OMAR IBN SAID : UN NATIF DU FUUTA TOORO, ESCLAVE AUX ÉTATS-UNIS (1806-1863 ) / Par ADAMA GNOKANE (2ème partie)

En guise de préambule à son texte, Omar ibn Said a transcrit intégralement la sourate al Mulk, La Royauté, soixante-septième chapitre du Coran et dont il avait reproduit les treize premiers versets dans un manuscrit rédigé en 1819. Puis suit l’autobiographie proprement dite composée d’une première partie qui se termine en 1831, et d’un post- scriptum non daté et dont le contenu semble avoir été suggéré pour mieux répondre à ce pour quoi l’œuvre avait été sollicitée. Le texte est précédé de deux introductions que séparent huit pages, ce qui témoigne d’une certaine hésitation de l’auteur face à ce genre d’exercice. De ce document, connu dans les sources américaines sous le titre de The Life, nous nous bornerons à relever les principales informations données par son auteur et portant sur certains aspects de son passé africain.

Lire aussi : OMAR IBN SAID : UN NATIF DU FUUTA TOORO, ESCLAVE AUX ÉTATS-UNIS (1806-1863 ) / Par ADAMA GNOKANE (1ère partie)

S’adressant au révérend Hunter qui serait le commanditaire de son autobiographie, Omar ibn Said, s’excusant d’avance pour les insuffisances ou imperfections que son travail pourrait recéler, écrit : « D’Omar à Cheikh Hunter, Vous m’avez demandé d’écrire ma vie ; je ne peux le faire parce que j’ai perdu beaucoup de mon parler, ainsi que l’arabe ; je ne maîtrise pas bien la grammaire et mon vocabulaire est insuffisant. Ô mes compatriotes, je vous demande au nom d’Allah de ne pas me blâmer parce que ma vue et mon corps sont devenus faibles » (ibn Said 1831 :15). Trad. A. Gnokane

Puis l’auteur se présente et donne les informations qui suivent :

– il s’appelle Omar ibn Said, né au « Fuuta Tooro entre les deux
fleuves » ;
– a étudié au Bundu et au Fuuta pendant vingt-cinq ans auprès de
Mohamed Said, son frère, de Cheikh Sileymaani Kumba et de Cheikh
Jibril Abdul ;
– a enseigné pendant six ans dans son village ;
– affirme que son village a été attaqué par une grande armée qui a
tué beaucoup de monde ;
– déclare avoir été capturé puis conduit de son village « Kebe
al Bahr » à la mer, vendu à des chrétiens et transporté dans un navire
pour un voyage en mer qui a duré un mois et demi ;
– indique qu’il pratiquait la religion musulmane en Afrique en
rappelant les obligations religieuses qui s’appliquent à tout musulman ;
17OMAR IBN SAID : UN NATIF DU FUUTA TOORO, ESCLAVE AUX ÉTATS-UNIS…
– se réclame d’un père qui avait cinq garçons et six filles et d’une
mère qui avait trois garçons et une fille7 ;
– affirme avoir quitté l’Afrique à l’âge de trente-sept ans ;
– déclare avoir séjourné vingt-quatre ans aux États-Unis à la date
de la rédaction de son autobiographie.

En conclusion de son autobiographie, Omar ibn Said avait rappelé les raisons pour lesquelles celle-ci avait été sollicitée, c’est-à-dire montrer qu’il était très humainement traité par son maître. Ainsi, en signe de gratitude, il avait écrit : « J’ai continué entre les mains de James Owen qui ne m’a ni brutalisé, ni appelé par de mauvais noms, ni affamé, ni laissé nu, ni soumis à un dur labeur. Je ne peux pas faire un dur labeur, car je suis un homme faible.

Durant les vingt dernières années, je n’ai subi aucun mauvais traitement de la part de James Owen » (ibn Said 1831 :23). Trad. A. Gnokane

Cette autobiographie, qui a disparu pendant 70 ans, a refait surface en 1995 comme nous l’écrivions plus haut. De par son intérêt, elle connut de nouvelles traductions dont celles d’Ala Alryyes sur lesquelles nous formulerons ici quelques remarques.

2.2 Les traductions et leurs limites

Les traductions faites par Ala Alryyes ainsi que celles qui les ont précédées, souffrent d’un certain nombre d’erreurs dues à une méconnaissance des usages, de l’histoire et de la géographie du Fuuta Tooro : erreurs dans la transcription des prénoms, erreurs de localisation et d’interprétation et omissions de certains détails assez significatifs. Il faut dire que l’absence de vocalisation et une expression écrite très défectueuse, comme l’ont souligné John Hunwick (2003-2004 : 66) et William Tamplin (2016 : 129-130), rendent le texte d’Omar ibn Said difficilement compréhensible et la traduction de certains passages ambigüe ou douteuse.

