Tourisme : les familles du Golfe ont sauvé l’été des palaces parisiens

En l’absence d’autres clientèles à fort pouvoir d’achat, les touristes du Golfe ont soutenu l’hôtellerie de luxe en France cet été. Une clientèle exigeante mais très dépensière, que les destinations du monde entier tentent d’attirer.

Le Monde – Christophe Thomas, directeur général du Royal Monceau, sait ce qu’il doit au Qatar. Son salaire, puisque le propriétaire du palace parisien est un groupe qatari ; la notoriété de son hôtel, dont le nom fut prononcé dans le monde entier quand Lionel Messi, recrue du Paris-Saint-Germain (PSG), y salua les caméras depuis sa suite ; mais aussi ses clients plus ordinaires.

Cet été, le Royal Monceau Raffles a rempli la majorité de ses chambres avec des touristes du Moyen-Orient, le plus souvent en provenance des six pays du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Qatar, Emirats arabes unis, Bahreïn, Oman, Koweït). « Ce fut une dominante très appréciable après cette période difficile, concède Christophe Thomas, arrivé à la tête du palace parisien le 1er mars 2020, et qui a donc vu son hôtel plus souvent fermé qu’ouvert. On a retrouvé un taux d’occupation similaire à celui de 2019 en août. Et pour l’instant, la clientèle du Moyen-Orient est toujours là. »

 

Le luxe parisien lui doit son salut, car ses autres fidèles restent désespérément absents. Entre les pays ayant privilégié les vaccins russes ou chinois, non reconnus en France, ceux déconseillant les voyages vers le Vieux Continent et ceux où la vaccination est balbutiante, les clientèles étrangères les plus dépensières − Chinois, Japonais, Américains, Brésiliens ou Australiens − ont peu visité Paris.

Le Moyen-Orient a fait exception, les pétromonarchies ayant autorisé leurs concitoyens à voyager de nouveau durant l’été, leur saison haute, quand les températures locales deviennent irrespirables. Quant aux obstacles pour accéder à des destinations rivales − Royaume-Uni, Etats-Unis, Turquie −, ils ont favorisé Paris et la Côte d’Azur.

Dans l’ensemble des palaces parisiens, le Golfe a représenté environ un visiteur sur quatre, selon Christophe Laure, de l’UMIH Prestige, la branche palaces de l’organisation patronale de l’hôtellerie. Cela n’a bien sûr pas sauvé tous les établissements de luxe, où le taux d’occupation moyen n’a pas dépassé 50 %.

Séjours longs et dépensiers

Le phénomène a été encore plus visible à Genève, autre destination prisée pour son cadre, ses températures douces et son industrie du luxe. La reconnaissance par la Suisse du vaccin chinois Sinovac, largement administré aux Emirats arabes unis, a permis à certains palaces d’afficher complet. Les boutiques locales apprécient : en matière de dépenses quotidiennes, un visiteur du Golfe vaut six ou sept Européens, avec plus de 3 000 dollars (2 570 euros) par jour selon Atout France.

L’organisme de promotion de la destination française dispose d’un bureau à Dubaï, comme de nombreux autres pays touristiques et les grandes marques de l’hôtellerie de luxe. Comme le résume Karim Mekachera, directeur Moyen-Orient d’Atout France, « vendre un 4-étoiles ici, c’est compliqué. Les voyages sont le deuxième motif d’emprunt aux Emirats arabes unis, après l’achat d’une voiture. Certaines familles peuvent donc dépenser jusqu’à 150 000 ou 200 000 euros dans un palace ».

« Dans le Coran, le voyage est encouragé. Il faut aller voir la beauté du monde créé par Allah. » Peter Varga, docteur en anthropologie du tourisme

Leurs séjours sont aussi particulièrement longs, neuf jours en moyenne. Ils y ajoutent la visite d’une autre destination, de préférence Londres ou la Suisse, où ils peuvent rester un mois dans des résidences secondaires. La clientèle du Golfe est la deuxième contributrice aux revenus du tourisme britannique, alors qu’elle n’émarge qu’au treizième rang en nombre de visiteurs.

Avec la Chine, les pays du Golfe persique sont les principaux relais de croissance de l’hôtellerie de luxe, qui a explosé à Paris depuis dix ans. Avant le Covid-19, l’organisation mondiale du tourisme estimait que le nombre de départs depuis cette région atteindrait 61 millions en 2030, soit 50 % de plus qu’en 2015. Cette hausse du nombre de visiteurs, permise par l’émergence d’une classe dite « moyenne » aux revenus importants, s’accompagnait d’une augmentation tout aussi rapide de la dépense moyenne. La France est leur troisième destination lointaine derrière le Royaume-Uni et la Turquie, avec environ 700 000 visiteurs en 2019 et quelque 1,2 milliard de dollars dépensés à Paris.

