Interview. Dah Ould Abdeljelil, ancien ministre de l’Intérieur, membre fondateur du parti ADIL

‘’La politique suivie par le pouvoir actuel menace l’existence même de notre pays il est un devoir patriotique, pour chaque citoyen, de s’y opposer’’.

 

Le Calame : Une partie d’ADIL a choisi de rejoindre la majorité présidentielle. Votre groupe a choisi de rester dans l’opposition. Quelles sont les raisons de cette scission ? Sur quoi avez-vous divergé ?

 

Dah Ould Abdeljelil : Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez. Je n’ai pas l’intention de développer une polémique avec les amis qui, comme vous l’avez dit, ont rejoint la majorité. Je me limiterai, donc, à des réponses brèves à vos questions. Nous avons divergé sur deux points. Au départ sur l’opportunité, pour ADIL, de faire un dialogue séparé avec le pouvoir. Pour notre part, nous avions défendu le principe d’un dialogue global avec l’opposition, ce qui, à notre avis, donnait plus de force à celle-ci et plus de paix au pouvoir. Mais l’insistance de certains de nos amis, aujourd’hui passés de l’autre côté, nous a amenés à céder sur ce point, dans un souci de préserver l’unité du parti. Nous avons, ensuite, divergé sur l’évaluation des résultats de ce dialogue. Nous les avions prévenus, dès le départ, que nous ne pourrions les accompagner qu’à partir d’un seuil raisonnable de concessions de la part du pouvoir. Nous avons estimé que le pouvoir n’a, enfin de compte, rien cédé. Même pas l’engagement de prendre une loi incriminant les changements anticonstitutionnels, ce qui était demandé et qui, pour le moment, profite, tout d’abord, au régime en place.

 

Quelles sont les raisons qui ont poussé votre groupe à ne pas intégrer la majorité présidentielle ?

 

Les mêmes raisons qui nous ont poussés, au départ, à l’opposition. Je voudrais, avant d’énumérer certaines d’entre elles, préciser que nous sommes loin de tout extrémisme et qu’au sein d’ADIL, du FNDD et de la COD, nous avons, toujours, défendu des positions modérées. Nous nous sommes opposés aux maximalistes qui défendaient le retour du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi pour tout le reste de son mandat et pensions qu’il fallait chercher une solution de sortie de crise plus raisonnable, compte tenu du rapport de forces. Nous avons défendu le principe de reconnaître la légalité du pouvoir issu du scrutin de juillet 2009. Mais nous continuons à croire que la politique suivie par le pouvoir actuel menace l’existence même de notre pays et qu’il est un devoir patriotique, pour chaque citoyen, de s’y opposer. Oui, c’est un devoir que de s’opposer à l’aliénation de la souveraineté du pays, qui, au départ, a été livrée à la provocation de Kadhafi, occupant le palais présidentiel pendant une semaine, puis la mise à la disposition de Wade qui appelait, sans gêne, à son domicile, toutes les autorités du pays, y compris le Conseil Constitutionnel, pour lui donner les instructions de transgresser les textes en faveur d’Ould Abdel Aziz, et, enfin, ce qui reste de cette souveraineté a été récupéré par la France qui a, directement, pris le commandement de notre armée et s’en sert, comme elle veut et selon ses propres intérêts dans la région. Oui, c’est un devoir que de s’opposer à la destruction de l’armée nationale, noyau dur de l’Etat et de la Nation, par l’injustice dans les promotions (les faux généraux ont été promus avant 16 colonels plus anciens qu’eux), l’envoi en exil (dans les ambassades) de plusieurs générations d’officiers, privant, ainsi, l’armée de leur expérience, et la politisation de l’armée, en mêlant les officiers aux campagnes électorales. S’opposer à la liquidation de l’Etat et de son administration par des recrutements clientélistes, ignorant les textes de la fonction publique, et en dépouillant les fonctionnaires de leurs avantages matériels et financiers, privant, ainsi, l’Etat des compétences qu’il a développées au cours de décennies entières. Savez-vous que le principal responsable chargé de mener la réforme de l’état-civil, celui au profit duquel toutes les autorités administratives et municipales ont été dépouillées de leurs prérogatives en la matière, au point qu’un parlementaire a trouvé qu’elles ressemblent, désormais, à des ONGs, savez-vous que ce monsieur-là n’a aucune expérience dans le domaine et s’occupait de la distribution de gaz butane? Savez-vous que celui qui est en charge de la planification économique vendait des pizzas aux USA? S’opposer, également, à la faillite de l’économie du pays dont les principaux opérateurs nationaux ont été jetés en prison et leurs banques ruinées. S’opposer au sabotage de l’unité nationale par l’encouragement de tous les particularismes, sociaux ou ethniques. Tous les mécanismes que feu Moktar Ould Daddah avait mis en place, pour protéger le peuple mauritanien d’être inondé par les mouvements migratoires, aujourd’hui plus menaçants qu’hier, ont été réduits à néant, par la nouvelle loi qui instaure la double nationalité. Les raisons sont évidentes, puisque le gouvernement actuel est, pour une partie, composé de doubles nationaux ou de naturalisés. Même des commandements militaires importants ont été confiés à des naturalisés. La double nationalité implique une double appartenance et une double loyauté. Cela veut dire que, parmi ceux qui nous gouvernent, certains ont d’autres patries et, en cas de divergence d’intérêts, avons-nous des assurances qu’ils opteront pour l’intérêt de la Mauritanie? Les problèmes qui se posent, donc, au pays sont très sérieux et ne peuvent pas être occultés, sous prétexte de recherche d’emplois ou de protection d’intérêts d’une petite communauté locale ou tribale. Tout patriote responsable ne saurait, donc, venir cautionner une telle politique. Cela ne veut pas dire que dialoguer avec un tel pouvoir est à exclure. Plus la situation est jugée grave, plus elle justifie que les compromis doivent être recherchés, sur la base de programmes alternatifs pour sauver le pays.

