Vanity Fair – Donald Trump a fait une croix sur ses meetings de campagne, ces grand-messes tapageuses qui l’ont porté à deux reprises jusqu’à la Maison Blanche. Tout ça, c’est du passé, car après tout, rappelons-le à toutes fins utiles, la loi ne l’autorise pas à briguer un troisième mandat. Il a donc remplacé ces bains de foule MAGA quasi mystiques pour les attributs plus solennels du pouvoir présidentiel : voyages diplomatiques clinquants, parties de golf dans le sud de la Floride, et réunions du Cabinet diffusées en direct à la télé.
Mardi dernier, il a tenu la neuvième du genre depuis le début de son second mandat. Sous Trump, ces séances ont pris des airs de marathons de la flagornerie, au cours desquels les membres de l’équipe gouvernementale tressent à qui mieux mieux des couronnes de laurier au commandant en chef. Comme une scène d’ouverture du Roi Lear qui se rejouerait à l’infini. Mais sans Cordélia.
Invariablement, le spectacle commence par un long monologue de Trump lui-même. Très long : celui de mardi a duré plus de trente minutes. Le président américain, en roue libre, y a enfilé les digressions comme autant de perles auto-célébratoires : depuis le test cognitif qu’il affirme avoir brillamment réussi – « Je suis une personne intelligente, je ne suis pas stupide » – jusqu’à l’Ozempic, qualifié de « médicament pour les gros, g-r-o-s, pour les gros ». Il a aussi fanfaronné en estimant mériter huit prix Nobel de la paix, un pour chacune des guerres auxquelles il prétend avoir mis fin.
À sa suite, les ministres ont défilé, chacun vantant à leur manière le succès gigantesque, fantastique, historique de leurs maroquins respectifs. La propension baroque de Trump à l’exagération a manifestement fait école. Mieux, ces réussites étaient presque toujours présentées comme n’ayant été possibles que grâce à lui. Le succès gigantesque, fantastique, historique du Secrétariat au Logement ? Il est dû « à votre leadership, Monsieur le Président ». « Sous votre présidence, nous avons enfin remis les agriculteurs, les éleveurs et l’Amérique rurale au premier rang », a également déclaré Brooke Rollins, Secrétaire à l’Agriculture. « Grâce au leadership du président, nous réduisons désormais les impôts », a renchéri le Vice-Président, JD Vance. Kelly Loeffler, responsable de la Small Business Administration, n’était pas en reste : « Dans les rues commerçantes, l’économie repart grâce à votre présidence », a-t-elle assuré. La sérénade s’est poursuivie avec Chris Wright, le Secrétaire à l’énergie : « Sous votre présidence, nous avons constaté une baisse constante du prix de l’essence. » Tulsi Gabbard, Directrice du renseignement national, s’est fendue d’un : « Nous apprécions tellement votre leadership, Monsieur le Président. » Repris au bond par Doug Burgum, Secrétaire à l’Intérieur : « Grâce à votre présidence et à votre vision, vous nous avez préparés à cette ère d’abondance. » Scott Bessent, Secrétaire du Trésor, a quant à lui estimé que « grâce à votre présidence, la Grande et belle Loi a été adoptée le 4 juillet, ce que tout le monde disait impossible ». Pour Robert F. Kennedy Jr, Secrétaire à la santé, « Nous avons mis fin, sous votre leadership, à une guerre de vingt ans contre les femmes. Ce ne sont que quelques exemples de ce que nous avons pu accomplir grâce à votre leadership, président Trump. »
Lorsque Pam Bondi, Procureure générale des États-Unis, s’est félicitée de la saisie de 31 000 armes illégales cette année par l’ATF, elle a dans un premier temps oublié d’en attribuer le mérite au président, avant de se rattraper aussitôt : « Incroyable, et grâce à votre leadership. »
Leadership et météo
Et ce n’est là qu’un échantillon. Le responsable de l’Agence de protection de l’environnement, Lee Zeldin, auteur de l’une des prestations les plus grotesquement serviles, a déclaré que si on lui demandait ce pour quoi il était le plus reconnaissant à l’approche des fêtes, il répondrait sans hésiter que c’est que Trump serait « prêt à prendre une balle pour chacun d’entre ceux qui nous regardent aujourd’hui devant leurs écrans ». Burgum, dans ce même registre quasi messianique, a qualifié l’action du président de « cadeau de Noël incroyable pour les Américains ».
Si Zeldin jouait ici les Goneril, Kristi Noem, Secrétaire à la Sécurité intérieure, faisait sans conteste une impeccable Régane. Dans un soliloque qui aurait fait rougir le plus obséquieux des apparatchiks du parti Baas, elle est même allée jusqu’à remercier Trump pour… la météo : « Monsieur, vous avez traversé la saison des ouragans sans le moindre ouragan. Vous avez tenu les ouragans à distance. Nous vous en sommes reconnaissants. » Quelques ministres ont gloussé, même s’il était difficile d’établir si elle plaisantait ou pas.
Ces scènes ne sont pas propres au second mandat. Nous ne prêtons presque plus attention à ce genre de spectacles désolants. Pourtant lors de la première année du premier mandat de Trump, Washington était sidéré par l’ardeur avec laquelle ses principaux dirigeants – généraux respectés, politiciens chevronnés ou capitaines d’industrie – se livraient à ce consternant exercice de flagornerie télévisée. Lors d’une réunion, le vice-président Mike Pence avait félicité Trump à raison d’un compliment toutes les douze secondes, comme l’avait calculé The Washington Post. Ça ne lui a pas tellement réussi… Quelques années plus tard, des partisans de Trump tentaient littéralement de le lyncher. Il vit aujourd’hui, contraint et forcé, dans une sorte d’exil MAGA.
Trump apprécie sans doute ces mises en scène. Comme ses meetings, elles lui offrent un répit face à la couverture médiatique plombante de la première année de son second mandat. Comme l’a souligné cette semaine le journaliste vedette de CNN, Harry Enten, Trump est revenu à la Maison Blanche avec un « solde » d’opinions favorables de moins un point. Qui affiche désormais un catastrophique moins vingt-quatre. « Si ça se maintient jusqu’aux élections de mi-mandat, ce sera catastrophique », a prophétisé Enten. Seul Nixon faisait pire à ce stade. Le désamour des Américains s’inscrit dans le contexte d’une série de déconvenues, de l’affaire Epstein à la montée en flèche de l’inflation, qui saturent les chaînes d’infos et les journaux, sur lesquels Trump a les yeux rivés.
Source : Vanity Fair (France)
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