En Mauritanie, le 28 novembre continue de porter deux récits qui s’ignorent. L’un célèbre l’indépendance retrouvée. L’autre rappelle l’un des drames les plus douloureux de notre histoire récente, celui des soldats exécutés à Inal en 1990. Comment célébrer une date qui rassemble et qui blesse à la fois.
Cette question revient aujourd’hui avec une force nouvelle, et elle concerne tous les Mauritaniens. Chaque année, nous revenons vers cette date avec un sentiment partagé. Le 28 novembre marque la récupération de notre souveraineté, mais il rappelle aussi une tragédie qui n’a jamais reçu la reconnaissance qu’elle mérite. Cette dualité continue de hanter notre mémoire collective. Aucune nation ne peut avancer sereinement lorsque deux blessures marchent sur des chemins séparés, lorsque deux vérités ne se rencontrent pas. Le courage national commence au moment où un peuple accepte de regarder son histoire telle qu’elle est, avec ses grandeurs et ses douleurs, et avec la fatigue silencieuse de ceux qui portent cette mémoire depuis trop longtemps.
Ces derniers jours ont montré que les Mauritaniens ne s’opposent pas sur les faits. Ce qui nous divise, c’est le sens que chacun donne à cette date. Pour certains, le 28 novembre est un repère intangible de souveraineté. Pour d’autres, il reste une plaie ouverte. Beaucoup demandent simplement que la vérité soit dite et que la mémoire soit respectée. Ce besoin est légitime et profondément national. Ce n’est pas la date qui nous sépare. C’est l’absence d’un récit commun qui puisse faire coexister mémoire et fierté, loin de toute récupération politique qui pourrait travestir la douleur ou la transformer en instrument. Il serait injuste de demander aux familles des victimes de célébrer un jour qui rappelle leur douleur. Il serait tout aussi injuste de demander à nos concitoyens de renoncer à marquer l’indépendance. La véritable réconciliation ne force personne à choisir entre la mémoire et la souveraineté. Elle leur donne à chacune un espace clair, digne, respectueux. C’est ainsi que les nations avancent.
Nous pouvons sortir de cette impasse. L’idée d’une Journée nationale de la Mémoire et de la Dignité, tenue la veille ou à une date décidée collectivement, permettrait enfin d’offrir un espace officiel aux victimes d’Inal, de Oualata et à toutes celles et ceux touchés par les violences politiques. Le 28 novembre pourrait alors retrouver son sens de célébration et de projection nationale. Clarifier les rituels ne divise pas le pays. Cela l’unit. Le monde nous offre des exemples puissants. L’Algérie, malgré une guerre d’indépendance brutale et la Décennie noire, a construit un chemin de réconciliation nationale pour ne pas laisser ses blessures devenir des fractures définitives. La France a dû affronter la Terreur, les rafles, Vichy, les violences coloniales et bien d’autres pages sombres. Elle a avancé en multipliant les lieux de mémoire, les commissions historiques, les excuses officielles. Dans ces deux pays, l’État a joué un rôle central. Il a assumé son devoir de vérité, de justice symbolique et de cohésion. Aucune réconciliation n’aurait été possible sans cet engagement.
Cet enseignement s’adresse directement à nous. Si nous voulons construire une Mauritanie réconciliée, il faut un État qui assume son rôle non seulement institutionnel mais aussi moral. Un État capable d’offrir un espace de réparation aux communautés blessées, de rassurer celles qui n’ont pas été touchées directement mais veulent contribuer à l’unité nationale, et de rassembler tout le pays autour d’un même horizon. La réconciliation n’a pas pour vocation d’ajouter de nouvelles victimes. Elle cherche au contraire à faire disparaître toutes les blessures pour bâtir une seule et même communauté nationale, et elle implique aussi la responsabilité morale de nos élites, qui doivent porter le récit national avec hauteur et sens du devoir.
Et n’oublions jamais ce que nous avons déjà accompli. Après l’indépendance, malgré nos différences de tribus, d’ethnies ou de territoires, nous avons réussi à instaurer un vivre-ensemble rare, fragile mais réel. Ce travail n’a pas été simple, mais il constitue l’un de nos plus grands succès silencieux. Aujourd’hui, une nouvelle génération se lève, porteuse d’une Mauritanie plurielle, confiante et ouverte. Nous lui devons un nouveau récit national, où chaque citoyen a sa place sans hiérarchie implicite, dans une mémoire assumée. Si nous avons le courage de regarder notre histoire ensemble, alors le 28 novembre pourra devenir ce qu’il doit être. Une date d’orgueil national, de dignité retrouvée, de fierté partagée. Une fête où chaque Mauritanien, d’où qu’il vienne, se reconnaît dans un même destin. Nous devons à nos morts la vérité Nous devons à nos vivants la justice Nous devons à nos enfants une Mauritanie arc en ciel, souveraine et pleinement elle même.
Mansour LY
Le 22/11/2025
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