Présidentielle en Côte d’Ivoire : « De toute façon, tout est joué d’avance »

A 83 ans, le chef de l’Etat Alassane Ouattara brigue un quatrième mandat face à une opposition fracturée et affaiblie. Ses deux principaux leaders n’ont pas pu se présenter et appellent au boycott.

Le Monde – « C’est le seul jour de l’année où il n’y a pas d’embouteillages ! », se réjouit un chauffeur de taxi abidjanais samedi 25 octobre. Réputée pour son inépuisable énergie, la capitale économique de la Côte d’Ivoire est comme assoupie en ce jour d’élection présidentielle. Certains commerces ont ouvert, mais les clients n’affluent pas. Dans les écoles transformées en bureau de vote, les électeurs défilent au compte-goutte.

« Je suis venu très tôt le matin, je veux voter pour la continuité, pour le développement. Je pensais qu’il y aurait beaucoup de monde », explique Yaya Touré, 36 ans, couturier et soutien d’Alassane Ouattara, devant l’école primaire des Lacs dans la commune de Koumassi à Abidjan. Mais même dans ce fief du parti présidentiel, le Rassemblement de houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), les électeurs n’ont pas eu à attendre pour accéder à l’urne en plastique.

A Abidjan, faute de réel suspense, le scrutin a peu mobilisé les électeurs. Alassane Ouattara, part ultra-favori et devrait obtenir un quatrième mandat dès le premier tour. A 83 ans, celui qui est président depuis quinze ans fait face à quatre candidats au faible poids politique. Les chefs des deux principales formations d’opposition, Tidjane Thiam pour le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), et Laurent Gbagbo, l’ancien président à la tête du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), n’ont pas été autorisés à se présenter à la présidentielle.

Alors qu’ils appellent leurs partisans au boycott, l’enjeu principal du scrutin réside dans le taux de participation des neuf millions d’inscrits sur les listes électorales. « Les bureaux de vote sont vides, soupire une observatrice de la société civile présente au groupe scolaire Lagune, lui aussi situé à Koumassi. La peur s’est installée dans le cœur des Ivoiriens. »

Climat crispé

Les élections n’ont rien de banal dans un pays qui reste intimement marqué par la crise de 2010-2011. Le refus de Laurent Gbagbo de céder le pouvoir à Alassane Ouattara, déclaré vainqueur par la commission électorale, avait mené la Côte d’Ivoire à la guerre et fait au moins 3 000 morts, selon les Nations unies. Depuis, le pays s’est relevé et se targue d’afficher une croissance soutenue (6 % en 2024), mais il reste traumatisé et profondément divisé. En 2020, les élections avaient donné lieu à des violences d’ampleur, lors desquelles au moins 85 personnes avaient été tuées et 500 blessées d’après un bilan officiel.

Cette année, rien de tel, mais un climat crispé règne sur la moitié sud du pays, traditionnellement favorable à l’opposition – quand le nord, est réputé être un bastion du président Ouattara. Un dispositif sécuritaire d’une ampleur inédite a été déployé par les gouvernements, avec 44 000 éléments de la police et de la gendarmerie sur l’ensemble du territoire, soit 9 000 hommes de plus qu’en 2020.

« Les forces de sécurité sont en place depuis trois semaines, s’est félicité samedi à la mi-journée le ministre de l’intérieur Vagondo Diomandé. Tous les bureaux de vote que nous avons visité sont ouverts et fonctionnent normalement, et chacun joue sa partition pleine et entière. » Alassane Ouattara a lui appelé ses concitoyens à « voter », « dans la paix ».

A Yamoussoukro, lors de la présidentielle du 25 octobre 2025.

Quelques incidents épars ont été signalés durant la journée, notamment à Logou (Centre), où les opérations de vote n’ont pas pu se tenir selon l’AFP. Mais la tension n’a rien de comparable à celle qui s’était installée durant les semaines précédant le scrutin. A Yamoussoukro, la capitale, où des affrontements avaient eu lieu entre des jeunes opposés au « quatrième mandat » et les forces de l’ordre, un couvre-feu a été instauré par les autorités pour les journées de vendredi et samedi et près d’un quart des bureaux de la ville ont été délocalisés de zones sensibles pour permettre que le scrutin se tienne.