Rôle prescripteur des familles royales

Il y a maintenant plus de trente ans que les familles du Golfe ont investi les palaces parisiens, genevois et londoniens, privatisant des étages entiers pour leurs proches et pour leurs domestiques ; avant de racheter ces établissements en grand nombre quand elles ont voulu diversifier leurs sources de revenus.

La pratique touristique, distinction sociale ultime, s’est ensuite répandue dans le reste des sociétés, sur un modèle d’imitation des familles royales. A Genève, ce sont ainsi les nombreux séjours du roi Fahd, dans les années 1980, qui ont lancé le tourisme saoudien.

Les événements sportifs, en particulier les grands matchs de football, constituent 14 % des motifs de visite de la clientèle moyen-orientale en Europe

« Dans le Coran, le voyage est encouragé, rappelle Peter Varga, docteur en anthropologie du tourisme et professeur à l’Ecole hôtelière de Lausanne. Il faut aller voir la beauté du monde créé par Allah. En Suisse, ils cherchent la montagne et le vert, une couleur essentielle puisque c’est celle de l’Islam. C’est également une société très hiérarchisée et si quelqu’un détenteur d’un haut statut social et économique vient dans un endroit, la population le suivra. »

Le bouche-à-oreille est le premier critère de choix d’une destination mais les directeurs des ventes des grands hôtels savent qu’attirer le cheikh de Dubaï est la garantie de voir affluer, le mois suivant, de nombreuses familles de l’émirat. Les palaces appartenant à des personnalités locales ont également leurs faveurs, tout comme les marques très présentes au Moyen-Orient, comme Mandarin Oriental ou Shangri-La.

Pour Christophe Thomas, « le lien particulier du Royal Monceau Raffles avec le Qatar a un impact sur le business. C’est aussi une clientèle qui apprécie le sport », ajoute-t-il en référence à l’accord noué avec le PSG. Les événements sportifs, en particulier les grands matchs de football, constituent 14 % des motifs de visite de la clientèle moyen-orientale en Europe, selon une étude commandée par Atout France.

« Il faut qu’on ait Disney »

Mais une photo de Messi ne vaudra jamais un selfie avec Mickey. « Disneyland, ici, c’est notre navire amiral, affirme Karim Mekachera, d’Atout France. Sur toutes nos opérations de promotion, il faut qu’on ait Disney. » Près d’un séjour sur deux inclut une excursion au parc d’attractions, où « les enfants peuvent passer une semaine avec la nounou, tandis que les parents restent à l’hôtel à Paris ».

Si les touristes du Golfe en France voyagent essentiellement en famille – ou en couple pour les lunes de miel, les voyages d’affaires restant très minoritaires –, la répartition des activités est clairement définie et genrée, détaille M. Mekachera. « Entre hommes, ils partent avec leur cour, se lèvent à 11 heures, déjeunent à 15, passent l’après-midi en terrasse, mangent très tard le soir dans un restaurant haut de gamme et les sorties en boîte s’achèvent à 7 heures du matin. Les femmes font surtout du shopping, avec des assistants. Elles peuvent débarquer au Sephora des Champs-Elysées à minuit et y acheter pour 6 000 euros de produits, si possible en privatisant les magasins. »

Ce mode de vie nocturne – tradition moins ancrée chez les nouvelles générations – contraint les hôtels à quelques acrobaties. Dans toutes les bouches revient la très haute exigence de la clientèle du Golfe, pour qui l’hospitalité est une vertu cardinale. Elle n’en attend pas moins de ses hôtes lorsqu’elle se déplace et dépense sans compter. En échange, des pourboires hors norme peuvent être distribués, de sorte que le personnel d’hôtel se bat généralement pour être mis au service des grandes familles.

« Il faut être très, très réactif, résume David Collas, directeur du Mandarin Oriental de Genève. Le volume de linge est considérable et doit être fait dans la nuit. Le room service est également très utilisé, mais cela peut signifier un petit déjeuner à 14 heures et un repas à 4 heures du matin. » Les postes en cuisine, en lingerie et à la réception sont renforcés la nuit et un haut responsable du palace peut être amené à dormir sur place lorsque ses meilleurs clients y séjournent, afin de parer tout imprévu. Tout plutôt que perdre des clients qu’ils courtisent à longueur d’année, en effectuant plusieurs voyages sur place chaque année dans l’espoir de conserver leur fidélité.

 

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Source : Le Monde

 

 

 

 

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