
Le Monde – « Au commencement était la bière ! La bière était lieu. La bière était nous. Oui, la bière était tout. La bière était tout et rien à la fois. La bière était donc un tout-rien ou un rien-tout comme tout quoi… » C’est sur un prologue hallucinatoire que s’ouvre Maudit soit-il, de l’auteur congolais (RDC) Christian Gombo alias « Tomokwabini ».
Qui parle ? Où nous entraîne-t-on avec ces premières lignes entre humour et absurde ? On est saisi, dans les pages suivantes, par un spectacle de désolation qui déconcerte plus encore. Un terrible accident de la circulation vient de se produire, en plein Kinshasa. Des restes de corps disloqués et épars jonchent le sol devenu écarlate.
« On était deux, le motard et moi. On roulait sur la grande route 24.24, route-plaine, toujours pleine de monde », explique un narrateur. « Sans préliminaires, un camion-citerne est entré en transe, camion-essence, camion-feu, et tous les véhicules à proximité sont entrés dans la danse du feu. » Celui qui s’exprime ainsi est un écrivain au funeste pseudonyme de Maudit. Pris au piège du carambolage, il entame, entre la vie et la mort, une logorrhée hagarde où le récit de son existence va croiser des réflexions sur l’état du pays et du monde.
Pas d’intrigue
On le comprend vite, il ne faut pas rechercher d’intrigue dans ce roman dont le projet consiste moins à faire évoluer une situation et des personnages qu’à tenter d’exprimer l’anomie, de circonscrire par l’écriture un sentiment de chaos général : « Tout chez nous se bouscule dans un désordre désolant », affirme Maudit.
Le désordre en question est d’abord celui de la propre vie du personnage, grandi sans père auprès d’une mère gagnée par la folie, une vie menée vaille que vaille avant que la séropositivité n’anéantisse liens sociaux et devenir professionnel : « Je ne sais plus compter le nombre de fois où j’ai été fusillé du regard à l’annonce de mon état de santé. Heureusement que je ne suis pas zéro positif, c’est la pire des maladies qui fait s’effondrer n’importe quel colosse. »
Alors Maudit se projette dans les rêves. Gisant, agonisant, délirant, il observe les alentours, s’imaginant atteindre l’hôpital du Cinquantenaire, à quelques mètres de là, sur le dos de sa mère venue à sa rescousse. Là-bas, assurément, il croisera le regard d’une infirmière attentionnée et connaîtra le grand amour. Ses rêves le ramènent également au temps où Patrice Lumumba, militant de l’indépendance, avait suscité les espoirs de milliers de Congolais.
« Ah Lumumba ! Le seul Congolais valable : un vrai Homme quoi. (…) Tant pis, tu es mort. Et dans nos moments de recueillement éphémère, on se dit à ton sujet : “Une fourmi vivante vaut plus qu’un lion mort.” Non, ce mec était un yakuza. Un vrai yankee. A lui seul, il a mangé la haine universelle (…). Le mec était trop présent, pesant et imposant. Qu’il repose en paix. »
Maudit soit-il, de Christian Gombo Tomokwabini (éd. Les Lettres mouchetées, 115 pages, 15 euros).
Source : Le Monde