Société – Au Sénégal, ces mamans numériques qui transforment le modèle familial

Elles sont ces “nouvelles stratèges du numérique qui révolutionnent la gestion familiale sénégalaise”, s’amuse “Le Soleil”. Ces mamans sénégalaises gèrent au mieux leur vie familiale grâce aux nouveaux outils numériques, canaux de discussion sur WhatsApp ou Facebook. Des groupes familiaux où tout se décide.

Courrier international  – Dakar, 10 h 30 un mardi matin. Dans le salon de Fatou, 45 ans, mère de quatre enfants, deux smartphones vibrent en parfaite synchronisation. L’un affiche une notification du groupe WhatsApp “Famille Diallo 2024”, l’autre une demande urgente d’un groupe Facebook où elle est membre active.

Sans même sourciller, elle pianote sur les deux écrans avec une aisance déconcertante, jonglant entre les deux conversations avec une dextérité remarquable. Bienvenue dans le quotidien des “mamans digitales”, ces nouvelles stratèges du numérique qui révolutionnent la gestion familiale sénégalaise.

WhatsApp, une agora familiale

Dans l’écosystème numérique sénégalais, les groupes WhatsApp familiaux sont devenus de véritables institutions parallèles. “Avant, pour organiser un mariage, il fallait des semaines de va-et-vient. Aujourd’hui, tout se décide en quarante-huit heures dans le groupe familial”, explique Aïda, créatrice du groupe “Famille Diop”, qui compte 30 membres.

Ces groupes suivent une hiérarchie bien établie : la matriarche, souvent la grand-mère, en est la présidente d’honneur, même si elle ne maîtrise pas toujours l’outil. Ses filles et belles-filles assurent quant à elles la gestion opérationnelle au quotidien.

On y trouve de tout : annonces de décès, invitations aux cérémonies, photos des nouveau-nés, et surtout ces fameuses conversations qui peuvent s’étendre sur des heures, débattant de l’organisation du prochain Magal familial [le Magal commémore le départ en exil du cheikh Ahmadou Bamba, fondateur du mouridisme, l’une des principales confréries soufies du pays].

Socialisation et solidarité

Si WhatsApp s’impose comme l’outil de gestion par excellence, Facebook devient l’espace privilégié de socialisation et de solidarité. Des groupes dédiés, qu’il s’agisse de communautés centrées sur la vente, le commerce, les tontines ou même la passion culinaire, se transforment en véritables réseaux d’entraide impressionnants. En un simple clic ou message, une solution émerge presque automatiquement.

Ces plateformes permettent également une transmission vivante du savoir-faire culinaire. Les vidéos de recettes, du thiéboudiène [plat traditionnel à base de riz et de poisson] parfait au ndogou [mot wolof qui désigne le repas de rupture du jeûne] maison, rencontrent un succès fulgurant, cumulant des millions de vues et créant une bibliothèque virtuelle de la gastronomie sénégalaise.

Lorsqu’une urgence familiale survient, ces réseaux numériques se transforment instantanément en outils de mobilisation express, démontrant leur efficacité redoutable dans les situations critiques.

Quitter le groupe, une rupture symbolique

Même les commérages, souvent décriés mais profondément ancrés dans la vie sociale, ont opéré leur mue vers le numérique. Les “groupes de confidentiels” se multiplient, servant de cadre à des échanges variés : nouvelles du quartier, potins familiaux, ou conseils conjugaux entre initiées.

Cette digitalisation accélérée de la vie familiale n’est pas sans créer certaines tensions. Certaines mamans avouent se sentir submergées par cette charge mentale supplémentaire, comme le confie l’une d’elles sous le couvert de l’anonymat :

“Je dois gérer mes huit groupes WhatsApp en plus de mon travail et de ma famille. Parfois, c’est tout simplement épuisant.”

Les conflits familiaux, quant à eux, prennent une dimension nouvelle. Un simple “vu” non suivi de réponse peut déclencher d’impressionnantes crises diplomatiques. Les “quitter le groupe” deviennent des actes de rupture symbolique, chargés de sens et de conséquences.

Pourtant, malgré ces nouveaux défis, les mamans digitales sénégalaises ont su trouver dans ces outils un moyen astucieux de moderniser leur rôle traditionnel de pilier familial. Elles sont devenues, sans toujours en avoir pleinement conscience, les gardiennes vigilantes du lien social à l’ère numérique, parvenant avec une remarquable dextérité à marier tradition et modernité.

 

 

Le Soleil (Dakar)

Le Soleil est un quotidien dont l’État sénégalais est l’actionnaire majoritaire. Fondé par le premier président Léopold Sédar Senghor en 1970, il est l’héritier des journaux Paris-Dakar (1933-1961) et Dakar-Matin (1961-1970).

 

 

 

Source : Courrier international (France)

 

 

 

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