Les drones, objets de convoitise de toutes les armées d’Afrique

« Les drones, nouvelle donne des guerres africaines » (1/3). Outils incontournables des conflits modernes, ces aéronefs prolifèrent en Afrique et bouleversent les équilibres sur les champs de bataille.

Le Monde – C’est la dernière bavure d’une longue série et l’une des plus meurtrières. Le 5 décembre, 85 personnes qui célébraient le Mawlid, commémorant la naissance du prophète Mahomet, ont été tuées par une frappe de drone dans un village de l’Etat de Kaduna, dans le nord du Nigeria. L’armée, qui pensait ce jour-là viser un groupe armé, a massivement recours à ces aéronefs sans pilote dans sa double guerre contre le terrorisme islamique et contre le banditisme. Au prix d’importants dégâts collatéraux. D’après l’organisation Human Rights Watch, plus de 300 Nigérians sont morts « par erreur », depuis 2017, dans des tirs de drones.

Longtemps réservés aux opérations antiterroristes menées par les militaires occidentaux, les avions sans pilote ou UAV (pour « Unmanned Aerial Vehicle », en anglais) sont en passe de devenir une pièce maîtresse des arsenaux du continent africain. Leur usage est encore limité en comparaison des théâtres de guerre en Ukraine ou au Moyen-Orient, mais il va croissant et bouleverse déjà la façon de mener la guerre.

Ces cinq dernières années, plus d’une vingtaine de pays africains s’en sont équipés, particulièrement en Afrique du Nord, et plus récemment au Sahel. L’Egypte dispose de 42 UAV armés, soit la plus grande flotte du continent, d’après les données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. Dernière à sauter le pas, la République démocratique du Congo a acquis, en mai, trois drones chinois de modèle CH-4 et une station au sol, pour lutter contre le groupe armé Mouvement du 23 mars, dans l’est du pays.

« Frappes signatures »

Pour des armées africaines en mal de financement, les UAV changent radicalement la donne : non seulement ils permettent de conserver une bonne maîtrise des airs, mais leur coût est environ vingt fois moindre que celui des avions de chasse. Les drones armés de classe III coûtent entre 2 et 20 millions d’euros, et les drones tactiques de classes I et II, moins endurants et principalement déployés pour des missions de surveillance, peuvent valoir moins d’un million d’euros. Ils procurent en outre la capacité unique de collecter du renseignement dans des territoires difficiles d’accès.

En Ethiopie, les drones ont ainsi joué un rôle déterminant dans la victoire de l’armée éthiopienne lors de la guerre du Tigré (2020-2022). A l’été 2021, alors que les rebelles du Front populaire de libération du Tigré (FPLT) s’approchaient dangereusement de la capitale, Addis-Abeba, le premier ministre, Abiy Ahmed, lui-même ancien colonel, avait acquis en quelques semaines des drones turcs, iraniens et chinois.

L’effet a été sidérant. Déployés simultanément dans le ciel éthiopien, les drones ont pilonné les positions rebelles, coupant les lignes d’approvisionnement, détruisant les armes lourdes et éliminant plusieurs généraux tigréens lors de « frappes signatures » – des attaques ciblées contre des officiers ennemis. Les insurgés n’eurent d’autre choix que de se replier vers la province du Tigré. « Parfois, huit drones tournaient dans les airs en même temps, il nous a fallu revoir toute notre stratégie », confie un officier tigréen, terrifié par l’efficacité des aéronefs et le sentiment de vulnérabilité qu’ils provoquent. Défait, le FPLT devra se résoudre à signer un accord de paix un an plus tard.

« Effet multiplicateur »

Les dirigeants ouest-africains « ont pris note du succès éthiopien et ont acquis des drones dans l’espoir que cette technologie les aide à sortir de leur marasme militaire », prétend Jessica Moody, une chercheuse en prévention des conflits, dans une tribune parue dans le magazine Foreign Policy. S’ils ne constituent pas une « solution miracle » aux guerres sahéliennes, les drones agissent comme un « effet multiplicateur » influant sur toutes les autres composantes du champ de bataille, souligne-t-elle. Non seulement la présence de ces aéronefs dans les airs renforce le moral des troupes et permet de récolter de précieux renseignements, mais elle déstabilise l’organisation d’un ennemi désormais condamné à constamment trouver un abri face à cette menace invisible.

Un drone Bayraktar TB2 de fabrication turque. Le Mali et le Burkina Faso ont acquis ces aéronefs sans pilote après le départ des soldats français de l’opération « Barkhane ».

Plusieurs pays sahéliens confrontés à des insurrections djihadistes se sont empressés de doter leur armée de ces outils de surveillance et de combat, comme le Mali et le Burkina Faso, qui ont acquis des drones turcs Bayraktar TB2 après le départ des soldats français de l’opération « Barkhane ».

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(Nairobi, correspondance)

Source : Le Monde – (Le 26 décembre 2023)

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