– Mardi 25 novembre, journée pluvieuse et triste en Algérie, qui perd une figure incarnant depuis plus d’un demi-siècle son humour, sa liberté et sa chaleur humaine. Biyouna, de son vrai nom Baya Bouzar, s’est éteinte à l’âge de 73 ans à l’hôpital de Beni Messous, à Alger. Artiste totale – chanteuse, danseuse, percussionniste, actrice –, elle restera l’un des visages les plus aimés du pays.
Née le 13 septembre 1952 à Belcourt (aujourd’hui Belouizdad) dans une famille modeste mais imprégnée de musique – sa demi-sœur aînée n’était autre que la chanteuse Faïza El Djazaïria –, elle brille très tôt. A 17 ans, tambourin en main, elle anime déjà les mariages algérois avec une aisance désarmante. Repérée par la grande cantatrice Fadhéla Dziria, elle rejoint son orchestre féminin et s’impose comme percussionniste talentueuse et interprète du répertoire hawzi et aroubi. Dans les cabarets et les fêtes de nuit, son nom circule bientôt comme celui d’une artiste incontournable.
Sa vie bascule en 1973, lorsque le réalisateur Mustapha Badie lui confie le rôle de Fatma, la commère irrésistible dans l’adaptation en série télévisée de L’Incendie, du romancier Mohammed Dib. La télévision algérienne n’a alors qu’une seule chaîne et, en quelques semaines, Biyouna devient un phénomène national. Sa gouaille, ses improvisations et son humour ravageur la rendent inoubliable. Elle entre dans les foyers et dans les cœurs, comme une sœur, une voisine, une amie.
Le cinéma lui ouvre ensuite ses portes : d’abord Leïla et les autres, de Sid Ali Mazif (1978), puis viennent La Voisine, de Ghaouti Bendedouche (2000), et les collaborations marquantes avec Nadir Moknèche, Le Harem de Mme Osmane (2000), Viva Laldjérie (2004) et Délice Paloma (2007). Sa filmographie comptera plus d’une trentaine de longs-métrages, auxquels s’ajoutent de nombreuses séries, dont la culte Nass Mlah City, de Djaffar Gacem (2002-2006), où elle incarne une galerie de personnages délirants et profondément populaires (mendiante, voyante, super-héroïne malgré elle…). Rachid Bouchareb la dirige dans Le Flic de Belleville (2018), Mahmoud Zemmouri dans Beur blanc rouge (2006). Elle a également sorti plusieurs albums, dont Raid Zone (2001) et Blonde dans la Casbah (2007).
Tempérament généreux et direct
En dépit des violences de la « décennie noire » – la guerre civile qui, entre 1992 et 2002, opposa le gouvernement à différents groupes islamistes – et les menaces dont elle fut la cible, Biyouna n’a jamais cessé d’assumer sa liberté. « Je referais plus encore », lançait-elle à ceux qui lui reprochaient son passé de danseuse. Installée à Paris à partir de 1999, elle n’a pourtant jamais rompu son lien intime avec l’Algérie.
Jusqu’à la fin, malgré une santé fragile, elle est restée disponible pour son public, fidèle à son tempérament généreux et direct. Celles et ceux qui l’ont côtoyée disaient d’elle qu’elle était la même dans la vie et devant la caméra : spontanée, chaleureuse, drôle (même dans ses vérités les plus crues), toujours prête à tendre la main ou à offrir un sourire. « Mon public fait partie de ma vie, et je fais partie de la sienne », confiait-elle souvent.
Figure populaire parmi les plus lumineuses du paysage artistique algérien, Biyouna appartenait à cette génération d’artistes qui ont façonné l’imaginaire collectif et accompagné les transformations profondes du pays. Son parcours, traversé par la musique, la danse, le théâtre, la télévision et le cinéma, a longtemps incarné une forme de liberté jubilatoire, celle qui résiste, improvise et rassemble. Sa disparition laisse un immense vide, tant son rire et son franc-parler semblaient indestructibles. Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a salué, dans un message de condoléances, une grande artiste à qui « la spontanéité et le naturel [du] jeu d’actrice (…) ont valu une grande estime ».
Aujourd’hui, Biyouna s’en va, mais son rire continue de résonner. Dans les ruelles de la Casbah, dans les salons où l’on revoit Nass Mlah City, dans les souvenirs de plusieurs générations d’Algériens qui ont grandi en l’écoutant chanter, improviser, déployer son énergie unique. Elle a été à la fois une artiste chaleureuse, une figure incontestée de la comédie algérienne et, surtout, une femme libre. Une voix salutaire pour de nombreux Algériens, marqués par la « décennie noire » et qui, avec elle, ont réappris à rire.
13 septembre 1952 Naissance à Belcourt (aujourd’hui Belouizdad, Algérie)
1973 Joue dans la série télévisée « L’Incendie », de Mustapha Badie
2002-2006 Série « Nass Mlah City », de Djaffar Gacem
2004 « Viva Laldjérie », de Nadir Moknèche, au cinéma
2007 Album « Blonde dans la Casbah »
25 novembre 2025 Mort à Alger




