Mauritanie – Vivons-nous en Apartheid ?

Voilà la question qui agite les cercles politiques et militants de Mauritanie depuis quelques jours, pour ce qui est de sa dernière réapparition. Souscrivons à la concision et allons directement à la présentation des deux positions essentielles qui s’y opposent: tout d’abord un cri dénonçant une situation qu’il nomme par le terme “Apartheid” dans lequel il inscrit un état de discrimination à l’encontre des communautés noires mauritaniennes. Y sont notamment dénoncés des déséquilibres économiques, sociaux, ou dans les représentations étatiques comme dans l’administration ou l’armée; sans oublier les références à une discrimination, toujours en défaveur des mêmes communautés, dans l’accès à des droits fondamentaux.

De l’autre côté, certains contestent, sans toujours discuter du contenu mentionné ci-dessus, l’usage du terme “Apartheid” en mettant en avant l’absence de lois d’Apartheid dans la législation mauritanienne et par conséquent l’ouverture, au moins théorique, des institutions de l’État à tous ses citoyens sans distinction d’appartenance.

Les tenants de la première position ont adopté la ligne de défense selon laquelle même si l’apartheid de loi n’a pas lieu, il existerait bien un apartheid de fait traduit par les mêmes dénonciations susmentionnées.

C’est quoi donc l’Apartheid ?

Pour ma part, le sens premier et irréductible de l’Apartheid, tant au niveau de ses buts qu’à celui de son déroulement, c’est l’évolution parallèle de (deux) composantes d’une même collectivité maintenues hermétiques l’une à l’autre, sous l’effet et la surveillance d’une politique ou d’une idéologie. Voilà ce que je considère comme étant l’essence de l’Apartheid.

D’autres aspects, tels que la discrimination basée sur la différence mise en exergue, peuvent la matérialiser. À noter que l’apartheid et les systèmes qui s’en rapprochent ne sont jamais instaurés par une décision bilatérale (on parlerait d’indépendance dans ce cas). Au contraire, ils sont toujours mis en place par une catégorie dominante qui, dans cette volonté de séparation, s’accapare immanquablement de l’essentiel des secteurs économiques et politiques de la collectivité. Cela, je suis sûr, peut être pris sans beaucoup de résistance comme une caractéristique du régime discuté. Je maintiendrai volontiers que la donnée d’une discrimination mesurable basée sur l’appartenance est symptomatique de l’Apartheid quand bien même elle n’en serait pas un synonyme. Je la suspecte toutefois d’y conduire à coup sûr au bout de sa course effrénée.

Ainsi, pour ce qui me concerne, je crois qu’en Mauritanie nous ne vivons pas dans un Apartheid… mais dans deux !  Nous comptons un apartheid social abouti et intériorisé et un autre, étatique, en cours de formation.

En effet, deux systèmes se superposent dans le pays. Un système social répondant à un vieil ordre encore quasi-inflexible. Ce système dans lequel les individus sont catalogués, non pas sur leur acte de naissance, mais selon un héritage généalogique qui devient critère tacite de dignité, de noblesse et, dans une certaine mesure, de mérite quand il ne s’agit pas d’une assignation à une condition de subalterne. Une marque de naissance chargée d’interdits et de contraintes; barrière coriace à la mixité. Soutien redoutable du parallélisme social, et, en cela, étape primordiale de l’Apartheid!

Nous avons en même temps un système étatique qui, dans l’ampleur de sa fougue, exprime à tout va des attitudes inégalitaires décomplexées; parfois jusque dans la loi (voir les déséquilibres susmentionnés) !

Oui ! Notre société profonde, de par ses lois non écrites mais pleinement observées en dehors de toute surveillance policière ou imposition étatique, intègre des barrières sociales qui, dans certains aspects, n’ont rien à envier à celles d’une politique d’Apartheid.  Quant à notre État, de par les déséquilibres insoutenables qui y sont abrités et nourris, il y tend avec une vitesse vertigineuse.

J’ai voulu apporter cette petite contribution au débat dans la perspective d’y incorporer avec dues proportions ces deux problématiques majeures de notre vie nationale et citoyenne; et ce, dans le seul souci de veiller à la complétude des échanges (déjà bien riches) pour que ces justes interrogations ne demeurent pas partielles et sélectives. Nous aspirons à une mobilisation de tous les citoyens, sans distinction aucune, dans le sens de leur résolution durable afin de permettre l’avènement d’une société et d’un État guéris de ces égarements. Nous avons conscience que la stigmatisation d’une ou l’autre des communautés, indépendamment du présupposé qui lui est attribué, n’a aucunement sa place dans une démarche de solution. Nous avons tant à construire, dans l’union et la solidarité, loin de la poursuite de ces pratiques dangereuses et infructueuses qui n’ont que trop longtemps miné notre paix sociale. Il incombe à l’État d’assainir ses fondations et son action, et à la volonté populaire de purifier ses mœurs.

 

 

Mouhamadou Sy
Le 12-10-2025

 

 

(Reçu à Kassataya.com le 13 octobre 2025)

 

 

 

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