Mory Sacko, chef à la toque tranquille : « Je n’ai aucune revanche à prendre sur la vie »

M Le Mag – Portrait – Révélé dans « Top Chef » en 2020, il est une figure charismatique de la jeune gastronomie française. A la tête de Mosuke, son restaurant parisien étoilé, le trentenaire a bâti un petit empire culinaire. Emblématique de cette nouvelle génération de chefs qui mettent la joie et la sérénité au cœur de leur pratique, ce passionné de cuisine nippone sera en début d’année à l’affiche d’une série documentaire tournée au Japon, « Food samouraï ».

Depuis le début, l’histoire est unique. Comme si Mory Sacko, 33 ans, chef du restaurant parisien Mosuke, était porté par une bonne étoile, et pas seulement celle du Michelin qu’il a décrochée quelques mois à peine après l’ouverture. « Il est cuisinier, pas acteur ou rock star, mais on l’arrête dans la rue ! », s’étonne toujours Emilie Rouquette, sa compagne depuis dix ans. Deux mètres tout rond sous la toise, profil d’échassier, le chef est facilement reconnaissable, sous ses dreadlocks. A tout moment, on l’aborde. Des jeunes, surtout, qui voudraient percer la recette de sa réussite.

« Il a mis un coup de pied dans le vieux monde des chefs et dépoussiéré leur image », estime son ami Youssouf Fofana, fondateur de Maison Château Rouge, marque lifestyle de culture africaine. En 2021, ils ont réalisé ensemble une collaboration avec Monoprix : Youssouf Fofana proposait des vêtements et des objets, Mory Sacko, des plats à emporter. « Mory est incroyablement pointu en mode et en décoration, poursuit Youssouf Fofana. Son univers esthétique et culturel dépasse la cuisine, il décomplexe la jeune génération. »

Depuis cinq ans, le restaurant du chef, inauguré le 1er septembre 2020, ne désemplit pas : il faut compter trois mois avant d’obtenir une table. Mais ni l’attente ni les additions piquantes, 140 euros le déjeuner Migration en quinze séquences, 240 euros pour le dîner Vol de nuit autour d’une vingtaine de plats, ne découragent les amateurs de ces voyages culinaires de quatre heures, du Japon à l’Afrique de l’Ouest.

Entre ses « classiques », la pèpè soup aux 54 ingrédients, un plat traditionnel africain revisité avec des épices japonaises, et le dessert chocolat-wasabi, se glisse chaque mois un nouveau plat nippo-africain instagramable à l’infini. « Chef Sacko, premier chef noir samouraï de France », clignotent les réseaux, sous les photos de son bœuf d’Aubrac maturé au karité.

Samouraï noir

Samouraï, voilà qui enchante Mory Sacko. A Tournan-en-Brie (Seine-et-Marne), où il a grandi, il dévorait les films d’animation japonais et les mangas. Son héros était Yasuke, un samouraï ayant réellement vécu dans le Japon féodal. Immense, comme lui dès l’âge de 12 ans, Yasuke avait été capturé par les Portugais en Afrique, puis vendu comme esclave à des jésuites italiens partis en mission à Kyoto. Affranchi et anobli par un chef de guerre vers 1581, il reste à ce jour le seul samouraï noir de l’histoire du Japon.

Presque cinq siècles plus tard, Mory Sacko lui a rendu hommage en baptisant son restaurant de la rue Raymond-Losserand, dans le 14arrondissement de Paris, Mosuke, contraction de son prénom et de Yasuke. Le premier jour des réservations, le site Web du restaurant a été saturé, 24 000 connexions en dix minutes, du jamais-vu. Ensuite, tout s’est précipité.

Mory Sacko.

 

Le dernier événement en date de la saga Sacko est une série télé, « Food samouraï », avec le chef dans son propre personnage, dont la diffusion est annoncée début 2026. Dans le premier épisode, Mory Sacko atterrit à Tokyo et on apprend que ce fou du Japon, fin connaisseur de yuzu et de nori, n’avait jamais mis un pied au pays du Soleil-Levant. Le réalisateur-producteur de la série, Eric Nebot, par ailleurs patron de Hill Valley, une agence de placement de produits, lui a donné cette chance.

