dépassant pas les trois millions, nous avons beaucoup d’autres opportunités dues à notre position stratégique d’appartenance aux mondes arabe et africain. Toutes ces opportunités normalement doivent offrir au pays cette possibilité de pouvoir réellement répondre aux besoins essentiels des populations et de créer des conditions propices pour le développement et pour aussi le progrès social auquel aspire légitimement tout un chacun. Malgré tout cela le pays reste au bas de l’échelle des pays les plus pauvres et sa population se trouve dans une situation difficile, C’est pourquoi nous sommes inquiets pour le sort et l’avenir de ces travailleurs et de ces populations laissés pour compte, qui sont totalement marginalisés et qui vivent aussi l’exclusion sociale.

Essirage.net : Avez-vous l’impression d’avoir réussi à mobiliser les masses à l’issue de ce meeting qui est intervenu en même temps que l’ouverture par les autorités des 600 boutiques dites de solidarité à l’intentions des populations démunies ?

Samory Ould Beye : Oui, nous avons fait un travail de mobilisation et on espérait avoir une bonne présence, seulement dieu a fait que la journée était une journée de pluie et de froid ce qui a perturbé carrément le meeting, la circulation comme vous l’avez constaté, depuis lors est quasiment bloqué à tous les niveaux, cela à eu effectivement un impact néfaste sur la mobilisation de toutes les façons nous allons redoubler d’effort pour que la mobilisation pour la marche du jeudi 10 février soit une mobilisation réussie. Les travailleurs, aujourd’hui sont conscient qu’il y’a une situation grave à la quelle il faut réellement faire face par l’action en vue d’amener le gouvernement à prendre les mesures adéquates  en vue de résoudre cette situation.

Par rapport aux boutiques témoins. Je ne sais pas pourquoi ça s’appelle boutiques de solidarité. Ce mot de solidarité qu’on leur à donné vient faire quoi ? Puisque d’abord s’il s’agit de la solidarité c’est certainement entre le pouvoir publique et les hommes d’affaires et non pas entre le pouvoir et les populations. Il s’agit des arrangements entre le patronat et le gouvernement. Comme on l’a toujours vu par le passé, le gouvernement accepte de subventionner le patronat afin que ce dernier puisse présenter certaines denrées aux populations. Donc les hommes d’affaires profitent de cette subvention de l’état, qui parfois est très importante alors qu’elle pouvait servir à la création des activités génératrices de revenus, de richesses et d’emplois de manière à réduire le chômage et à créer un pouvoir d’achat censé améliorer les conditions de vie des travailleurs et des populations en général. On aurait mieux fait pour ces populations car le problème ce n’est pas d’ouvrir des boutiques mais c’est d’avoir le moyen de se procurer ce dont on a besoin ; étant entendu que l’essentiel est de permettre au citoyen d’avoir un pouvoir d’achat acceptable, raisonnable. D’avoir un revenu lui permettant réellement de pouvoir acheter le minimum pour vivre, de pouvoir faire face à ses obligations (se soigner, éduquer ses enfants, se loger…

Pour ce qui est des denrées que l’on vend dans les boutiques, c’est aussi des avaries. Ce qui est dangereux et grave. La qualité de ces produits n’est pas du tout bonne. C’est des choses qu’on récupère n’importe comment et n’importe où que l’on vend aux populations, Nous ne voulons pas que nos populations soient exposées à des maladies dangereuses, ou d’autres dangers issus de ce genres de produit. Ceci étant j’estime que cela n’est pas la bonne politique, ni la bonne solution pour faire face à cette situation. Mais, la meilleur solution serait d’abord d’accepter de discuter avec les acteurs concernés, de les écouter sur les solutions et sur les mesures adéquates à même de pouvoir aider à la solution de cette crise. Penser aux vrais problèmes qui sont entre autres le chômage, la précarité, l’absence de toute activité génératrice de revenues, absence également des services de l’état. Aujourd’hui l’état ne rend plus de service aux populations. Que ce soit au plan sanitaire, social ou autre. L’état a depuis longtemps démissionné de ses missions classiques pour laisser les populations avec leurs propres difficultés. Tout ce qu’on fait comme politique, comme planification n’ont jamais eux d’impact sur la vie des citoyens, ni sur le développement du pays, ni sur le progrès social, On ne peut pas toujours continuer à nous dire cette politique, dans quelques mois ou années, vous apportera les résultats escomptés alors qu’il ne s’agit que de discours, un discours que nous avons toujours écouté, entendu et qui continue toujours d’être véhiculer. Nous pensons qu’aujourd’hui il faut réellement du concret, mais aussi le respect du droit des travailleurs. Créer des opportunités d’emplois et de richesses. Créer surtout l’égalité des chances entre les fils de ce pays, l’égalité de chance qui reste toujours un problème majeure et fondamental. Puisque quand nous sommes dans un pays ou on vit une situation d’exclusion, de discrimination devant l’emploi, ca pose vraiment un problème. Il faut que les richesses du pays puissent profiter à tous. Nous pensons que ca doit être parmi les priorités de l’Etat, car il s’agit là de l’injustice qu’il faut bannir.

