Les preuves introuvables de la supposée attaque de drones ukrainienne contre une résidence de Vladimir Poutine

En dépit des accusations russes, aucune frappe n’a été documentée autour du domaine présidentiel, situé à 400 kilomètres au nord-ouest de Moscou. Kiev, qui dénonce un « mensonge », y voit un prétexte du Kremlin pour durcir sa position dans les négociations de paix.

Le Monde – A l’issue des discussions qui se sont tenues, mardi 30 décembre, entre les alliés européens et canadien de l’Ukraine, le chancelier allemand, Friedrich Merz, a tenu à remettre les pendules à l’heure. « La transparence et l’honnêteté sont désormais exigées de tous, y compris de la Russie », a-t-il déclaré dans un message publié sur son compte X. Il faisait référence aux allégations de la direction russe répétant à l’envi, et sans preuve aucune, ces deux derniers jours, que l’une des résidences de Vladimir Poutine, au nord-ouest de Moscou, aurait été la cible d’une attaque de drones ukrainiens, dans la nuit de dimanche à lundi.

Vigoureusement et immédiatement démentie par Kiev, cette attaque supposée entraînera une riposte militaire dont les cibles ont « déjà été déterminées », a fait savoir, lundi, Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe. Autre conséquence, Moscou va durcir sa position dans le cadre des négociations menées avec les Etats-Unis. Selon le ministre des affaires étrangères russe, le « régime criminel de Kiev » aurait lancé 91 drones de combat cette nuit-là, lesquels se seraient abattus sur le domaine présidentiel situé à Valdaï, dans la région de Novgorod. Protégé par une douzaine de batteries anti-aériennes, le luxueux domaine est la résidence principale de la compagne de Vladimir Poutine, Alina Kabaïeva, une ancienne championne de gymnastique rythmique, qui y vit avec leurs deux jeunes fils, Ivan et Vladimir. Etonnamment, l’essaim de drones n’a fait ni victimes ni dégâts. « Tous ont été détruits », a rassuré le diplomate, lundi.

De son côté, Vladimir Poutine a téléphoné dès lundi à Donald Trump pour lui dire à quel point cette attaque présumée, un « acte terroriste », risquait de compliquer le processus de négociations. Selon Iouri Ouchakov, le conseiller diplomatique du président russe présent lors de l’entretien téléphonique, le président américain, « choqué » par la nouvelle, a laissé entendre que la relation américano-ukrainienne en serait affectée. « Trump a dit : “Dieu merci, nous n’avons pas fourni de missiles Tomahawk à Zelensky” ! », a précisé M. Ouchakov.

Parallèlement à ses opérations militaires, la Russie mène une guerre informationnelle de haute intensité. Les Ukrainiens ont beau la dénoncer sans relâche, elle produit malgré tout ses effets, en particulier sur le président américain, toujours en phase avec Vladimir Poutine. Mardi, le Kremlin a reçu de nombreuses manifestations de soutien après l’attaque supposée. Les présidents du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, et de l’Ouzbékistan, Chavkat Mirzioïev, ont ainsi appelé Vladimir Poutine pour condamner l’attaque présumée. Le premier ministre indien, Narendra Modi, s’est dit « profondément préoccupé », tandis que le chef du gouvernement pakistanais, Shehbaz Sharif, a dénoncé une « menace grave pour la paix, la sécurité et la stabilité ».

A Kiev, le ministre des affaires étrangères ukrainien, Andrii Sybiha, s’est dit « déçu et préoccupé » par ces déclarations concernant « une attaque qui n’a jamais eu lieu ». « De telles réactions face aux affirmations manipulatrices et infondées de la Russie ne font que servir la propagande russe et encourager Moscou à commettre davantage d’atrocités et de mensonges », a-t-il ajouté, y voyant une « atteinte au processus de paix constructif qui progresse actuellement ».

« Provocation »

Face aux graves accusations formulées par Moscou, les faits et leur vérification ont une importance majeure. Or, la frappe présumée n’a pas été documentée. Dans une note, publiée lundi 29 décembre, l’Institute for the Study of War (ISW), un centre de recherche américain, remarque qu’il n’existe aucune image des opérations de défense aérienne, d’explosion, d’incendie ou de panache de fumée à proximité de la cible citée par le ministre des affaires étrangères russe. De même, souligne l’ISW, aucune déclaration des autorités russes locales et régionales, aucun reportage local n’est venu corroborer les affirmations de M. Lavrov. « Il n’existe aucune preuve solide qui vienne corroborer les graves accusations des autorités russes, y compris après recoupement des informations avec nos partenaires », a expliqué, mardi, au Monde une source proche de l’Elysée.

