
Le Jour d’Algérie – Dans un monde où les voix sincères se perdent souvent dans le vacarme, Tawfiq Belfadel parle bas, mais ses mots résonnent loin. Cet écrivain et poète fait partie de cette génération d’auteurs algériens qui refusent le silence, qui transforment la douleur du réel en beauté littéraire, et l’exil intérieur en œuvre universelle.
Professeur de français au collège, chroniqueur, nouvelliste et essayiste, Belfadel est de ceux qui écrivent non pour séduire, mais pour survivre. Ses livres – Kaddour le facebookiste, La Femme chez Maïssa Bey, Algérie, regards croisés ou encore Sisyphe en Algérie – tracent les contours d’un esprit libre, lucide, et profondément attaché à la dignité humaine. Son écriture, nourrie de philosophie et de lyrisme, puise dans la vie quotidienne des Algériens une matière brûlante, à la fois tragique et poétique.
Dans Sisyphe en Algérie, Belfadel revisite le mythe antique pour y inscrire la réalité d’un peuple condamné à recommencer, à pousser sa pierre sans jamais atteindre le sommet.
Ses nouvelles, entre dérision et désenchantement, captent cette fatigue collective d’un pays qui rêve mais qu’on empêche de vivre.
«Le quotidien de l’Algérien est un condensé de malheurs», confiait-il. Pourtant, dans chaque phrase, on sent un amour viscéral pour cette terre, un attachement à la mer de Mostaganem, cette mer qui, pour beaucoup de ses amis, est devenue le dernier horizon avant la harga.
Il regarde partir ces jeunes, non pas avec jugement, mais avec tristesse. Il sait que ce n’est pas seulement le chômage qui pousse à l’exil, mais l’absence de sens. Le manque d’air. L’étouffement d’une société blessée par les hypocrisies et les interdits.
Tawfiq Belfadel parle sans détour. Pour lui, l’islamisme n’est pas une opinion, mais une mutilation de la vie. Il dénonce avec courage ceux qui «ont violé la langue arabe» en la transformant en instrument de prêche et de peur. Il défend la langue française non comme un héritage colonial, mais comme un bien commun de l’humanité.
«Il faut dépolitiser la langue, disait-il, la rendre à sa vocation première : dire le beau».
Cette liberté de ton, il la paie cher. Ses chroniques, souvent ironiques, souvent rageuses, lui valent des inimitiés.
Mais il continue. Parce qu’écrire, pour lui, c’est résister. C’est une manière de respirer dans un monde qui veut l’asphyxier.
Le poète Belfadel n’est pas qu’un révolté. Il est aussi un bâtisseur.
En 2018, il remporte à Abidjan le premier prix international de poésie pour Le pont des mots, un poème d’une beauté déchirante. On y sent sa foi dans le dialogue des âmes, sa conviction que la littérature peut abolir les frontières et les préjugés.
«Nos mots abattent les murs, Libèrent les mouettes, Et tissent un pont.
Un pont sans couleur, sans nom».
Ce pont symbolise tout son parcours : relier, sans renier. Faire passer la lumière de l’un à l’autre. Sur ce pont suspendu entre les rives, Tawfiq Belfadel rêve d’un monde où les identités cesseraient de s’entre-déchirer, où le noir et le blanc se confondraient dans une même humanité.
C’est dans cet esprit d’ouverture et de partage qu’il fonde le magazine de critique littéraire Lecture-Monde, véritable pont vers l’Autre et source vivante en littérature.
Hafit Zaouche
Source : Le Jour d’Algérie – (Le 22 novembre 2025)
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