La pacification mémorielle en trompe-l’œil d’Emmanuel Macron

Afrique XXI  – Parti pris · Reconnaître les crimes coloniaux est a priori une entreprise louable. Mais derrière les apparences peuvent se cacher des intentions moins avouables. La « politique mémorielle » engagée par Emmanuel Macron depuis 2017 vise à court-circuiter les mouvements qui réclament justice pour les crimes du passé et à défendre les intérêts français sur le continent africain.

Le pouvoir a besoin, pour s’installer et se perpétuer, de recycler à son profit les critiques qui lui sont adressées. Emmanuel Macron en sait quelque chose : il n’a cessé, pendant la campagne présidentielle de 2017, de donner des gages symboliques à la gauche pour mieux faire accepter son programme de guerre sociale1.

Sa déclaration tonitruante lors d’un déplacement à Alger, en février 2017, participe de cette stratégie. La colonisation est un « crime contre l’humanité » qui commande à la France de présenter des « excuses », déclare-t-il alors à la télévision algérienne. Des mots qui tranchent avec les positions de ses concurrents dans la course à la présidentielle. Mais l’explication de texte du candidat Macron, quelques jours plus tard, ne fait que reprendre le couplet mémoriel déjà entonné par ses prédécesseurs.

Le refrain de la « réconciliation »

Comme François Hollande, qui affirmait en mars 2016 que « la grandeur d’un pays, c’est d’être capable de réconcilier toutes les mémoires et de les reconnaître », Emmanuel Macron place la réconciliation au cœur de sa stratégie mémorielle. « Je ne suis ni dans la repentance ni dans le refoulé, explique-t-il au quotidien Le Figaro le 16 février 2017. Il faut nommer ce qui a été fait de mal et reconnaître ce qui a été fait de bien. […] Nous devons réconcilier des mémoires fracturées : celle des harkis, celle des pieds-noirs, celle des Français d’origine algérienne, celle des binationaux… La France est aujourd’hui bloquée par les passions tristes de son histoire. »

Cette idée repose sur trois postulats. D’abord qu’on peut transposer les traumatismes individuels aux communautés auxquelles les individus sont censés appartenir. Ensuite que la société peut se découper en « groupes mémoriels » antagonistes, plus ou moins ethnicisés. Enfin que l’État a la mission thérapeutique de libérer ces groupes de leurs traumas et de réconcilier ainsi une société menacée par une véritable « guerre » des mémoires et des identités.

Ce triple postulat, remis en cause par les études empiriques, a été popularisé par quelques historiens médiatiques. Les plus célèbres sont sans conteste Benjamin Stora, ancien militant trotskiste et spécialiste des relations franco-algériennes, et Pascal Blanchard, expert autoproclamé du « fait colonial » et patron d’une agence de communication mémorielle, Les Bâtisseurs de mémoire2. Ces deux historiens « de gauche » font la promotion de la notion de « guerre des mémoires » depuis les années 20003. Pour calmer les conflits identitaires, expliquent-ils, l’État doit mettre en œuvre une politique de « réconciliation mémorielle ».

« Sortir des luttes fratricides »

C’est cette théorie d’apparence progressiste que recycle Macron en se présentant, lors de sa première campagne électorale, comme un homme providentiel capable de réconcilier toutes les franges de la société française : la gauche avec la droite, les chômeurs avec les ultra-riches, les agriculteurs avec les start-uppeurs, les enfants de déportées avec les admirateurs de Pétain, les descendantes de colonisées avec les nostalgiques de l’Algérie française, etc.

Le candidat Macron promet non seulement de rabibocher la France avec elle-même mais aussi avec ses anciennes colonies. « Ce que nous allons faire dans le quinquennat qui vient, promet-il lors d’un meeting à Marseille le 1er avril 2017, c’est sortir du passé qui ne veut pas passer, c’est sortir des luttes fratricides qui divisent le pays, qui affaiblissent la France, le Maghreb, l’Afrique, c’est sortir de la Françafrique– c’est sortir de tout ce qui nous a tués. »

Dans les mois qui suivent son élection, le président Macron ouvre plusieurs chantiers qui prolongent ses promesses électorales. Sur le dossier algérien, il demande à quelques historiens de rédiger une déclaration par laquelle la France reconnaîtra sa responsabilité dans l’assassinat du militant communiste et anticolonialiste Maurice Audin, en 1957. Il lance en parallèle un « plan harki » comprenant notamment une revalorisation des allocations viagères perçues par les anciens supplétifs de l’armée française.

En direction de l’Afrique subsaharienne, le nouveau président se veut plus ambitieux. En visite à Ouagadougou en novembre 2017, il promet que « les conditions [seront] réunies » dans les cinq ans « pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ». Un rapport est commandé sur ce sujet à l’historienne Bénédicte Savoy et à l’économiste Felwine Sarr. Quelques mois plus tard, il confie à l’historien Vincent Duclert la présidence d’une commission de recherche intitulée « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsis ».

Tripatouillages élyséens

Si la presse applaudit ces initiatives « courageuses », les observateurs attentifs se montrent dubitatifs. Le rapport Savoy-Sarr, qui prône une ambitieuse réforme du code du patrimoine, est balayé d’un revers de main par Emmanuel Macron. Ce dernier opte pour une politique de restitutions au compte-goutte, qui ressemblent à des récompenses symboliques pour les régimes « amis de la France » : le Sénégal de Macky Sall, le Bénin de Patrice Talon et, plus tard, la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara. On attend toujours, à l’automne 2025, qu’un projet de loi-cadre permettant de déroger au principe d’inaliénabilité des collections publiques – susceptible, par conséquent, de débloquer enfin le processus de restitutions des dizaines de milliers d’œuvres africaines conservées dans les musées français – soit enfin soumis au Parlement.

L’Élysée n’hésite pas, par ailleurs, à interférer directement dans le travail des historiens. En 2020, le président intervient directement dans le processus de restitution des dépouilles des résistants algériens rapportées en France comme trophées au XIXe siècle. Cherchant à accélérer la restitution d’une vingtaine de crânes, pour complaire à Alger, il court-circuite le travail d’expertise… et se ridiculise. Le New York Times révèle bientôt que seuls six des vingt-quatre crânes restitués appartenaient en réalité à d’authentiques résistants (les autres étant vraisemblablement ceux de supplétifs de l’armée française)4.

Lire la suite

 

 

 

Thomas Deltombe

Éditeur et essayiste. Il est l’un des auteurs du livre Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page