Quarante-huit heures après les faits, la Russie n’a toujours pas fourni le moindre élément susceptible d’étayer son accusation et ne compte pas le faire. « Je ne pense pas qu’il y ait de preuves quelconques. Il s’agit d’un raid massif de drones qui, grâce au travail bien rodé de la défense aérienne, ont été abattus et neutralisés. Quant aux débris, je ne peux rien dire. C’est plutôt un sujet qui concerne nos militaires », s’est dérobé Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, lors d’un point de presse organisé mardi, à Moscou.

Autre étrangeté, les habitants de Valdaï ont affirmé au média russe d’opposition Sota ne pas avoir entendu les défenses anti-aériennes se déclencher pendant la nuit, alors même qu’elles auraient dû être activées pour abattre jusqu’à 91 drones ukrainiens. En outre, précise Sota, les drones lancés de la frontière nord de l’Ukraine auraient dû traverser un espace aérien russe lourdement protégé, comprenant de nombreuses installations des forces de missiles stratégiques, des unités de défense aérienne, ainsi que l’aviation militaire et d’autres moyens de protection aérienne.

Le président russe, Vladimir Poutine, le ministre de la défense, Andreï Belooussov, le chef d’état-major des forces armées russes, Valeri Guerassimov, et de hauts responsables militaires, à Moscou, le 29 décembre 2025.

 

Sans compter la dissonance entre les déclarations officielles russes, lesquelles divergent tant sur le nombre de vecteurs que sur les régions visées. Lundi, dès 7 h 45, le ministère de la défense évoquait une attaque de drones sur la région de Novgorod, puis sur celle de Briansk, tandis que M. Lavrov, intervenant deux heures plus tard, évoquait pour sa part la résidence présidentielle de Valdaï comme seule cible. « Tout cela met en doute la version du Kremlin », estime l’expert militaire Iouri Fiodorov, qui y voit une « provocation mal ficelée de la direction russe ». Selon lui, « Poutine n’est pas prêt à négocier, il veut poursuivre sa guerre au-delà du Donbass, jusqu’à faire de l’Ukraine sa vassale. Décidé à empêcher Trump d’adopter des sanctions contre la Russie, il doit lui présenter une explication plausible pour ne pas risquer d’entrer en conflit avec lui. D’où cette provocation ». La presse russe ne s’en cache pas : « Moscou a désormais les mains libres », titrait mardi le tabloïd Komsomolskaïa Pravda.

« Créer une fausse excuse »

A Kiev, les accusations sans preuves de Moscou ont été aussitôt récusées avec force. « Encore un mensonge de la Fédération de Russie », a réagi, lundi, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, soupçonnant Moscou de préparer le terrain pour « mener des frappes, probablement sur la capitale et probablement sur des bâtiments gouvernementaux ». De fait, les attaques russes sur l’Ukraine et sa population civile, réelles et bien documentées, se sont considérablement intensifiées depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, le taux de victimes civiles ayant grimpé de 25 % en 2025 par rapport à l’année précédente. « Tout ce que la partie russe cherche, c’est créer une fausse excuse pour justifier son refus de poursuivre les efforts de paix qui se sont récemment accélérés grâce au travail actif de l’Ukraine et des Etats-Unis », a commenté Heorhii Tykhyi, le porte-parole du ministère des affaires étrangères ukrainien.

Contrairement à cette attaque supposée, les frappes que l’Ukraine a menées jusqu’ici en Russie ont été systématiquement suivies de preuves visuelles diffusées sur les réseaux sociaux. De nombreux experts estiment peu probable que les Ukrainiens aient visé la résidence de Vladimir Poutine, une cible dénuée d’intérêt stratégique pour Kiev. De manière générale, les drones ukrainiens utilisés pour frapper la Russie en profondeur visent à en fragiliser le logistique militaire ou l’économie, par exemple les raffineries de pétrole.

« La résidence de Poutine n’est pas une cible militaire importante, il est donc peu probable que les Ukrainiens souhaitent y consacrer leurs ressources », explique Emil Kastehelmi, analyste militaire au sein du centre de réflexion Black Bird Group, installé en Finlande. Ce dernier affirme, lui aussi, n’avoir vu « aucune preuve crédible » ou « rapport corroborant » permettant de confirmer l’allégation du Kremlin.

 

 

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

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