L’opposition s’organise

COD…pas Complément d’Objet Direct

Nominations sur fond de népotisme, non promotion de la campagne agricole, manque d’indépendance de la justice, règlement de comptes, sabotage des accords de Dakar, dispersion dans les options diplomatiques, etc. Telles sont les critiques que la Coalition de l’Opposition Démocratique a faites au pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz mercredi à Nouakchott.

A la faveur d’une conférence de presse tenue 17 février au siège de l’APP, Messaoud Ould Boulkhier et Mohamed Ould Maouloud, respectivement présidents de l’Alliance Populaire Progressiste et l’Union des Forces du Progrès, ont dénoncé ce qui pour eux a fini par prendre la forme d’une « comédie de changement » qui n’a eu pour effet qu’une désorganisation et une mauvaise prise en charge des questions comme la lutte contre l’esclavage et le retour des déportés. D’où, selon eux « l’urgence de s’unir pour sauver le pays. »

Pour cela, le défi de l’opposition consiste à montrer « qu’il y a un barrage au despotisme » et qu’il faut clarifier la scène politique.» A déclaré Mohamed Ould Maouloud. Barrage au despotisme et clarification de la scène politique qui semblent s’exprimer dans de nouveaux choix. Entre autres, l’intégration à l’institution de l’opposition. L’APP fera partie de cette structure dirigée par Ahmed Ould Daddah, le président du RFD. La décision a été révélée par Messaoud Ould Boulkheir au cours de la même conférence de presse de la COD. Le leader de l’APP a affirmé que si sa formation avait d’abord exclu l’idée de faire partie de l’institution de l’opposition, c’était une manière de rendre la monnaie au président du RFD qui n’avait pas adhéré par le passé au FNDD créé par les autres formations de l’opposition au lendemain du coup d’Etat d’Ould Abdel Aziz contre Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Un prétexte, certes. Car l’institution de l’opposition est une structure officielle. Si l’on prend en considération la configuration qu’elle doit avoir actuellement, l’APP est loin d’une présence significative. En effet, au point de vue représentativité parlementaire, le RFD a le plus grand nombre de députés, malgré le départ de six députés qui ont rejoint le camp de Ould Abdel Aziz. Il est suivi respectivement par les partis ADIL (8), UFP (6), Tawassoul (5), APP (4). Chacun de ces partis, à part le Tawassoul, ayant connu des désistements consécutifs aux effets du coup d’Etat, il est clair que la répartition des rôles au sein de l’institution de l’opposition devra se faire en fonction de cette nouvelle donne. Il faudra également penser à l’avenir du poste de Secrétaire Général de cette structure qui reste encore assuré par Ibrahima Sarr de l’AJD/MR.

Il était une fois la CFCD
En attendant de savoir selon quels nouveaux compromis l’opposition mauritanienne compte barrer la route à la dynamique de dictature qu’elle dénonce actuellement, il faut rappeler qu’il y avait eu d’abord en 2005, juste après le renversement du régime d’Ould Taya, une coalition qui s’appelait la CFCD. Si cette Coalition des Forces du Changement Démocratique ne se voulait pas un outil d’accompagnement du ‘changement’ que les militaires par la voix d’Eli Ould Mohamed Vall voulaient incarner à l’époque mais plutôt un souci d’empêcher le retour à la case départ perceptible alors dans une certaine dynamique de candidatures indépendantes suscitées par le CMJD, elle avait réussi à remporter grâce à certaines de ses alliances des élections municipales (Néma, Aioun, Kiffa). Mais elle a montré ses limites à l’abord de la présidentielle lorsqu’elle a choisi de disperser ses forces dans des candidatures plurielles face à celle de Sidi Ould Cheikh Abdellahi -dont elle avait dit à l’époque qu’il était un « homme de paille » des militaires. Le prétexte de cette entrée en rangs dispersés dans la présidentielle était très simple : glaner, chacun de son côté, le maximum de voix au premier tour en vue de les mobiliser au second tour en faveur de celui qui serait le finaliste face au candidat des militaires. Compromis ou compromission, la toile s’est révélée trop fragile pour résister aux tentations et calculs politiques. Ould Boulkheir avait choisi de soutenir Ould Cheikh Abdellahi au second tour de 2007. Ould Maouloud, la mort dans l’âme avait décidé de tenir la main à Ould Daddah. Au finish, un vainqueur : « le camp du retour en arrière » (c’est ainsi qu’Ould Maouloud avait qualifié le camp de Sidi Ould cheikh Abdellahi durant la transition 2005-2007). La CFCD, effritée, il ne restait plus à la classe politique opposante que de se rechercher.