Dans les six épisodes tournés en quinze jours – « Je me suis adapté à l’emploi du temps du chef », raconte le réalisateur –, on suit en direct Mory Sacko sur les traces de Yasuke, avec Omar Sy en coach à distance. Fan de l’esclave samouraï, l’acteur l’est aussi du chef de Mosuke depuis qu’il l’a invité à cuisiner chez lui, il y a quelques années.

« Deux princes », commente Eric Nebot, fier de les avoir réunis à l’écran. Dans Food samouraï, conformément aux codes des séries documentaires populaires, Mory Sacko est soumis à un défi : fabriquer 100 bentos (des boîtes de repas japonaises) et les proposer aux passants d’une rue fréquentée d’Osaka.

Avant cela, Mory Sacko visite le pays, Tokyo, Osaka, Kyoto. Il croise le sabre avec un samouraï, fabrique un sushi avec un maître de la discipline et part à la rencontre des habitants, jusqu’à l’une des dernières rescapées d’Hiroshima. Avec Omar Sy, un peu moins grand que lui (le comédien mesure 1,92 mètre) mais tout aussi enthousiaste, ils font d’excellents passeurs. Et leur célébrité est le meilleur atout de Food samouraï.

Rêve de palaces illuminés

Pour Mory Sacko, la renommée a commencé par une apparition dans la onzième saison de « Top Chef », pendant le confinement de 2020. Six millions de Français désœuvrés se sont passionnés comme jamais pour l’émission de M6, découvrant ce long garçon aux jambes interminables et au sourire irrésistible.

A 27 ans, le jeune homme avait déjà une décennie de cuisine derrière lui et un CV ascensionnel. Passé par plusieurs palaces parisiens, dont le Royal Monceau et le Shangri-La, il était à l’époque second chef de Thierry Marx au Mandarin oriental.

Avant d’être éliminé en quarts de finale de « Top Chef » pour un riz à peine trop cuit, il a eu le temps d’évoquer son parcours. Une enfance heureuse dans sa cité de Seine-et-Marne, au bout du RER E, avec ses huit frères et sœurs. Son père, malien, travaillait sur les chantiers, sa mère, sénégalo-malienne, arrivée après lui en France, cuisinait comme personne la pèpè soup.

De ses jeunes années, Mory Sacko a gardé le goût des pommes qu’il allait chaparder dans le verger du paysan du coin et celui de la liberté. « Tournan, c’était la ville à la campagne, raconte-t-il. Après l’école, on partait à vélo dans la forêt et, le week-end, on allait aux Halles, à Paris, en moins d’une heure de transport en commun. »

« Une voie de garage »

A 15 ans, l’ado n’avait jamais vu un artichaut ni tenu un manche de casserole, mais rêvait déjà de palaces illuminés. « Je n’avais aucun atome crochu avec la cuisine, poursuit-il. Cela m’est venu en voyant une émission de télévision avec Cyril Lignac. Dans la foulée, je me suis inscrit à l’école hôtelière de Savigny-le-Temple. » Sur un coup de tête, il s’est donc retrouvé, calot sur ses dreadlocks, à éplucher des légumes tout le jour.

« A l’époque, la cuisine, c’était l’école de la dernière chance, tout le monde me disait que c’était une voie de garage. J’ai vite compris que ce n’était pas comme à la télé, mais je me suis accroché. » BEP, bac pro, l’apprenti a bientôt su brider une volaille et fourrer les vol-au-vent. Des exploits qui ne lui ont été d’aucune utilité par la suite, mais qui lui ont donné le goût du travail bien fait.

Sur le plateau de « Top Chef », il détonnait dans l’univers des aspirants chefs. Quand d’autres rêvaient de leur nom brodé sur une veste blanche, lui imaginait déjà les kimonos que porteraient les serveurs dans son futur restaurant. Avec Emilie Rouquette, aujourd’hui directrice du Groupe Mory Sacko, il avait tout prévu : restaurant, business model, carte, décoration. Et aussi l’esprit du lieu : « Je déteste les services prétentieux où on vous fait comprendre que vous êtes dans un endroit important et qu’il faut un certain niveau pour apprécier la cuisine », précise-t-il.

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Source : M Le Mag

 

 

 

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