Si il n’y a pas de justice, il n’y pas de stabilité, s’il n’y a pas de stabilité il n’y a pas de développement et s’il n’y a pas de développement il n’y a pas de pérennité d’existence de l’état nation.

Donc nous estimons qu’il y’a beaucoup de choses à faire. Il est temps de passer au concret au lieu de rester au niveau des discours. Donc nous estimons que cette situation nécessite que les partenaires sociaux dialoguent, discutent. Nous avons en tant que coordination d’organisations syndicales soumis à l’état une plate forme comme on a soumis d’autre auparavant. Et Nous avons exprimé notre désir de discuter avec les autres partenaires, d’une manière sereine afin de déboucher à des solutions consensuelle, Jusqu’à présent aucune réaction ne nous est parvenue et c’est ce que nous avons toujours déploré, et c’est ce que nous déplorons également aujourd’hui.

 

Essirage.net : Cette semaine, à l’occasion de l’ouverture de la session extraordinaire de l’assemblée nationale, Messaoud Ould Boulkheir a appelé au dialogue la majorité et l’opposition. Sachant que vous faites partie également des cadres d’El Horr au sein du parti APP, croyez- vous qu’un tel discours est de nature à apaiser les harratines perçus aujourd’hui comme une force ouvrière qui peut être sensible à certaines revendications ?

Samory Ould Beye : Le dialogue, nous avons toujours appelé au dialogue et nous continuons toujours à appeler au dialogue. Puisque nous estimons que le dialogue est l’outil important pour la solution de tous les problèmes. Mais quand on parle de dialogue c’est le dialogue constructif, sincère et objectif, qui de nature à pouvoir déboucher sur des choses aussi réelles. Effectivement quand vous dites que les harratines qui constituent ce lot d’ouvriers malchanceux, je dirais moi malheureux et maudits vivant dans un pays ou on se soucie pas de leur sort, de leur situation, de leurs conditions de vie de l’image honteuse que cela représente. Ces gens malgré leur nombre, leur enracinement dans ce pays restent toujours victimes de l’injustice, du mépris, de la haine.

Des gens considérés comme des outils maniables, corvéables. La situation à mon avis nécessite une prise de conscience nationale et aussi des décisions courageuses au plan national pour résoudre les problèmes d’injustice. Que ce soit au plan politique, social ou économique, on voit à travers le pays, une seule composante qui est là, n’ayant comme rôle social que de servir l’autre et seulement servir et qui vit tout le temps dans la précarité absolue, dans la pauvreté extrême… Elle est discriminée quand il s’agit de crédit agricole ou tout autre projet de l’état. Cette situation d’injustice caractérisée ne peut pas continuer et je pense que beaucoup de messages ont été lancés en direction du gouvernement et les acteurs de la société civile que ceux des partis politiques. Mais, aucune réaction rassurante, aucune prise de conscience convaincantes n’est enregistré pour dire qu’il y’a un sérieux problème national qu’il faut résoudre. Personne ne refuse le principe de dialogue mais quand il faut dialoguer il faut dialoguer sur des questions essentielles. Il faut chercher les solutions réelles et non pour faire taire des cris d’alarme et de détresse, ou pour duper l’opinion, pour tromper les gens par des soit disant mesures politiques, Aujourd’hui il y’a une prise de conscience sérieuse chez les harratines pour refuser de vivre indignement. Ils veulent du sérieux et du concret. Si à travers le temps, les âges, ces gens se sont tus sur la situation qu’ils vivaient, aujourd’hui il faut que les gens comprennent que ces personnes n’acceptent plus de vivre comme des ânes. Il sont là, ils chargent et déchargent. Ils en train de prendre des ordures devant les domiciles de ceux qui vivent le privilège insolent. De manière injuste. Ils n’acceptent plus d’être ces gens qu’on amène pour garder les fortunes des autres laissant derrière eux des enfants qui meurent de faim alors qu’ils n’ont pas la capacité de les amener se soigner. Alors qu’il n’a pas la capacité de les éduquer. Tu peux aller faire des sondages dans les adwabas, les écoles on les ouvre pour des questions politiques mais ils ne font produire aucun élève. Tu trouveras des écoles qui sont là depuis 12 ans ou 15ans ; mais aucun élève n’a pas dépassé la 6e année primaire. Puisqu’il n’y a pas cette volonté, il n’ya pas cette politique véritable d’assister ces gens et de les aider à sortir de leur ignorances, à sortir de cette situation d’arriération. Je pense qu’il y’a possibilité de se rattraper mais il faut y aller et vite.

