Nouadhibou : la station d’oxygène qui n’a jamais respiré

Il y a des infrastructures qui sauvent des vies, et d’autres… qui ne servent qu’à remplir des rapports.

À Nouadhibou, la station d’oxygène financée par le Fonds spécial Covid-19, censée insuffler un second souffle à la lutte sanitaire, n’aura finalement jamais respiré.

La Cour des comptes, dans son rapport annuel a tiré la prise d’un projet où l’air du sérieux a vite tourné au gaz de la désillusion. 67 millions pour une station fantôme

Tout commence avec un avenant au marché public d’un montant 67 976 000 MRU. Objet : la construction de deux stations de production d’oxygène, l’une à Nouadhibou, l’autre à Néma. Prestataire : Établissements Al-Kheir, un nom qui promettait le bien. Mais la Cour des comptes, elle, n’y a trouvé que du mal. Elle relève d’abord une non-conformité juridique : l’avenant a été signé après la réception du contrat initial, en violation du Code des marchés publics.  Et comble du comique administratif, ces nouvelles stations étaient présentées comme de simples “compléments” à un contrat antérieur.

Comme si on pouvait ajouter deux poumons à un corps déjà autopsié. Une réception sans test, sans formation, sans oxygène. La station de Nouadhibou a été, tenez-vous bien, réceptionnée sans test préalable, sans mise en service, sans formation du personnel, et sans manuels d’entretien. Autrement dit, un bijou technologique… livré en mode “sans notice”.

Le rapport parle d’une violation flagrante des clauses contractuelles. Mais le gestionnaire, lui, assure que tout a été fait dans les règles. Test ? Fait. Formation ? Donnée. Preuve ? Un procès-verbal aussi respirable qu’un écran de fumée. Quand la Cour arrive, tout est fermé Le 8 août 2022, la Cour se rend sur place. Et là, scène d’anthologie :

• L’hôpital est fermé.
• La station est fermée.
• Aucune activité. Aucun technicien. Aucun souffle.

Le bâtiment respire l’abandon.

Le silence règne, seulement troublé par le vent marin de Nouadhibou qui passe à travers des portes verrouillées.

À Néma, même scénario : station en panne, bouteilles d’oxygène non remplies, techniciens sans formation, manuels absents.

Et pour couronner le tout, la lettre du directeur hospitalier datée du 16 août précise que la formation et les réparations ont eu lieu… après la visite de la mission. Un peu comme si on repeignait la façade après la photo du désastre.

Une station installée dans un hôpital… fermé La Cour découvre ensuite que la station de Nouadhibou n’a jamais été utilisée. Pourquoi ? Parce qu’elle a été installée dans l’hôpital cubain, un établissement fermé depuis belle lurette. Pendant ce temps, l’hôpital espagnol, où se trouvait la vraie unité Covid, continuait d’acheter des bouteilles d’oxygène à prix fort.

Le gestionnaire, imperturbable, évoque une “décision du comité interministériel”. Autrement dit : “C’est pas moi, c’est le système.” Mais lors de la mission du 9 août 2022, la Cour a constaté :

• que la station et l’hôpital étaient clos,
• et qu’il n’existait aucune unité Covid-19 sur place.

Résultat : une station flambant neuve qui n’a jamais servi à un seul patient. L’oxygène de la honte

La conclusion de la Cour sonne comme une asphyxie morale : “Bien que ces stations soient essentielles pour sauver des vies, elles n’ont pas atteint leurs objectifs.”

La station de Nouadhibou n’a jamais fonctionné, et celle de Néma ne fonctionne que par intermittence. Les hôpitaux ont donc continué à acheter des bouteilles d’oxygène, creusant un peu plus la dette publique et l’absurdité sanitaire.

Un comble pour un projet censé renforcer la résilience du système hospitalier en pleine pandémie. Quand la transparence manque d’air Ce dossier symbolise tout ce qui étouffe la gouvernance publique :

• Des marchés signés à contretemps,
• Des réceptions fictives,
• Des comités invisibles,
• Et des millions envolés dans des projets où l’oxygène coûte plus cher que la conscience.

 

 

Souleymane Hountou Djigo

Journaliste, blogueur

 

 

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