
Encore une « ligne rouge » franchie dans la guerre russo-ukrainienne, dira-t-on. Les Occidentaux ont longtemps hésité à livrer des chars à Kiev, c’est fait. Ils tergiversaient : fallait-il équiper l’Ukraine en chasseurs américains F-16 ? C’est en route. Ils avaient bien fourni de l’artillerie et des missiles de moyenne portée à l’allié ukrainien. Mais celui-ci ne pouvait s’en servir que contre les forces russes déployées sur son territoire. Pas au-delà de la frontière. C’est fini.
La bataille de Kharkiv a eu raison de cette dernière ligne rouge qu’Européens et Américains semblaient s’être fixée au tout début de la guerre. Depuis le 10 mai, les Russes soumettent la deuxième ville d’Ukraine, dans le nord du pays, à un feu quotidien. Cibles choisies : immeubles d’habitation, infrastructures civiles et politiques. La belle Kharkiv est à quelques dizaines de kilomètres de la Russie. Ici, on a de la famille, et on travaillait, de part et d’autre de la frontière.
Les Occidentaux se justifiaient : pas d’attaque directe, avec leurs missiles, sur le territoire de la deuxième puissance nucléaire de la planète. Mais Vladimir Poutine, lui, use et abuse de la menace au recours à l’arme atomique pour mener une guerre conventionnelle. A l’abri de sa force de destruction massive, la Russie sanctuarise son territoire et, de là, bombarde « conventionnellement » ses voisins ukrainiens.
Ceux-là savent d’où partent les tirs, ils connaissent les chaînes logistiques russes déployées le long de la frontière, ils voient l’adversaire préparer ses batteries d’artillerie et ses rampes de lancement de missiles.
Les Etats-Unis très réticents
Mais leurs moyens de réplique étaient limités. Kiev se heurtait à l’interdiction d’employer les armes occidentales contre le territoire russe. Jusqu’à ce printemps où l’assaut renouvelé sur Kharkiv a montré la quasi-impossibilité de tenir une posture de prudence face à l’escalade décidée par Poutine.
Européens puis Américains ont levé leur veto à l’emploi des armes occidentales. Elles peuvent être utilisées pour des ripostes juste de l’autre côté de la frontière – pas en profondeur – et contre des cibles militaires. Avec toutes les possibilités d’erreur de tir…
Les Etats-Unis ont été les plus réticents. Comme si Joe Biden s’estimait lié par une sorte de code de bonne conduite entre grandes puissances nucléaires : près de 6 000 ogives côté russe ; autour de 5 300 côté américain. Depuis le début de la guerre en février 2022, l’aide américaine à Kiev a été précautionneusement dispensée. Elle a été calibrée au plus juste dans l’illusion entretenue, mais toujours démentie, d’une possible négociation avec Poutine sur un retrait des forces russes d’Ukraine.
« Rétrospectivement, on se dit que s’ils [les Occidentaux] avaient lâché dès le départ, c’eût été plus efficace », estime Michel Goya, expert militaire des plus pertinents, commentant la levée du veto sur l’emploi des armes américaines et européennes. Cité par l’Agence France-Presse, M. Goya, ancien colonel, relève que le droit international autorise un pays agressé à frapper le pays agresseur. Il observe que la capacité de Kiev à cibler de l’autre côté de la frontière « est l’un des rares atouts des Ukrainiens » dans une bataille où ils sont en position de faiblesse – moins de soldats et moins de munitions que les Russes.
La réaction de Poutine a été sans surprise. Le président russe a, une fois de plus, flirté avec la menace nucléaire tactique : les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord sont souvent « des petits pays densément peuplés, a-t-il dit. C’est un facteur dont ils devraient tenir compte avant de parler de riposte contre le territoire de la Russie ». Et d’évoquer de possibles « très sérieuses conséquences ».
Cruelle histoire
Pour les Ukrainiens, cette bataille de Kharkiv, orchestrée depuis le côté russe de la frontière, réveille un souvenir très précis. Il y a vingt-huit ans, en cette première semaine de juin 1996, l’Ukraine achevait le transfert en Russie des armes nucléaires qu’elle possédait du temps de l’URSS – lesquelles constituaient le troisième arsenal nucléaire de la planète. Outre la Russie, qui concentrait le gros des ogives soviétiques, deux autres pays, la Biélorussie et le Kazakhstan, en avaient aussi. Cette dispersion contrariait une Russie tout à la fois délestée de son empire et d’une partie de sa force de frappe ; elle inquiétait les Etats-Unis qui, dans leur dialogue avec l’autre grand détenteur des armes de l’apocalypse, ne voulaient qu’un seul interlocuteur, en l’espèce Moscou.
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