Otages au Niger : « Les opérations militaires ne sont pas une réponse suffisante »

Ahmedou Ould-Abdallah, ancien représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Somalie.

( Chat sur le site du Monde )

Guest : Que veut Al-Qaida au Maghreb islamique ?Ahmedou Ould-Abdallah : Si l’on croit ce que les dirigeants de ce groupe disent, ils veulent appliquer les principes islamiques. Mais mon expérience dans ce domaine me rend très sceptique. Tant que je n’ai pas vu des écrits dûment authentifiés, je doute beaucoup de ce qui se dit, s’écrit ou s’attribue à tel ou tel groupe. Je ne peux donc pas répondre à votre question.

Amandine Palite : Quelle doit être la réponse des Occidentaux à cette menace permanente que fait peser l’AQMI ? Peuvent-ils parler d’une seule voix, ou les Etats sont-ils condamnés à affronter seuls cette menace ?

Bonne question. Je ne peux y répondre que compte tenu de mon expérience personnelle. Je pense que, s’il y a un problème dans la région du Sahel – cette région qui couvre la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Sud libyen et le Sud algérien, mais aussi d’autres régions –, l’assistance internationale doit d’abord identifier la menace. Si celle-ci est régionale, elle concerne en premier lieu les pays concernés : Algérie, Mali, Mauritanie, Niger, et éventuellement le nord du Nigeria, le Burkina, le Sénégal, peut-être la Libye ou le Maroc dans une grande mesure.
Les pays concernés doivent assumer leurs responsabilités à deux niveaux : premièrement, ouvrir leur système politique pour qu’il n’y ait plus de mentalité de parti unique, faire des coalitions ou des alliances internes pour que chaque zone du pays se sente partie prenante au jeu politique national et que les gens se sentent bien chez eux.
Je ne dis pas que c’est facile, mais, avec les ressources disponibles dans ces pays, il est possible de donner un espoir et un travail à tous ceux qui se font recruter pour agir contre leur pays. Cette action contre les pays n’est pas nécessairement idéologique. Les gens s’ennuient, ce sont des jeunes, sans avenir, sans travail stable.
Ils sont le « lumpen prolétariat ». Je ne dis pas qu’il n’y pas de convaincus, mais la majorité agit par manque d’espoir.
D’autre part, les pays concernés, qui ont fait un comité de lutte et de coopération à Tamanrasset, doivent le faire fonctionner sérieusement pour qu’il ne soit pas une simple organisation régionale de plus, mais un vrai état-major opérationnel, doté de moyens.
Il est très important que l’Algérie, qui a une grande expérience dans la lutte contre les violences, qui a plus de moyens techniques et financiers, joue le rôle moteur, et cela demande deux conditions. Qu’elle soit patiente avec ses voisins, et qu’elle soit généreuse avec eux.
L’assistance extérieure ne peut être qu’un appoint. Il faut éviter d’internationaliser davantage la question.

L’Afrique est-elle sous la menace d’une radicalisation de son islam réputé tolérant ? Les imams intégristes semblent prendre davantage de place dans la vie sociale et publique, notamment en s’opposant à certaines réformes. Je pense au « retoquage » de la réforme du Code de la famille voulue par le président malien en 2009 qui a dû être abandonné sous la pression du Haut conseil islamique, un exemple parmi d’autres…
Je ne pense pas. L’Afrique, bien sûr, n’est pas immunisée. Il y a deux grands problèmes : celui de l’inclusion politique, que j’ai évoqué plus haut – il faut que les régimes s’ouvrent, et celui de la coopération régionale. Tous les gouvernements concernés sont légitimes, mais n’ont pas les moyens de contrôler la sécurité.
Dans un régime ouvert, que des imams se comportent de telle ou telle manière, plus ou moins modérée, cela relève de la gestion de l’Etat. Cela doit pouvoir se gérer de manière démocratique. Il ne faut pas accepter des ingérences extérieures.

Pourquoi les pays africains ne dialoguent pas assez avec les oulémas religieux afin d’éviter les dérives sectaires de certains extrémistes qui en profitent pour politiser à dessein l’islam ?
Je ne suis pas un spécialiste de la religion. Nous n’avons pas en Afrique de l’Ouest de hiérarchie religieuse. La religion est plutôt individuelle. Je pense que le gouvernement doit parler avec tout le monde : les imams, les travailleurs, les hommes d’affaires…
Si la religion occupe une place forte, c’est qu’il y a eu un vide politique.

Ne craignez-vous pas que l’enlèvement des otages se solde, comme pour Michel Germaneau, par leur assassinat pur et simple par les djiadistes d’AQMI ? Ce qui revient, si on pousse le cynisme, à une forme de « dommage collatéral » dans la guerre que la France dit mener contre AQMI. En effet, on pouvait lire dans la presse après l’assaut donné pour libérer M. Germaneau, que la France et la Mauritanie avaient marqué un point dans cette lutte malgré la mort de l’otage…
Il y a une chose difficile à exprimer publiquement : l’un des fronts de la bataille aujourd’hui est le front médiatique. Que ce soit dans la Corne de l’Afrique, au Yémen ou ailleurs, la bataille est médiatique. Et il faut savoir comment gérer cette bataille. Il ne faut pas ignorer que l’information est démocratique, mais aussi instantanée. Et tout le monde a accès à Internet, aux journaux. J’espère que les otages ne seront pas exécutés, parce que le jour où on banalise la mort d’un individu, qu’il soit de la région ou non, on ouvre la porte à toutes les dérives.
Et personne n’est plus à l’abri. La vie est très importante religieusement, humainement et socialement. Il faut donc éviter – et c’est un dilemme – que la prise d’otages soit une source de revenus, car on tombe dans un cycle qui se perpétue. C’est très délicat d’en parler, car il y a des gens prisonniers qui ont perdu leur liberté, mais on doit laisser cette question aux gens qui en sont chargés.
Je ne suis pas contre la liberté d’expression, mais la bataille médiatique est l’un des fronts les plus importants dans la situation actuelle.

Chat modéré par Sandrine Berthaud

Source  :  Le Monde le 22/09/2010

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