 

 

Qu’est ce qui vous opposait aux autres membres du parti ? S’agissait-il de la démarche ou du contenu de l’accord ? Certaines rumeurs rapportent que votre groupe trouvait très vagues les termes de l’entente ou y avait-il d’autres problèmes de fond ?

 

J’ai dit plus haut que les divergences se situent au niveau du résultat auquel on est parvenu et non au niveau du principe. Il y a une différence entre discuter avec un pouvoir pour l’amener à modifier sa politique, afin d’éviter, au pays, des périls très graves, et rejoindre ce pouvoir sur la base de son propre programme. Dialoguer, pour faire changer la politique du pouvoir, est un impératif urgent. Rejoindre le pouvoir, sans engagements de réformes majeures, est une démission.

 

Vos anciens amis du parti expliquent leur geste par le fait que la COD tournait en rond, qu’elle était minée par des divergences entre certains de ses dirigeants. Etes- vous de cet avis ? N’y aurait-il pas d’autres raisons qui justifient ce que certains qualifient de « précipitation » ?

 

D’abord, les intéressés demeurent encore nos amis, peut-être plus amis de parti, mais des amis tout de même. Ensuite, j’ai dit, au départ, que je ne fais pas de polémique, donc, je ne qualifie ni de précipitation ni d’autre chose leur geste. En ce qui concerne la situation de la COD, elle ne peut pas être évoquée comme raison, parce que nous nous sommes opposés à ce pouvoir, avant que ce cadre n’ait vu le jour. La COD aurait pu ne pas exister que cela n’aurait, en rien, justifié qu’on rejoigne ce régime, sans obtenir des concessions optimales de sa part, ou avoir changé d’avis quant à sa nature et aux risques que sa politique fait peser sur le pays. Les difficultés éventuelles de la COD devaient, plutôt, nous interpeller davantage, pour améliorer les performances de celle-ci. Elles ne devaient, en aucun cas, impliquer qu’on rejoigne l’autre bord.

 

Que gagne ADIL en rejoignant la majorité dans la mesure où les responsables du groupe indiquent qu’ils n’ont pas négocié de portefeuilles ministériels ?

 

Vous ferez mieux de poser cette question aux intéressés eux-mêmes.

 

L’accord d’entente a-t-il été négocié directement avec le président de la République, ou avec son parti l’UPR ?

 

La plateforme lui a été remise directement et il avait promis de désigner quelqu’un de son cabinet avec un membre de son parti. Puis il semble qu’il ait changé d’avis et a confié tout à l’UPR.

 

Qu’est ce qui garantit, à votre avis, l’application des clauses de l’accord d’entente ?

 

 

Là également, vous ferez mieux d’interroger ceux qui l’ont signé. Mais je crois savoir que, dans une interview à votre confrère de «La Tribune», Ould Abdel Aziz aurait nié avoir pris un engagement quelconque, vis-à-vis de qui que ce soit et qu’il avait renversé Maaouya et Sidi Ould Cheikh Abdallahi, justement à cause de ce genre de politiciens et qu’il serait, donc, exclu qu’il traite avec eux.

 

Selon certains responsables du parti, l’entente a été scellée pour décrisper la scène politique, provoquer un déclic politique et donner la chance au dialogue que chaque camp appelle de son côté. Partagez-vous cet optimisme?

 

Si je partageais cet optimisme, je serais parti avec mes amis, comme vous les appelez, à juste titre. Si la volonté était de faire réussir le dialogue, on aurait pu attendre de le faire ensemble avec l’opposition. On n’aurait pas aussi donné au pouvoir le goût du ralliement sans contrepartie.

 

Qu’envisagez-vous de faire maintenant ? Fonder un autre parti ou réintégrer un parti politique de la place ? Ou bien allez- vous poursuivre les négociations avec le pouvoir ?

 

Ni l’une ni l’autre hypothèse, pour le moment. Nous inscrivons notre action dans le cadre de la COD, avec le statut de personnalités indépendantes. Nous nous associerons, de ce fait, à ce que celle-ci fera comme dialogue avec le pouvoir.

 

En rejoignant la majorité présidentielle, ne pensez-vous pas que le combat mené par Adil, depuis le FNDD jusqu’à la COD, pour la démocratie et l’alternance démocratique, soit vain ?

 

Non, ne soyez pas aussi sévère avec nos amis. Il sera toujours inscrit en lettre d’or à leur actif, le combat qu’ils ont mené, contre le coup d’Etat et pour la démocratie. Il y a, parmi eux, des femmes et des hommes de grande valeur qui ont, rarement, manqué les grands rendez-vous que le pays a eus avec l’Histoire et qui, je n’en doute pas, continueront à avoir à cœur les problèmes nationaux et ne manqueront pas, quand ils se rendront compte qu’ils n’auront pas l’espace nécessaire pour servir la patrie et approfondir sa démocratie, de se raviser.

Propos recueillis par Dalay Lam

Source  :  Le Calame le 11/01/2011

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