Madagascar : le rôle clé des réseaux sociaux dans la chute du pouvoir

The Conversation  – La crise malgache a de multiples causes, mais le succès de la mobilisation de la société – avant tout de la jeunesse – tient en grande partie à la place désormais centrale des réseaux sociaux. Ce sont eux qui ont facilité la diffusion des discours hostiles au pouvoir, qui ont permis la coordination des actions de protestation et qui ont offert aux militaires en rupture de ban avec le gouvernement une plateforme pour exprimer leur ralliement à la révolte, qui vient d’aboutir à la proclamation de la destitution du président par l’Assemblée nationale.

Le 25 septembre 2025, Antanarivo a basculé dans une crise socio-politique de grande ampleur. Ce qui avait commencé comme une contestation locale contre les délestages électriques récurrents s’est transformé en mouvement de protestation national porté, entre autres, par une jeunesse massivement connectée et amplifié par les réseaux sociaux.

En quelques jours, les manifestations se sont étendues. Le bilan de la répression, contesté par le gouvernement malgache, s’élèverait à 22 morts et 100 blessés selon le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de l’ONU. Le gouvernement a été dissous, une unité de l’armée (le Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques, CAPSAT) a rejoint les manifestants pour s’approprier la symbolique place du 13 Mai, symbole de victoire contre le pouvoir en place.

Le président de la République Andry Rajoelina a quitté le pays le 12 octobre, exfiltré par un avion militaire français. Alors qu’il refuse de démissionner et dénonce ce qu’il qualifie de tentative de prise du pouvoir par la force, affirmant par ailleurs avoir été victime d’une tentative d’assassinat, l’Assemblée nationale vient ce 14 octobre de voter sa destitution et une unité de l’armée ralliée aux protestataires a affirmé avoir pris le pouvoir.

Si les suites immédiates des événements actuelles ne sont pas évidentes à prévoir, il est déjà possible d’analyser les mécanismes qui ont permis une mobilisation si rapide et si efficace des contestataires. Il apparaît que l’information – sa circulation, ses cadrages, ses temporalités – est devenue un champ de bataille politique central. À Madagascar comme ailleurs, le pouvoir se joue également dans l’espace public numérique.

Une lecture de cette séquence malgache avec les outils des sciences de l’information et de la communication (SIC) permet de comprendre comment les réseaux sociaux peuvent catalyser une mobilisation, fragiliser des régimes politiques et redéfinir les rapports entre citoyens, médias et institutions.

Un basculement politique façonné par l’information

Dès les premiers jours, des vidéos montrant les pillages et les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont massivement circulé sur les réseaux sociaux.

Ces images, souvent filmées par des citoyens ordinaires, ont eu un double effet.

D’un côté, en mettant crûment en évidence la perte de contrôle de la part des autorités et leur recours à la violence, elles ont nourri l’indignation collective. De l’autre, elles ont contribué à structurer une narration politique de la crise : celle d’un peuple en résistance face à un pouvoir lui apparaissant comme défaillant.

Cette dynamique repose sur le principe de la puissance de cadrage des images virales. Autrement dit, ce qui compte, ce n’est pas seulement ce qui est montré, mais la manière dont ces contenus circulent, sont commentés et s’agrègent dans des temporalités extrêmement courtes.

Dans un contexte où les médias traditionnels malgaches adoptent, dans le traitement de l’information, une posture prudente – souvent marquée par l’autocensure ou une proximité avec les récits officiels –, les plates-formes numériques s’imposent comme l’arène centrale de production et de légitimation des discours politiques. Cette configuration évoque ce que Bernard Miège (2007) décrit comme « une société conquise par la communication », où les flux informationnels structurent les rapports sociaux plus rapidement que les institutions ne peuvent réagir.

La génération Z, un nouvel acteur politique

La mobilisation malgache a été portée par la génération Z : de jeunes urbains connectés, familiers des codes numériques, souvent critiques à l’égard des élites politiques. Ils ne se sont pas contentés de consommer de l’information. Ils l’ont produite, relayée et scénarisée collectivement.

Des hashtags coordonnés (#RajoelinaDémission, ###May13) ont rythmé la contestation ; des cartes collaboratives signalant des barrages routiers ont été diffusées en temps réel ; des lives Facebook ont transformé chaque moment, chaque événement, en tribune politique.

Ce fonctionnement horizontal, sans leader unique, a dérouté les institutions. C’est l’illustration même de la mutation de l’espace public. En même temps que des organisations structurées (partis, syndicats), des réseaux d’individus connectés produisent et amplifient l’action collective, s’inscrivant dans un espace public numérique agonistique, c’est-à-dire un espace où la confrontation d’opinions, d’émotions et de récits se substitue aux formes traditionnelles de délibération publique. Dans ce contexte, le pouvoir ne repose plus uniquement sur le contenu des messages, mais sur la capacité à connecter et à mobiliser des publics actifs capables d’imposer leur propre rythme au débat politique.

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Docteur en sciences de l’information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave Eiffel

 

 

 

Source : The Conversation 

 

 

 

 

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