Les étudiants africains, un enjeu stratégique pour la Russie

Afrique XXI – Enquête · La Russie est une destination académique de plus en plus attractive pour les étudiants venus d’Afrique. Selon les autorités, leur nombre dépasserait désormais celui enregistré à l’époque soviétique. Moscou s’emploie à promouvoir ses campus et à faciliter leur venue, y voyant un puissant levier d’influence.

Comme chaque 1er septembre depuis quatre ans, Ahmat (le prénom a été modifié) reprend le chemin des cours à l’université de Barnaul, en Sibérie. Après y avoir obtenu sa licence en informatique, ce jeune Tchadien fait son entrée en master. Depuis son arrivée, le cursus s’effectue entièrement en langue russe. « J’ai choisi la Russie parce que je sais qu’il y a des opportunités pour nous, les Africains, et j’avais fait mon choix depuis le collège », assure-t-il. Une fois ses études terminées, Ahmat explique hésiter entre rentrer au Tchad ou bien rester, « puisque [il] considère désormais la Russie comme [son] pays ».

Si les chiffres de la rentrée 2025 ne sont pas connus, la Russie aurait accueilli plus de 30 000 étudiants africains1 lors de l’année universitaire 2024-2025, contre 17 000 en 2019. « C’est le niveau le plus élevé de toute l’histoire », s’enthousiasme Avbakar Nutsalov, président de l’organisation du groupe des universités d’État russes (Racus). Ce réseau facilite chaque année l’inscription et l’arrivée des étudiants étrangers. En excluant les ressortissants de la Communauté des États indépendants2 (CEI), de la Chine et de l’Inde, près de 25 % d’entre eux seraient africains, selon les chiffres communiqués à Afrique XXI par le ministère de l’Enseignement supérieur russe3. S’ils sont principalement originaires du Maghreb, d’Afrique du Sud et du Nigeria, Avbakar Nutsalov souligne que « ces dernières années, l’intérêt a également au Mali, au Congo, aux Comores, en Namibie » et dans une douzaine d’autres pays d’Afrique subsaharienne.

Pour expliquer cet engouement, Avbakar Nutsalov met en avant « des frais de scolarité subventionnés » avec un hébergement « en résidences universitaires », et surtout « 1 200 programmes d’enseignement en russe, en anglais et en français ». Avec cette stratégie, l’ambition de Racus est de se poser en concurrent direct de l’Europe, qui reste le premier pôle d’attraction universitaire pour les Africains (près de 300 000 en 20234. « L’objectif principal de l’UE […] est d’en tirer un profit financier » assure Avbakar Nutsalov, tandis que la Russie chercherait à « créer un climat amical et des relations de confiance avec les citoyens africains ». Un discours incisif, mais qui semble trouver un écho auprès de la jeunesse africaine.

Bourses d’État et influenceurs TikTok

Les étudiants étrangers sont d’abord incités à venir en Russie via l’octroi d’aides financières. Après avoir obtenu son baccalauréat à N’Djamena, Ahmat a ainsi candidaté et obtenu une bourse d’État octroyée par l’ambassade. Ces dispositifs datent de l’ère soviétique mais ont pris de l’ampleur ces dernières années : selon l’agence de presse RIA Novosti, le nombre de bourses accordées aux étudiants africains est passé de 4 000 en 2019 à près de 9 000 en 2025. Ensuite, les candidats doivent tous enregistrer leur candidature auprès du Rossotrudnichestvo5, « qui centralise les candidatures internationales aux universités », se souvient Ibrahima Dabo, docteur en sciences politiques sénégalais.

Le chercheur a lui-même étudié en Russie entre 2017 et 2019. « J’avais entendu parler, par l’intermédiaire d’un ami, de la qualité des études en relations internationales à l’Université de Nijni Novgorod, se rappelle-t-il, cette recommandation m’a fortement influencé au moment de faire mes choix d’universités. » Peu représentées dans les classements internationaux, les universités russes misent sur leur propre communication pour séduire à l’étranger.

Avbakar Nutsalov explique que Racus organise des événements et diffuse du matériel promotionnel comme des brochures « avec le soutien des ambassades », mais utilise aussi des « campagnes sur les réseaux sociaux et dans les médias ». Le réseau dispose ainsi de pages sur plusieurs réseaux sociaux pour chaque pays avec parfois du contenu sponsorisé, c’est-à-dire automatiquement recommandé aux utilisateurs basés en Afrique.

Quant à la plateforme chinoise TikTok, il suffit de taper « études Russie » dans la barre de recherche pour tomber sur des dizaines de comptes tenus par de jeunes Africains présentant leur quotidien d’étudiants ou de jeunes actifs dans le pays. Le ton varie, tantôt comique, tantôt sérieux, certains racontent des anecdotes tandis que d’autres donnent des conseils. Les formats sont très différents. Un point commun cependant : une partie importante de ces influenceurs incite, directement ou non, à venir étudier en Russie.

Opacité et sujets tabous

Avec ses 65 000 followers, « Mr. Le Russe en Sibérie » fait figure de poids lourd. Ses vidéos abordent des sujets pratiques, comme le processus de candidature aux bourses ou les bureaux de traduction. Comme beaucoup d’autres, l’influenceur laisse son numéro de téléphone et invite ses abonnés à « continuer à [le] contacter pour émigrer en Russie ».

Des comptes d’influenceurs promettant les mêmes services existent en français, en anglais et en arabe – vraisemblablement destinés à un public maghrébin. Certains comme « Franklin Roosvelt » redirigent même directement depuis leur compte vers le site officiel du Rossotrudnichestvo. Difficile cependant d’en apprendre plus sur leurs liens avec les autorités russes : sur les quatorze comptes d’influenceurs contactés pour une interview, tous ont expressément refusé de répondre aux questions. Approché via une messagerie sous l’identité d’un étudiant maghrébin, « Mr. Le Russe » explique quant à lui pouvoir réaliser la procédure d’inscription, comme « la traduction de vos documents et la paperasse administrative », contre 2,2 millions de francs CFA (environ 3 350 euros).

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Driss Rejichi

Journaliste basé en Tunisie

 

 

Source : Afrique XXI 

D

 

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