 

Essirage.net : Il y a eu par ailleurs la condamnation à six mois d’emprisonnement fermes de la femme accusée par Biram et ses partisans de l’IRA d’esclavagisme sur mineure mais jugée pour exploitation de mineure. Cette femme a été libérée par la Cour de Cassation alors que Biram et deux autres de ses compagnons purgent leur peine. Quelle réaction cela suscite-il chez vous ?

Samory Ould Beye : Ma réaction à cela est simple, puisqu’il s’agit d’un pays de l’injustice caractérisé. Un pays ou certaines composantes n’ont pas ce même droit, n’ont pas cette même valeur, n’ont pas cette considération. C’est pour cette raison que nous dénonçons aujourd’hui cet état des choses. Nous voulons plus de justice, plus d’équité. Nous sommes trop attachés à ce pays, nous devons tous ensemble travailler pour préserver ses acquis et consolider les bases de son développement ainsi le renforcement de l’unité nationale et la cohésion de son peuple, cela implique la destruction de certains remparts et l’élimination de certaines pratiques odieuses. Ce cas de problème d’esclavage, depuis toujours c’est de la même manière qu’on le traite quand il s’agit d’esclavage. On essaie toujours de présenter les défenseurs des droits de l’homme comme étant eux même l’agresseur, qui mérite la sanction et on a toujours présenté l’autre comme étant agressé, l’innocent, la personne à protéger et c’est ce qui est arrivé dans ce cas. On a terminé le jugement pour ramener le cas à un problème de mineur alors qu’il s’agit d’un problème d’esclavage pur et simple. Mais seulement pour ne pas appuyer un jugement pour des cas d’esclavage ou d’esclavagistes on a préféré que ca soit un autre problème de mineurs. Mais aussi une occasion d’amener ceux qui luttent et continuent de lutter contre l’esclavage à se décourager à voir peur de la prison ,ils se trompent pourtant car cela ne fait que durcir les positions et pousser à la radicalisation, Alors que tout cela en réalité c’est des choses qui doivent appartenir à l’histoire et dans un état moderne on doit pouvoir surmonter ces questions, on doit pouvoir créer normalement un environnement propice à la promotion de la personne, à la protection des droits fondamentaux du citoyens à vivre dans un environnement normal, garantissant ses droits d’expressions, droit à vivre dignement comme d’autres citoyens. Donc nous estimons que ces choses là méritent encore beaucoup de travail au niveau de l’ensemble des collectivités, des institutions et aussi particulièrement de l’état qui reste encore un état esclavagiste. Un état de discrimination. Parce que ce qui se pratique ici il n y’a rien qui le différencie de l’idéologie d’apartheid. Nous le disons parce que nous voulons que ca change. Nous le disons parce que nous pensons que les personnes sur qui on exerce cette politique en ont marre et veulent que cela cesse.

Nous ne pensons pas à la revanche mais à créer cet environnement qui permet de bâtir la confiance, à renforcer la cohésion nationale, l’unité nationale mais sur des bases juste, de respect mutuel réciproque et d’acceptation.

Que l’état soit notre état à tous, qu’il n’y ait pas de discrimination dans les institutions pour bloquer certains de leurs promotions ou de leurs droits en tant que citoyen de ce pays. Ils doivent avoir cette entière appartenance à cet état. Je pense qu’ils doivent participer à la construction de ce pays, à sa gestion. Ils doivent trouver leur figuration dans l’échiquier politique et à tous les niveaux. Personne ne doit y voir une agression à son encontre ou une velléité quelque contre lui mais une manière de vivre tous ensemble au même pied d’égalité et dans le respect mutuelle et réciproque.

Interview réalisé par Oumar Amadou M’baye

Source  :  Essirage le 01/02/2011

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