Désenchantement … Illusions perdues
Viennent alors les options de participation. Avant cela, un amoindrissement du poids de l’institution de l’opposition est entrepris à travers une loi que l’UFP réussit à faire voter au début 2008 par les députés de la majorité. Puis une entrée au gouvernement de Sidi Ould Cheikh Abdellahi de deux partis de la CFCD : UFP et Tawassoul. La suite est connue : la fronde contre Sidi est lancée par des cadres de son propre parti (ADIL). Seul l’UFP avait alors perçu les intentions de renversement du pouvoir et l’avait dénoncé.
Mais inévitablement le 06 août 2008 annonce la rebelote des soldats. Cette fois-ci la classe opposante n’a pas la même appréciation du putsch. Le chef de file de l’opposition considère qu’il s’agit d’une « rectification ». Ahmed Ould Daddah commence par avoir l’impression que ce qui s’est passé est une réalisation de la marche politique de la Mauritanie vers la démocratie par une rectification, une levée d’obstacle. Lequel obstacle, à ses yeux n’était rien de plus que Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Il va falloir attendre que les Etats Généraux de la Démocratie de fin décembre 2008 mettent fin aux illusions du leader du RFD. Ould Abdel Aziz, président du HCE [Haut Conseil d’Etat, junte militaire NDLR], la junte au pouvoir n’accepte de lui promettre ni une neutralité, ni une non participation aux élections envisagées. Du coup, une sorte de retour dans le ‘maquis’ se précise dans les discours d’Ahmed Ould Daddah : « nous avions dit que ce qui s’est passé est un mouvement de rectification mais aujourd’hui nous nous rendons compte qu’ils ‘agit d’un coup d’Etat qui a pour but de ramener l’armée au pouvoir. »

Horizons confus
La fin de l’idylle RFD-HCE ne consacre pas pour autant un réel début de consolidation du camp de l’opposition incarnée par le FNDD dont la bataille pour le retour à l’ordre constitutionnel avait pour seule possibilité de réalisation le rétablissement de Sidi Ould Cheikh Abdellahi dans ses fonctions de Président effectif de la République. Cet objectif sera atteint, même symboliquement, lorsque, les accords de Dakar aidant, tous les protagonistes (HCE, FNDD, RFD) sont parvenus à un compromis stipulant le retour et la démission d’Ould Cheikh Abdellahi, la mise en place d’un gouvernement d’Union Nationale, la tenue d’élections un certain 18 juillet 2009. Les conditions d’une participations à ces élections comportaient pour le camp de l’opposition le contrôle de certaines structures politiques : le ministère de l’intérieur correspondant dans l’esprit de l’opposition à la machine de la fraude électorale, celui des finances, à celle de la corruption et celui de la communication à la propagande pour le pouvoir, vont échoir au camp FNDD/RFD. Celui-ci aura en plus une très forte présence au sein de la CENI [Commission Électorale Nationale Indépendante, NDLR] ‘revue et corrigée’. Cette structure arbitrale étant comprise comme le maitre d’œuvre de l’élection…

Vers quels enjeux ?
Près de sept mois après la présidentielle qu’elle a perdue, l’opposition, constituée entre-temps en Coordination de l’Opposition Démocratique, en est à demander une application effective des clauses de l’accord de Dakar. C’est ce qui est revenu dans sa sortie du mercredi 17 février. Une sortie pour annoncer la mise en place de ses structures organisationnelles définitives. Une présidence tournante entre trois pôles qui la constituent dans le cadre de la COD : le Front National pour la Défense de la Démocratie (FNDD), le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) et l’Alliance des autres partis (L’Alternative et le RPM). Par delà toute appréciation quant au caractère non équilibré de ses constituants, on pourrait s’interroger sur la pertinence de cette nouvelle orientation que choisit la COD. Comment comptent faire les dirigeants de partis confrontés à des contradictions internes au sein de leur formations respectives pour certains et devant les enjeux que cette même coordinations comportent pour d’autres ?
Il y a d’abord le RFD. Le parti du chef de file de l’opposition souffre de débauchages depuis l’avènement d’Ould abdel Aziz qui semble l’avoir pris pour cible et ennemi à abattre coûte que coûte. A défaut d’être démantelé, le RFD est certainement dans un vertige inexorable eu égards aux recrutements que le pouvoir a faits dans ses rangs.
Il y a ensuite l’APP. Le parti que dirige Messaoud Ould Boulkhier depuis que les nasséristes lui ont ouvert les portes de leur formation après la dissolution de l’Action pour le Changement dont il était le président est en proie à ce qui est considéré comme luttes internes sur fonds de velléités de succession. On pense notamment aux sorties médiatiques de quelqu’un comme Samory Ould Bèye, leader syndicaliste issu d’El Horr[mouvement d’émancipation des populations serviles, les hratines, NDLR] ou encore celles de Birame Ould Abeid, défenseur des droits de l’homme aux positions très virulentes. Mais on pourrait s’interroger surtout sur le sort que pourrait connaitre ce parti dont le président est en même temps président de l’Assemblée nationale, donc troisième personnalité officielle de la République. Le parlement arrive au terme de son mandat en octobre 2011. Ce qui signifie que si rien ne se passe d’ici là, le pouvoir travaillera d’arrache-pied pour qu’a la rentrée parlementaire qui en sera issue, l’Assemblée nationale soit dirigée par quelqu’un d’autre que ce opposant très dérangeant.
Il y a enfin, ce pôle qui est représenté par l’Alternative de Mohamed Yehdih Ould Moktar El Hacene, le RPM de Louleid Ould Waddad. Deux anciens SG du défunt parti PRDS de Maouya Ould Sid’Ahmed Taya. Pour ces deux personnalités issues du système de l’ancien président, l’enjeu d’une telle alliance est de taille. Une reconquête du pouvoir passe par cette présence au sein de la COD dans un environnement politique qui donne l’impression que les gouvernants du moment leur préfèrent l’UPR, voire des personnes issues du parti ADIL.