Epuisé, Konan Tongo s’assoit sur le rebord d’un muret. Ce septuagénaire vient de marcher près d’une heure pour atteindre l’école Mamie Adjoua de Yamoussoukro, où il s’apprête à glisser son bulletin dans l’urne. Son bureau de vote initial a été déplacé à la dernière minute, il n’a découvert le changement qu’en arrivant devant son ancien centre de vote fermé. Malgré la fatigue, Konan Tongo a tenu à remplir son devoir civique. « C’est important de voter, cela montre que je suis un citoyen libre », confie-t-il.

Opposition divisée

« Les autorités ont bien sécurisé la ville après les tensions, alors aujourd’hui, on peut vivre ce moment comme une fête », explique Zoumana Bakayoko, un étudiant. Dans le quartier populaire de Dioulakro, le centre de vote a des allures de banquets. Des centaines de personnes se pressent dans la cour de l’école. Toutes ou presque sont acquises au parti au pouvoir. L’odeur des beignets et du poisson grillé émanent de petits stands de fortune. « Un coup KO ! », scande un groupe de femmes, une expression populaire pour souhaiter une victoire dès le premier tour.

Yamoussoukro est la ville de Félix Houphouët-Boigny, premier président après l’indépendance, qui régna sans partage sur le pays durant 33 ans. Mais aux dernières élections, son parti, le PDCI, y a été battu par la formation d’Alassane Ouattara. La formation est aujourd’hui divisée : son chef Tidjane Thiam, installé à Paris depuis sept mois, prône le boycott, mais Jean-Louis Billon, un de ses cadres, riche chef d’entreprise, s’est porté candidat.

Patrice est originaire du Centre, mais ce fonctionnaire de 55 ans, qui ne souhaite pas révéler son patronyme, a été muté à Bonoua, dans le Sud, une ville à une cinquantaine de kilomètres d’Abidjan. « Comme toute ma famille, je suis PDCI, donc aujourd’hui je n’irai pas voter, conformément au mot d’ordre de mon chef. Alassane Ouattara va gagner son quatrième mandat, car les autres candidats en lice ne font pas le poids, mais il ne sera pas élu par adhésion. Les gens sont frustrés et en colère. »

Dix jours plus tôt, des heurts entre des opposants au quatrième mandat et les forces de l’ordre ont fait un mort, un manifestant de 22 ans. Depuis, le calme est revenu au prix d’un déploiement important des forces de l’ordre, mais la rancœur est tenace. Plusieurs habitants racontent les arrestations arbitraires qui ont lieu dans cette ville connue pour être un des fiefs de l’opposition. « J’ai été arrêté, alors que je marchais sur le bord de la route. Ils m’ont embarqué et m’ont rasé la tête avant de me relâcher », témoigne un homme de 31 ans qui souhaite rester anonyme. Il n’ira pas aux urnes. D’autres, croisés au hasard dans la ville, livrent des récits similaires.

A 20 kilomètres de là, à Moossou, Nathalie Diallo lève sa canne vers le ciel en signe d’avertissement avant d’éclater de rire : « Si quelqu’un veut m’empêcher de voter, je saurai me défendre ! », prévient la dame claudicante de 78 ans. « J’ai voté à toutes les élections, c’est ma joie d’exercer ce droit », dit-elle. Elle est l’une des rares à participer au scrutin dans le bureau Moossou 2.

Dans cette cité balayée par l’océan est née Simone Gbagbo, il y a 76 ans. L’ancienne première dame rêve d’une revanche quinze ans après que son mari a perdu le pouvoir, mais dans le village, les maquis – nom donné aux bars en plein air – sont bien plus remplis que les bureaux de vote. Vêtu d’un tee-shirt rayé blanc et bleu, un homme boit un verre de whisky dans la chaleur de la mi-journée. Il refuse de se présenter mais laisse paraître sa lassitude. « Moi, je ne vote pas, car mon candidat n’a pas pu participer à l’élection. De toute façon tout est joué d’avance. » « C’est un week-end comme les autres », dit-il, avant de reprendre une gorgée : « alcool, foot, et repos ». La commission électorale a cinq jours pour annoncer les résultats du scrutin présidentiel.

 

 

 

 (Bonoua, Moossou, envoyée spéciale ),  (Yamoussoukro, envoyé spécial) et  (Abidjan, correspondance)

 

Source : Le Monde    – (Le 25 octobre 2025)

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page