
Je suis Mauritanien, je suis Africain, et je me méfie profondément du mot patriotisme. Pas par provocation, mais par lucidité. Parce qu’avant d’être citoyen, avant même d’être membre d’un groupe, l’être humain est un être d’intérêt. Et vouloir effacer cette vérité par des discours patriotiques est un mensonge dangereux. L’homme est mû par l’intérêt avant tout
Aristote disait que l’homme poursuit toujours “le bien tel qu’il le conçoit”. Spinoza parlait du conatus, cette force intérieure qui pousse chaque être vivant à persévérer dans son existence.
Kant rappelait que la morale n’a de sens que si elle est rationnelle et la raison humaine cherche naturellement l’avantage, la cohérence, la sécurité. Autrement dit : l’homme agit selon ce qui lui apporte un bénéfice, visible ou invisible. Demander à cet homme de se sacrifier “pour la patrie” revient à nier sa psychologie la plus fondamentale.
Le Coran reconnaît cette réalité : l’homme donne pour recevoir. Dans le Coran, l’humain est présenté comme un être qui espère une récompense, qui calcule, qui cherche le meilleur pour lui. Allah dit : “Quiconque fait un bien, c’est pour lui-même.” (41:46) La notion même de “prêter à Dieu” pour recevoir une multiplication divine (2:245) montre que la spiritualité la plus haute accepte l’intérêt comme moteur naturel.
Alors comment le patriotisme, invention moderne, pourrait-il y échapper ? L’Égypte antique : la loyauté conditionnelle, pas patriotique En tant que passionné d’Égypte antique, je sais que les anciens Égyptiens n’étaient pas patriotes au sens romantique. Ils servaient Maât, l’équilibre du monde. Ils soutenaient le pharaon tant qu’il garantissait l’ordre et la prospérité. Si un pharaon échouait, la loyauté disparaissait. Ce n’était pas de l’amour de la patrie. C’était du réalisme politique : “Je te suis tant que tu assures l’ordre qui sert mes intérêts.” Exactement la logique humaine. Les grands penseurs musulmans valident cette lecture Al-Fârâbî, Ibn Khaldûn, Ibn Rushd… tous expliquent que la société se forme par nécessité, pas par patriotisme. Ibn Khaldûn dit explicitement que les hommes se rassemblent parce qu’ils “ont besoin les uns des autres”.
Cette idée rejoint parfaitement Spinoza : l’interdépendance naît de l’intérêt, pas du sacrifice. La perspective mauritanienne : Saïdou Kane et la vérité du pluralisme
En Mauritanie, nous avons eu des penseurs qui ont vu très tôt les limites du patriotisme abstrait. Parmi eux, Saïdou Kane, anthropologue et historien mauritanien, qui a consacré sa vie à comprendre l’identité, les langues, les fractures et les forces de notre société.
En analysant l’intégration nationale, il montrait que la cohésion d’un pays ne se bâtit jamais sur un amour patriotique uniforme, mais sur la reconnaissance réelle des intérêts, des identités et de la diversité culturelle. Saïdou Kane avait compris avant beaucoup que Une nation n’est solide que lorsque chaque groupe, chaque individu, trouve son intérêt dans l’existence de cette nation. Cette idée est au centre de ma vision.
Le patriotisme est un mythe commode pour ceux qui gouvernent Le patriotisme glorifie le sacrifice, mais très souvent, ceux qui demandent ce sacrifice n’en font aucun. C’est une fiction destinée à culpabiliser les citoyens pendant que les élites jouissent discrètement de leurs privilèges. La vraie nation n’a pas besoin de slogans. Elle a besoin d’institutions qui alignent l’intérêt individuel avec l’intérêt collectif.
Je ne crois pas au patriotisme, je crois à l’humain. Je crois à une vision plus mature : L’individu cherche son intérêt. L’État doit être construit pour que cet intérêt naturel renforce le pays. Une nation fonctionne quand l’égoïsme devient productif.
C’est ainsi que fonctionnaient les civilisations anciennes, les systèmes philosophiques, et les sociétés africaines traditionnelles. La force d’un pays ne vient pas du patriotisme, mais d’une architecture sociale intelligente. Je ne crois pas au patriotisme parce qu’il nie la nature humaine. Je crois à un État qui assume cette nature, la comprend, la canalise et en fait une force.
Souleymane Hountou Djigo
Journaliste, blogueur
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