
Le Soleil – En Afrique, tout le monde prétend être agent de joueur. Nombreux sont ceux qui ne disposent pas d’une licence leur permettant d’exercer légitimement cette profession pourtant essentielle dans le milieu du sport. Certains usurpateurs parviennent à tromper de jeunes sportifs en leur promettant monts et merveilles, mais la fin est souvent décevante, bouleversante, voire tragique. L’histoire de Cheikh Touré, jeune gardien sénégalais décédé dans des conditions douteuses au Ghana, en est le triste symbole.
Chaque année, des centaines de jeunes footballeurs africains tombent dans les filets de ces faux agents sans scrupules. Derrière les promesses de carrière et les illusions d’un avenir doré se cachent des drames humains insoutenables, des rêves brisés. Entre un sportif professionnel et son agent, la relation dépasse souvent le cadre du simple management : une véritable amitié peut naître. Parfois, les joueurs ont plus confiance en leur manager qu’en leur propre famille. Ils le considèrent comme un ami, un confident, voire un père. Une relation fondée sur la confiance mutuelle et la volonté de réussir ensemble. Mais le secteur n’est malheureusement pas fermé. Tout le monde peut s’autoproclamer agent sportif dans un but précis : extorquer de l’argent. Il est surtout difficile de discerner les vrais agents des faux, car ces derniers sont très organisés. Ils font des victimes en trahissant la confiance de leurs athlètes, brisant leur rêve, comme c’est le cas pour Cheikh.
Un rêve cauchemardesque
Un rêve a été vendu à Cheikh Touré, une carrière de footballeur professionnel lui a été promise. Mais ce ne fut qu’un mirage. La réalité sera fatale pour ce jeune gardien de but sénégalais âgé de seulement 17 ans. Cheikh est mort au Ghana, dans des conditions très douteuses. La nouvelle de son décès a bouleversé sa famille, ses proches, les passionnés de football et, plus largement, tous ceux qui ont entendu parler de son histoire. Cheikh aspirait à devenir un grand joueur, à faire une carrière exceptionnelle comme Édouard Mendy ou Tony Sylva. Il rêvait de porter des gants et de défendre les buts des meilleures équipes du monde, et un jour, ceux de la sélection nationale.
Sur les terrains sablonneux de son quartier ou sur la plage, il s’entraînait avec ses amis, les pieds nus, la tête pleine d’espoir. Le football représentait toute sa vie, comme pour tant de jeunes Sénégalais, et plus largement, Africains. Convaincu de sa vocation, il cherchait la meilleure voie pour réaliser son rêve. Son destin croisera malheureusement un réseau composé d’escrocs et de malfaiteurs qui vont se faire passer pour des agents. Ils lui ont vendu un projet séduisant : rejoindre une grande académie de football au Ghana, la Paca Academy, pour y lancer sa carrière professionnelle. Cheikh y croit dur comme fer. On lui demande 335 euros de frais initiaux, un CV sportif à jour, puis 1 300 euros supplémentaires une fois sur place. Tout semble bien organisé. Cheikh en parle à ses proches. Ils sont emballés et la somme pour le départ est réunie. Un voyage terrestre de Dakar à Accra est prévu. Le jour du départ arrivé, les choses se sont faites dans la plus grande discrétion. C’est au garage des Baux Maraîchers que Cheikh doit prendre le bus pour Accra. Ses yeux étaient pleins d’étoiles, persuadé que sa vie allait changer, que c’était le premier pas à faire. Il entame un voyage de 3 000 kilomètres, sur des routes pas toujours en bon état, en environ sept jours et trois étapes (Bamako – Ouagadougou – Abidjan), avant de débarquer dans la capitale de l’ancienne Gold Coast.
Mais une fois arrivé, le calvaire commence. La désillusion sera immense. Cheikh découvre qu’il a pris, sans le savoir, un ticket aller simple pour l’enfer. Il est logé dans des conditions précaires, privé de liberté, mal nourri, menacé et battu. À son arrivée, on lui réclame la somme restante. Il ne l’a pas. Sa famille tente tant bien que mal de réunir l’argent, mais n’y parvient pas. Sa vie est menacée. Ses ravisseurs harcèlent sa famille, leur donnant un délai très court et leur envoyant des photos du jeune gardien dans un état pitoyable, augmentant l’angoisse de sa mère.
Les jours passent et, peu à peu, les nouvelles s’estompent. La famille de Cheikh est dans le flou. Elle fait des recherches sur la Paca Academy, qui communiquera plus tard qu’aucun joueur sénégalais n’a jamais été, ni ne va rejoindre le centre. Comme d’autres jeunes victimes de ce réseau, Cheikh était incapable de raconter ce qu’il vivait. Puis un jour, le silence total. Les faux agents deviennent injoignables. Il était gravement blessé lorsqu’il fut transporté à l’hôpital de Kumasi. Cheikh y a rendu l’âme, loin de sa famille — une carrière morte avant même d’avoir vu le jour. La lumière de toute une famille s’est éteinte dans la quête du bonheur. Sa famille et ses proches auront enfin l’occasion de lui dire adieu. Son corps devrait arriver à Dakar ce samedi 1er novembre 2025 et son enterrement est prévu demain, dimanche, à Touba.
Une pratique qui fait des ravages
Il est le premier à avoir perdu la vie à cause de ce réseau, du moins à ce que l’on sait. D’autres jeunes, comme Momo et Bamba, ont eux aussi été piégés. Eux ont eu plus de chance : ils ont pu rentrer sains et saufs à Dakar, le 22 octobre 2025, grâce à une collaboration efficace entre les autorités sénégalaises et ghanéennes. Cependant, un suivi psychologique s’impose, car il n’est pas évident de surmonter une telle expérience. En Afrique, et plus particulièrement au Sénégal, le football n’est pas qu’un sport. C’est une passion, une identité, un espoir d’ascension sociale. Mais trop souvent, ce rêve est exploité. Cheikh Touré, mort dans des conditions atroces au Ghana, en est le symbole. Les coupables commencent à tomber, mais le combat ne fait que commencer.
N’y a-t-il vraiment pas de solution(s) ?
Les jeunes sportifs sont innocents, inconscients et doivent être mieux protégés — d’abord par leur famille, mais aussi par leur État d’origine. La traque des faux agents doit être impitoyable et la sanction très sévère. Aucune pitié pour ceux qui profitent de la naïveté et du rêve des jeunes.
Un site officiel répertoriant les agents agréés africains par la FIFA, accessible à tous, serait un bon début. Les jeunes footballeurs pourraient ainsi vérifier l’authenticité de ceux qui prétendent les représenter. Cette pratique existe déjà en France. Les agents sportifs agréés sont répertoriés sur le site de la Fédération française de football.
Yaya SOW
Source : Le Soleil (Sénégal)
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