
Le Soleil – Ndiadiane Ndiaye occupe une place fondatrice dans l’histoire ancienne du Sénégal et de la Sénégambie. Figure à la fois historique et légendaire, il est reconnu par les traditions orales wolof et sérère comme le fondateur et premier empereur de l’Empire du Djolof, vers le milieu du XIVᵉ siècle, autour de l’année 1360. Son parcours, transmis de génération en génération par les griots, éclaire la naissance de l’un des ensembles politiques les plus structurants de l’Afrique de l’Ouest précoloniale.
Connu sous plusieurs appellations, Ndiadiane Ndiaye ou N’Diadian N’Diaye en français, Njaajaan Njaay en wolof, Njajan Njie en Gambie, il incarne dès son nom la diversité culturelle de la région. Cette pluralité n’est pas anodine : elle annonce un destin hors norme. Selon la tradition, le nom « Ndiadiane » serait né d’une exclamation prophétique signifiant l’exceptionnel, l’inattendu, celui qui vient rompre l’ordre ordinaire du monde.
Les origines de Ndiadiane Ndiaye font l’objet de débats anciens et parfois passionnés. Une tradition largement répandue le présente comme le fils d’Abou Bakr Ben Omar, chef de guerre almoravide, et de Linguère Fatoumata Sall, princesse haalpulaar. La tradition sérère conteste toutefois cette filiation directe et affirme une origine profondément sérère, tant par le nom que par les rites et les pratiques politiques entourant son accession au pouvoir. Des historiens comme Cheikh Anta Diop ont souligné les incohérences d’une ascendance arabe directe, estimant qu’elle relèverait davantage d’une construction tardive visant à renforcer une légitimité islamique. Malgré ces divergences, un point fait consensus : Ndiadiane Ndiaye est le produit d’un espace sénégambien ancien, façonné par le métissage entre Sérères, Wolofs, Halpulaar et Soninké.
La légende situe sa jeunesse dans une période d’exil et de retrait. Après la mort de son père au combat, sa mère se remarie avec un compagnon de ce dernier, union que le jeune Ahmadou aurait refusée en raison de l’origine servile de l’homme. Ce conflit le pousse à quitter la cour et à s’exiler en pays Waalo, près du fleuve Sénégal. Il y séjourne plusieurs années, vivant dans une forme de marginalité volontaire qui alimente peu à peu le mystère autour de sa personne.
C’est dans ce contexte qu’apparaît l’un des récits les plus célèbres de la tradition orale. Ndiadiane aurait vécu dans les eaux du fleuve, n’en sortant que pour apaiser des querelles entre pêcheurs avant de disparaître à nouveau. Intrigués, les habitants de Minguègne Boye finissent par le capturer et l’amener au village. Muet, silencieux, perçu par certains comme un être surnaturel, il reste longtemps enfermé dans son mutisme.
Une femme, Batté Boye, devenue son épouse, parvient finalement à lui faire rompre le silence. Usant de patience et d’ingéniosité, elle le met à l’épreuve de la faim, puis provoque volontairement l’instabilité d’une marmite posée sur deux pierres seulement. Affamé et excédé, Ndiadiane s’écrie « Oss-tati », expression pulaar signifiant qu’il faut trois cales pour stabiliser la marmite. Ce cri marque son entrée définitive dans le monde des hommes. Le mystérieux être du fleuve est désormais reconnu comme un homme doté de sagesse et de parole.
La tradition rapporte que son vrai nom serait Ahmadou et que le surnom Ndiadiane lui aurait été attribué par le marabout sérère Maïssa Waly Dione, qui aurait déclaré : « Ça, c’est Ndiadiane », c’est-à-dire l’extraordinaire, le mystérieux. C’est à partir de cet épisode que se forge sa légitimité politique et symbolique.
Selon certaines versions, Ndiadiane Ndiaye est ensuite reconnu comme premier Brak du Waalo. Mais un complot ourdi contre lui l’oblige à quitter la région. Il se dirige alors vers le Djolof, territoire dominé par les lamanes, maîtres de la terre et détenteurs d’un pouvoir ancien. Là, il accomplit l’œuvre qui fera sa renommée : plutôt que de conquérir par la force, il parvient à rallier les autorités locales par l’alliance et la négociation.
Proclamé Bourba Djolof, il fonde une confédération politique réunissant des royaumes wolof, sérère et peul/toucouleur. Le rôle du roi sérère du Sine, Maïssa Waly Dione, est central dans ce processus : premier à reconnaître Ndiadiane Ndiaye comme empereur, il encourage les autres souverains à lui prêter allégeance. L’Empire du Djolof naît ainsi non de la guerre, mais d’un consensus politique inédit, dans un contexte marqué par le déclin de l’Empire du Mali.
P. A. SY
Source : Le Soleil (Sénégal)
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