Et au-delà du discours ?
Ainsi, en attendant de savoir si effectivement la COD réussira à faire plier le pouvoir, il s’agit d’observer vers quelle direction les unes et les autres de ses composantes souhaitent la mener.
Messaoud a soutenu qu’il n’y a plus de divergences entre eux, dirigeants des partis de l’opposition. A chaque fois que cette opposition a eu l’occasion de s’unir et de faire bloc, elle a raté le coach. 1992, 1997, 2003, 2007, 2008 sont autant d’années marquantes de la défaite de l’opposition du fait de son refus de se rassembler efficacement derrière une seule personne.

Pour l’instant la COD dit être en face de défis. L’insécurité, la gabegie et le sabotage délibéré de l’Etat sont imputables selon elle au pouvoir actuel.
Et le président Ould Maouloud de dénoncer « le recul des libertés, l’instrumentalisation de la justice et l’entêtement de Mohamed Ould Abdel Aziz à persister dans sa politique de règlements de compte et de mystification du peuple. » Le Président des pauvres[surnom attribué au président Mohamed Ould Abdel Aziz] n’aura fait qu’appauvrir davantage les pauvres, martèlent-on du côté de la COD. Et pour cause : « une gabegie pernicieuse, une absence de transparence dans l’attribution des marchés publics », dira Messaoud Ould Boulkheir qui citera comme exemple « un marché d’une valeur de 7millions 200 000 dollars, au sujet duquel le parlement a vainement interpellé le gouvernement ». Les dirigeants de la COD sont revenus sur la flambée des prix. Un coup dur ressenti surtout par les pauvres, observent encore les dirigeants de la COD. Seul responsable, selon eux : « le régime du général au pouvoir qui s’est cruellement attaqué aux sources de revenus : l’agriculture à travers l’annulation de la campagne agricole, l’élevage et les autres secteurs de l’économie nationale sabotés par le manque de clairvoyance qui caractérise les politiques des gouvernants actuels ». A déclaré Mohamed Ould Maouloud de l’UFP.
Pour Messaoud Ould Boulkheir, « les dérives du pouvoir d’Ould Abdel Aziz n’ont épargné ni la presse, ni la société civile, ni les hommes d’affaires ». Deux question de justice alors : le cas de Hanefi Ould Daha, ce journaliste qui a purgé une première peine de prison et entame une nouvelle et celui des hommes d’affaires. L’opposition avait activement pris ce dernier comme cheval de bataille. Mais la solution est venue d’une force extra-politique (une autorité religieuse, Ould Dedew a fait une médiation qui a permis la libération des hommes d’affaires).
A propos du dialogue avec les prisonniers, Ould Boulkhier dit ne pas être contre à condition que ce ne soit pas au détriment de la justice…
Ce qui donne l’occasion au président de l’Assemblée Nationale de relever qu’Ould Abdel Aziz aurait dû comprendre que le dialogue est une bonne option. Lui qui, pour justifier son coup d’Etat, « avait accusé le président Sidi Ould Cheikh Abdellahi d’avoir libéré des terroristes alors que cette libération était une décision de justice. »
Autre problème que l’opposition dénonce : la crise sociale due aux prix et, dans une large mesure, aux problèmes des fonctionnaires. La solution ou du moins l’affrontement de ce problème pourrait bien venir d’ailleurs que de la classe politique : les syndicats ayant programmé une grève pour le 15 mars. Face à tout ceci, les politiques ne sont-ils pas en train de se montrer moins pragmatiques et surtout impuissants face à des questions aussi cruciales que la justice et les conditions de vie des citoyens ? Ayant monopolisé la parole durant plus des deux tiers du temps de sa conférence, la COD qui n’a laissé que moins de dix minutes aux journalistes ne prendra pas la peine d’écouter cette question. Il est vrai que chaque parti politique ou presque a son aile syndicale. Mais que les changements et solutions aux questions vitales soient attendus d’autres forces, il y a de quoi s’interroger sur la santé d’une opposition politique…

Kissima
La Tribune N° 489 du 22 février 2010

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