Sénégal : le massacre de Thiaroye a été « prémédité » et « camouflé » par la France, selon un comité de chercheurs

Les auteurs du Livre blanc remis au président Bassirou Diomaye Faye affirment que le nombre de tirailleurs africains tués le 1er décembre 1944 par l’armée coloniale est sans doute largement sous-estimé.

– Le massacre par l’armée coloniale française, en 1944 à Thiaroye, au Sénégal, de tirailleurs africains qui réclamaient le paiement d’arriérés de soldes, a été « prémédité » et « camouflé », et son bilan est sans doute largement sous-estimé, dénonce un Livre blanc remis jeudi 16 octobre au président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, et dont l’Agence France-Presse (AFP) a obtenu une copie en exclusivité.

Le traumatisme lié au massacre de ces tirailleurs originaires de plusieurs pays ouest-africains (notamment le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée et la Haute-Volta, devenue le Burkina Faso), rapatriés après avoir combattu pour l’armée française en Europe lors de la seconde guerre mondiale et qui réclamaient le paiement d’arriérés de soldes avant de rentrer chez eux, est toujours vif au Sénégal et dans de nombreux pays du continent.

« Le bilan réel de la tragédie est difficile à connaître de nos jours », écrivent les auteurs de ce Livre blanc de 301 pages. Selon eux, « les rapports contradictoires et manifestement faux parlent de 35 ou 70 morts », alors que « plus de 400 tirailleurs se sont volatilisés comme s’ils n’avaient jamais existé ». « Les estimations les plus crédibles avancent les chiffres de 300 à 400 » morts, affirment les chercheurs. La tuerie « devait convaincre que l’ordre colonial ne pouvait être écorné par les effets émancipateurs de la guerre » sur les colonisés, écrivent-ils. C’est « la raison pour laquelle l’opération a été préméditée, minutieusement programmée et exécutée (…) dans des actions coordonnées ».

Des archives « falsifiées »

« Il est certain que si les tirailleurs avaient été armés, ils se seraient défendus. Nulle part le moindre acte de résistance n’a été mentionné », affirment les chercheurs. « La tuerie ne s’est pas limitée au camp de Thiaroye et à ses abords. Certains soldats ont été tués à la gare [de Thiaroye] et des blessés probablement achevés et fusillés au cimetière et en d’autres endroits et transférés là-bas [au cimetière de Thiaroye] pour leur inhumation », ajoutent-ils.

« Dans les jours qui ont suivi le massacre, les autorités françaises ont tout fait pour [le] camoufler, elles ont modifié les registres de départ de Morlaix [port de départ en France] et d’arrivée à Dakar, le nombre de soldats présents à Thiaroye, les causes du rassemblement des tirailleurs… », affirme le rapport. En outre, « certaines archives administratives et militaires sont inaccessibles ou incohérentes, d’autres ont disparu ou ont été falsifiées », note-t-il. En raison de transferts de documents en France, il y a « une absence significative des sources relatives au massacre de Thiaroye dans les archives restées à Dakar ».

Lors de la mission du comité en France ces derniers mois, « les recherches dans les archives françaises sur le massacre de Thiaroye ont certes bénéficié de la collaboration française, mais plusieurs de nos questions et demandes se sont heurtées à un mur d’ombres », critiquent les chercheurs. Selon le comité dirigé par l’historien sénégalais Mamadou Diouf, ce rapport « rétablit des faits sciemment cachés ou noyés dans des masses d’archives administratives et militaires et délivrées avec parcimonie ».

Fouilles archéologiques

« On peut confirmer que les tirailleurs tués lors de l’intervention [du 1er décembre 1944] reposent quelque part dans le cimetière des soldats indigènes [du camp militaire] de Thiaroye ou dans le sud-ouest du camp de Thiaroye », écrivent-ils, alors que plusieurs hypothèses sont avancées sur leurs lieux d’inhumation. Sept tombes ont été fouillées au cimetière militaire de Thiaroye par des archéologues issus du comité de chercheurs. A l’intérieur de ces tombes ont été découverts « sept squelettes généralement bien conservés ».

Les fouilles archéologiques menées dans ce cimetière par le comité depuis mai ont permis d’exhumer ces squelettes dans « des tombes qui sont postérieures aux inhumations ». Un des squelettes est « caractérisé par une absence de crâne et sa partie gauche est dépourvue de côtes », « la moitié de sa colonne vertébrale est absente » et « une balle a été localisée du côté gauche de sa poitrine », indiquent les chercheurs. Sur un squelette dans une autre tombe ont été découverts « des restes de chaînes de fer au bas des tibias gauche et droit ». Des brodequins, des boutons, des anneaux, des bagues et des pattes de collet, notamment, ont été exhumés, selon le rapport.

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Source : Le Monde avec
 

 

 

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