Editorial du « Monde » Le songe qui, nuit après nuit, trouble le sommeil du sultan est un cauchemar : l’Iran bientôt réaffirmé dans son rôle de puissance régionale ; l’Iran sorti de son statut de paria de la communauté internationale ; un Iran doté d’un savoir-faire nucléaire avancé et dégagé du carcan des sanctions économiques pesant sur lui…
L’ombre menaçante du vieil ennemi perse devenu cette théocratie chiite à prétention révolutionnaire à quelques encablures des émirs et monarques du Golfe !
Voilà ce qui, pour l’Arabie saoudite, se profile à l’horizon de l’été si un accord est conclu sur le programme nucléaire de la République islamique, première étape d’une possible normalisation des relations entre Washington et Téhéran. Dans cette perspective, le royaume saoudien refait autour de lui une manière d’union régionale, fourbit ses armes et entretient ses alliances.
Ainsi faut-il interpréter la réception exceptionnelle faite à François Hollande, premier chef d’Etat européen invité, lundi 4 et mardi 5 mai à Riyad, à un sommet extraordinaire du Conseil de coopération du Golfe (CCG), regroupant, outre l’Arabie saoudite, le Qatar, Bahreïn, les Emirats arabes unis, Oman et le Koweït. Après des années de brouille, les Saoudiens ont rétabli leurs relations avec le Qatar et retrouvé leur rôle de chef de file du monde arabe sunnite (la branche majoritaire de l’islam).
Sous la double menace du djihadisme et de l’hégémonisme iranien, le nouveau roi, Salman, resserre et rajeunit l’équipe dirigeante du royaume. Il vient de nommer son neveu, Mohamed Ben Nayef, 55 ans, dauphin, et son propre fils, Mohamed Ben Salman, vice-dauphin. Il a lancé au Yémen une guerre contre un clan qu’il accuse Téhéran de manipuler pour mettre ce pays sous influence iranienne.
Enfin, Salman cultive l’amitié de la France : elle passe pour avoir des positions fermes dans la négociation sur le nucléaire iranien ; elle réclame toujours la fin du régime de Damas, ce protégé de la République islamique. L’invitation de M. Hollande au sommet de Riyad est pour le monarque saoudien une manière élégante de transmettre à la Maison Blanche le dépit de la maison des Saoud devant l’obstination de Barack Obama à vouloir conclure un accord avec Téhéran.
L’allié clé de Riyad reste Washington
Après avoir vendu vingt-quatre Rafale au Qatar, Paris peut attendre d’amples retombées économiques de cette relation privilégiée avec l’Arabie saoudite. Mais il ne faut pas s’y tromper : les Etats-Unis, même s’ils ont acquis leur indépendance énergétique, demeurent l’allié clé de Riyad. Ils assurent la sécurité du royaume et celle de la rive ouest du Golfe, ils restent le vendeur d’armes numéro un et le premier partenaire stratégique de la région.
Les chefs d’Etat du CCG se retrouvent tous la semaine prochaine à Camp David, le 14 mai, pour un sommet informel convoqué par Barack Obama. Les dirigeants du CCG se sont faits à l’idée qu’un accord définitif pourrait être conclu fin juin sur le nucléaire iranien. Mais ils veulent obtenir des Etats-Unis une sorte de pacte qui leur garantirait, en matière de défense, un avantage qualitatif sur l’Iran.
Les Saoudiens sont déjà en passe de conclure de nouveaux et massifs achats d’armes aux Etats-Unis (qui les appuient au Yémen). Ils entendent s’armer massivement pour contrer l’Iran de demain. Dans un Moyen-Orient saturé d’armements, pas plus à Téhéran qu’à Riyad on n’imagine encore de parler paix et stabilisation régionale.
Source : Le Monde
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