Le juridique

Le 360.ma – ChroniqueLa pagaille régnant sur certains réseaux sociaux est telle que le juridique a été obligé d’intervenir et de mettre un peu d’ordre dans cette forêt hirsute. Nous sommes loin d’avoir assaini la situation. Entre les «influenceurs et influenceuses» installés à Dubaï, des apprentis-sorciers qui se croient malins et des voyous sans scrupule, la scène virtuelle est des plus toxiques.

On s’interroge souvent sur un fait entêté dans notre beau pays : le juridique a du mal à s’installer durablement dans les mentalités de la plupart des citoyens, qu’ils soient citadins ou ruraux.

Le juridique est une base qui dit ce qui est juste ou injuste. Il est l’un des fondements de l’État de droit. Or, cet État a lui aussi du mal à se consolider et être la référence majeure des comportements des personnes.

Les politiques en parlent. Les électeurs en rêvent. Mais la réalité informelle est plus forte, davantage présente dans la vie quotidienne et dans la relation du citoyen avec les rouages de l’État.

La société fonctionne ainsi depuis des siècles. Difficile d’abandonner ces habitudes qui avaient un sens avant, mais plus maintenant. Et pourtant, on les tolère.

La résistance la plus forte concerne l’argent en espèces. Or, le liquide est ce qui permet la corruption, le vol et la fraude. Et l’on y tient.

Lors de la réunion le 9 décembre dernier à Rabat de l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC), une stratégie quinquennale a été présentée. Pas un mot sur la circulation de l’argent en espèces.

Cela fonctionne comme le code de la route des automobiles. Tout le monde le connaît, mais si on peut, vers minuit alors que la circulation est rare, brûler un feu rouge, on y va gaiement. En fait, l’État de droit ne connaît pas d’exception. Il est immuable, permanent et sans conteste.

On ne brûle pas un feu parce qu’il n’y a pas de risque ou parce qu’il n’y pas de gendarme, mais par principe.

Il en est de même quand il s’agit de s’arrêter pour respecter le droit de priorité même si aucune voiture ne se présente là. C’est une question de principe.

Les caméras filment et personne ne s’en soucie.

L’incivisme se banalise. La notion de respect se perd. Cela alimente les discussions dans les cafés ou les réunions familiales. Y en a qui sont fiers de dépasser la vitesse autorisée et de ne pas tenir compte des feux dans un croisement.

Une de mes premières rédactions en classe de philo nous demandait si nous étions «des personnes de principe ou de préjugés». Notre prof, Mme Licari, une dame exceptionnelle, nous avait bien expliqué qu’avoir des principes, c’est avoir des valeurs et les respecter. Les préjugés sont le fait de l’ignorance et du racisme.

«Plus que d’autres pays, le Maroc aurait besoin d’une pédagogie du droit et du respect de la loi. L’éducation ne peut se permettre de passer outre.»

Je me souviens encore aujourd’hui de cette leçon simple et pourtant qui m’a marqué à vie.

Être un homme de principe est plus rassurant. La confiance est possible et la compétence aussi.

Il faut dire que «l’invasion» des réseaux sociaux, qui gouvernent de plus en plus les mentalités de beaucoup de gens, débouche sur une absence de droit, de lois et de règles. On dit tout, on accuse, on médit, on diffame et on se croit à l’abri de la justice. Dernièrement, une dame, suite à une plainte de son ancien mari pour diffamation, a été arrêtée et mise en prison. L’utilisation de TikTok l’a ruinée en quelque sorte. Certains ne pensent pas qu’il existe dans notre si beau pays des lois et une justice capable de sévir et de punir.

La pagaille régnant dans certains réseaux sociaux est telle que le juridique a été obligé d’intervenir et de mettre un peu d’ordre dans cette forêt hirsute. Nous sommes loin d’avoir assaini la situation. Entre les «influenceurs et influenceuses» installés à Dubaï, des apprentis-sorciers qui se croient malins et des voyous sans scrupule, la scène virtuelle est des plus toxiques.

La pratique des réseaux sociaux aurait pu être moralement intéressante et même positive. Mais, n’ayant pas de tradition de la retenue et du respect, certains citoyens en ont profité pour satisfaire un appât du gain sans limite. Ils ont perdu la tête, la raison et la morale. À aucun moment, ils n’ont imaginé que ce qu’ils font avec ces outils de malheur pourrait leur créer des difficultés, voire la perte de la liberté et de la dignité.

On dit : «Nul n’est censé ignorer la loi». Encore faut-il enseigner le droit dès le collège. Plus que d’autres pays, le Maroc aurait besoin d’une pédagogie du droit et du respect de la loi. L’éducation ne peut se permettre de passer outre.

On soigne et l’on répare une société en commençant par l’éducation. C’est la base et le devoir de l’État. Le progrès s’acquiert avec la culture. Et la culture est le fondement et l’âme de toute société.

 

 

 

Tahar Ben Jelloun

 

Source : Le 360.ma (Maroc)

 

 

 

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