Une première remarque porte sur la transcription du prénom Omar : le mot Omar n’existe pas dans le répertoire des prénoms peuls 18 ou halpulaar’en. En l’absence de vocalisation, le mot peut être lu Oumar ou Amar, deux prénoms assez courants dans le milieu du Fuuta. Mais au regard des différentes transcriptions de ce mot, comme on l’a vu plus haut, il faudrait plutôt lire Oumar comme le montre le document ci-après daté de 1853, mais d’exploitation récente.

FIG. 1 : Spartanburg County Historical Association Manuscript

 

7 Certains auteurs en ont déduit que le père d’Omar ibn Said était polygame, ce qui n’est qu’une possibilité et non une évidence. En se fondant sur les informations qu’il donne, on peut juste affirmer que son père a eu plus d’une épouse.

Une erreur de transcription et de traduction porte sur le nom Said dont l’orthographe telle quelle, ne reproduit pas en caractères latins le terme arabe correspondant8. Le mot arabe utilisé par Omar ibn Said et qui est composé de trois lettres (siinun, yaa’un et dalun) peut se lire suivant la vocalisation en : Saïdou, Saydou, Seydou, Seydi et Sidi, qui sont des prénoms courants en milieu peul. Mais le même mot peut aussi se lire en « sayyid », qui est un titre de respect précédant un prénom. C’est ce sens que John Hunwick (2003-2004 : 62) confère à ce mot dans un article consacré au premier manuscrit9 d’Omar ibn Said, et considère alors sa filiation incomplète dès lors que le titre n’est pas suivi d’un prénom. Cette interprétation est réfutable par ce qui suit : en parlant de son frère qui fut un de ses maîtres, Omar ibn Said le nomme Mohamed Said.

8 Omar ibn SAID écrit ديس (Seyyid) dans son autobiographie alors que la transcription Said que l’on trouve est celle du prénom ديعس (Said). 9 Ce manuscrit de deux pages est daté de 1819. John HUNWICK, qui l’a traduit, lui a donné le titre suivant : I wish to be seen in our land called Afrika ; Omar ibn Said’s appeal to be released from slavery s’appuyant sur un vœu formulé par Omar ibn Said ainsi libellé : « Je souhaite être vu dans ma terre d’Afrique en un lieu du fleuve appelé Kébé (Kéba) al Bahr ». Pour toute référence à ce manuscrit, nous utiliserons la mention
« ibn Said 1819 »

ce qui signifie Mohamed, fils de Said. C’est la même forme d’identification qu’il utilise à propos d’un autre de ses frères et dont le nom est transcrit par Makr Said10, la particule de filiation (ibn) omise ici encore. Il s’en suit que Said est bien le prénom de son père. Ainsi, en supprimant la particule de filiation (ibn), on se retrouve avec quatre formes d’identification : Oumar Saydu, Oumar Seydi, Oumar Seydu et Oumar Sidi.

Une méconnaissance de la géographie du Fuuta a conduit à une erreur sur la localisation du lieu de naissance d’Omar ibn Said. Il ne fait aucun doute pour un habitant du Fuuta Tooro que le Fuuta bayn’ al bahraïni (le Fuuta entre les deux fleuves) d’Omar ibn Said, une traduction du Fuuta hakkunde maaje11 des Haalpulaar’en, désigne l’île à Morphil, la région comprise entre le fleuve Sénégal au nord et son défluent la rivière de Doué au sud12. Il ne s’agit donc nullement d’un espace allant du fleuve Sénégal au fleuve Gambie comme on le lit encore dans de récentes traductions. Soulignons enfin que dans les traductions d’Ala Alryyes et dans celles de ses devanciers, les noms des marabouts d’Omar ibn Said, celui de son frère mis à part, ont été littéralement écorchés. Ils se lisent aisément pour un lettré peul en Cheikh Sileymaani Kumba et Cheikh Jibril Abdul13.

A suivre

 

 

Lire aussi : OMAR IBN SAID : UN NATIF DU FUUTA TOORO, ESCLAVE AUX ÉTATS-UNIS (1806-1863 ) / Par ADAMA GNOKANE (1ère partie)

 

 

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