Mauritanie – Cour des comptes : la CNAM, malade d’une fraude “à l’étranger” tolérée par l’inaction

La Cour des comptes ne mâche pas ses mots : la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) est rongée par des pratiques frauduleuses et des défaillances de contrôle, notamment sur les évaluations et prises en charge à l’étranger.

Le tableau dressé est celui d’une caisse sans boussole comptable, sans base de données fiable, et avec une cellule anti-fraude… jamais activée pendant les années auditées. La fraude “à l’étranger” : faits, montants, destinations.

1) Un gisement de dossiers douteux ignoré

• 2 530 dossiers “douteux” recensés par la cellule anti-fraude, signalés officiellement à la Direction générale. Aucune suite effective documentée par la Cour.

• 12 cas : des provisions de séjours d’évacuation alors que les assurés ne se sont jamais déplacés à l’étranger (montant total 495 000 MRU).

. 4 cas : fraude détectée après que les assurés aient effectivement reçu des soins à l’étranger, générant un coût supporté par la CNAM de 4 104 378,4 MRU à comptabiliser en perte exceptionnelle, insiste la Cour.

2) Les “13 cas” emblématiques de fraude à l’étranger (extraits nominatifs par INAM)

La Cour publie un tableau nominatif (par numéros INAM) d’assurés évacués frauduleusement à l’étranger (Maroc et Tunisie), avec dates et montants facturés.

Exemples extraits du tableau :

• INAM 46537-A / 09357-A → Maroc, évacuation du 22/07/2013, 1 182 453 MRU ;
• INAM 00289-A / 00289-A → Tunisie, 26/09/2009, 505 536 MRU ;
• INAM 89060-R / 13891-R → Maroc, 30/10/2009, 170 897 MRU ;
• INAM 86205-A / 86232-A → Maroc, 11/02/2010, 2 245 491 MRU.

La Cour précise que 4 des 13 bénéficiaires ont remboursé 3 600 000 MRU, mais que le reliquat dû n’était pas réglé à la date de sa mission. Elle exige l’activation effective de la cellule anti-fraude.

3) Chaîne de contrôle médicale et financière défaillante

La fraude prospère parce que toutes les mailles laissent passer :

• Direction médicale (Comité d’évacuation sanitaire),
• Direction des prestations (validation et règlement),
• Direction des finances et de la comptabilité (paiements).

La note de service n°0010 du 31/10/2017, qui impose de transférer les dossiers “douteux”, n’a pas été appliquée en 2020–2021, faisant payer la CNAM pour des non-ayants droit. Aucune sanction relevée par la Cour.

Ce que révèle la fraude : gouvernance et systèmes en panne

• Cellule anti-fraude inactive pendant les années auditées ; aucun dossier traité, aucune mesure disciplinaire constatée par la Cour.

• Base de données des assurés inexistante/fragmentée : impossible d’identifier avec certitude l’assiette, d’où cotisations mal calibrées et provisions techniques fragiles.

• E-Déclarations non activées : l’outil “Vision Plus” existe mais n’est pas utilisé pour fiabiliser et recouper les contributions ; la Cour enjoint la DG de l’activer.
Dépenses et pratiques à risque qui nourrissent la fraude

• Avances de 80 % aux cliniques privées avant contrôle, sans garantie un appel d’air pour surfacturations et dossiers irréguliers.

• Recrutements irréguliers et usage massif de “stagiaires permanents” (accès à des dossiers confidentiels), prime de gardes versées, recrutement déguisé.

• Remboursement de lunettes à des tiers-payant non spécialisés (cliniques générales, radio, kiné, dentaire, etc.) depuis 2019 et encore en 2022 : la Cour rejette l’explication d’“erreurs de saisie” répétées.

Cas “Taazour” : l’équation financière intenable (fragilise la caisse)

La convention CNAM–Taazour couvre des ménages pauvres à 175 MRU/ménage, très inférieur au coût réel d’un assuré au SMIG. La Cour chiffre un manque à gagner annuel d’environ 29,5 millions MRU et souligne que le DG de la CNAM reconnaît la nécessité d’une révision urgente pour éviter de mettre en péril l’équilibre de la caisse.

Le diagnostic de la Cour (extraits nets)

• “Risque de non-continuité du service public d’assurance maladie” si les fuites (fraudes, avances, remboursements irréguliers) et les défaillances de contrôle ne sont pas réparées immédiatement.
• Activation immédiate de la cellule anti-fraude et sanctions aux fauteurs ; fermeture des brèches procédurales (évacuations non justifiées, flux financiers non contrôlés).

 

 

Souleymane Hountou Djigo

Journaliste, blogueur

 

 

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