La retraite, c’est la mort

Pour un écrivain, la retraite a les accents d'une marche funèbre, d'un adieu définitif au monde.

Slate – Évidemment, pour moi, la retraite est une notion qui n’existe pas, une notion abstraite. Je n’arrive même pas à imaginer à quoi elle pourrait bien ressembler. Le jour où je déposerai la plume, c’est que la mort ne sera plus très loin. Ou bien que mon état de santé sera tel que l’acte même d’écrire me sera devenu impossible. À moins que comme Philip Roth ou Alice Munro, las de l’écriture et de l’énergie nerveuse requise, je ne décide en pleine conscience d’entrer dans le monde du silence.

Ce n’est pas demain la veille, tant il est vrai que la vie d’écrivain ne prépare pas à la retraite. Écrire, c’est déjà se mettre en retrait, effectuer un pas de côté afin d’apposer sur le papier ces vertiges qui nous hantent. D’une certaine manière, je suis à la retraite depuis toujours. N’ayant jamais consenti à travailler, la retraite ne peut avoir pour moi que les accents d’une marche funèbre, d’un adieu plus ou moins programmé à ce monde.

De toutes les manières, au vu des montants que je toucherai quand l’État considérera que j’ai malgré tout le droit de partir à la retraite, mieux vaut prier pour que jamais je ne cesse d’écrire. J’aurai ainsi l’esprit assez occupé pour ignorer les gémissements de faim venus tout droit de mon estomac ou le claquement de mes dents transies de froid. Sans parler des miaulements de mon chat réduit à la mendicité, faute de croquettes à lui donner.

Autant dire que je n’entends rien à la cacophonie actuelle sur la réforme des retraites, ni l’âge souhaité pour la prendre. Quelle différence si je la prenais dans quatre ou dans sept ans, voire même dans deux siècles? Ma vie, il me semble, serait exactement la même, aussi rébarbative et monacale que celle menée aujourd’hui. La retraite, c’est comme l’enfer, ce sont d’abord les autres.

Il m’est néanmoins permis de constater à quel point la France est un pays singulier où la priorité des priorités semble être toujours de se différencier du reste du monde. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, si la très grande majorité des pays occidentaux se sont accordés sur un âge de départ à la retraite plus tardif, ce n’est pas simplement pour emmerder leurs concitoyens. Il doit bien avoir quelques impératifs économiques qui président à cette décision.

À cette occasion, je suis toujours frappé de voir à quel point la France est un pays paradoxal où ses habitants s’estiment globalement insatisfaits des conditions de leur existence, mais néanmoins prêts à porter le fer si jamais on entend changer quoi que ce soit à leur quotidien. Comme si la France était figée dans le malheur et devait le rester, sorte de donnée anthropologique à laquelle on ne saurait remédier sinon au risque de déclencher une guerre civile.

Comment un pays déjà si protecteur, si généreux dans ses aides, si endetté peut-il se payer le luxe de ne pas augmenter l’âge de départ à la retraite? C’est, je l’avoue, pour le béotien que je suis, une source d’interrogations infinie. Existerait-il un chemin seulement connu par la France, une alchimie secrète qui permettrait, malgré une pyramide des âges défavorable, de ne rien changer aux conditions actuelles tout en maintenant les finances publiques à flot ?

D’ailleurs, je n’ai jamais vraiment compris pour quelle raison cet âge devrait être le même pour tous. Ne serait-il pas possible de l’échelonner selon la pénibilité du travail endurée tout au long de sa carrière? Que peut bien avoir de commun un travail exercé debout derrière une machine-outil ou au dehors, par tous les temps, avec un autre passé dans le confort douillet d’un bureau ou au sein d’une entreprise à trier le courrier ?

Au fond, le mieux serait de commencer sa vie d’adulte par la retraite avant d’entrer dans la vie active une fois ses 40 ans passés. Disposant de toutes ses facultés mentales et physiques, on pourrait parcourir le vaste monde afin de parfaire ses connaissances et jouir au maximum des plaisirs de la vie. Une fois ainsi rassasié, on prendrait le chemin du bureau pour le quitter seulement à l’heure de sa mort.

La puissance de ma pensée m’étonnera toujours. J’arrive à formuler des idées que, même sous acide, le plus grand des économistes n’aura jamais. On comprendra mieux pourquoi je n’ai jamais voulu m’astreindre à une vie de dur labeur, j’aurais occasionné tant de dégâts qu’à moi seul, je serais parvenu à couler l’économie française !

Décidément, la retraite n’est pas faite pour des handicapés comme moi.

 

 

Source : Slate (France)

 

 

 

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