Guinée : Mamadi Doumbouya, le putschiste qui a les faveurs de la France

Le général guinéen a formalisé, le 3 novembre, sa candidature à l’élection présidentielle du 28 décembre. La junte au pouvoir à Conakry depuis 2021 a resserré ses relations, militaires notamment, avec l’ancienne puissance coloniale.

Le Monde – A Conakry, difficile d’échapper à son effigie. Qu’il soit en tenue militaire bardée d’étoiles ou en boubou, le général Mamadi Doumbouya est partout. Sur des panneaux, des tee-shirts ou encore des « bombonas », ces tricycles pétaradants, importés d’Inde, qui se faufilent dans les bouchons tentaculaires de la capitale guinéenne.

En quatre ans, l’officier putschiste, qui a pris le pouvoir par un coup d’Etat, le 5 septembre 2021, s’est imposé comme un nouveau père de la nation, marchant dans les pas de Sekou Touré, héros de l’indépendance et premier président du pays, de 1958 à 1984.

Après avoir initialement promis de se retirer à l’issue de la période de transition, Mamadi Doumbouya a déposé en personne à la Cour suprême, le 3 novembre, son dossier de candidature à l’élection présidentielle du 28 décembre – scrutin qu’il semble assuré de gagner, tant il a dégagé la voie pour se faire élire. Une façon de donner un vernis de légitimité à son pouvoir pour les sept prochaines années, durée de son probable futur mandat, renouvelable une fois.

Cette prolongation annoncée inquiète ses opposants. Pour la plupart résignés, ou exilés, ils dénoncent la chape de plomb qu’il a, selon eux, fait tomber sur la Guinée. Pendant la transition, plusieurs voix dissidentes ont été réduites au silence et des radios ou télévisions privées ont été fermées. Des militants civils, ainsi qu’un journaliste et des militaires, ont disparu sans laisser de trace. Leurs proches et des organisations de défense des droits humains pointent la responsabilité de la junte dans ces affaires, laquelle s’en est toujours défendue.

Famille binationale

Ces accusations n’empêchent pas la France de coopérer avec Mamadi Doumbouya. Contrairement à ses homologues sahéliens, en rupture de ban avec Paris, l’imposant putschiste guinéen a toujours été jugé fréquentable par les autorités françaises.

Une attitude conciliante qui laisse sceptique l’écrivain Tierno Monénembo, une des rares personnalités à encore oser critiquer publiquement la junte. « Mamadi Doumbouya est choyé par Emmanuel Macron (…). Comment des gens préconisant la démocratie peuvent-ils ainsi soutenir des dictateurs ? », s’insurge l’auteur de 78 ans, lauréat du prix Renaudot en 2008, qui a longuement résidé en France avant de revenir s’installer en Guinée, dans les années 2010.

Entre le général Doumbouya et la France, l’histoire est d’abord personnelle. Caporal du deuxième régiment étranger d’infanterie de Nîmes dans les années 2000, l’ancien légionnaire, promu, en 2018, commandant des forces spéciales guinéennes, a épousé une gendarme française de Valence, Lauriane Darboux, avec laquelle il a eu plusieurs enfants. Sa famille binationale a aujourd’hui un pied dans chaque pays. Francophile, s’exprimant en français, il coopère « naturellement » avec Paris, souligne un de ses proches, sous couvert de l’anonymat.

Tendue sous l’ex-président Alpha Condé (2010-2021), la relation bilatérale franco-guinéenne a retrouvé des couleurs avec son tombeur. Sur le plan économique, la France, absente des mines de fer et de bauxite qui font la richesse nationale, demeure un moindre partenaire comparé à la Chine, aux Emirats arabes unis ou à l’Inde. Mais l’objectif affiché est d’accroître ses parts de marché en Guinée, pays aux perspectives florissantes attirant les investisseurs étrangers, tant dans les secteurs public que privé.

La banque publique d’investissement Bpifrance et l’agence d’expertise technique Expertise France soutiennent ainsi différents projets étatiques, notamment dans le secteur de la santé. Par ailleurs, plusieurs grandes entreprises françaises (Total, Orange, Canal+…) sont bien implantées localement et Air France propose un à deux vols par jour entre Paris et Conakry.

Ligne souverainiste

Plus étroite, la coopération militaire alimente les critiques. La France mène en effet des missions de formation et de « renforcement des capacités » des forces de défense et de sécurité guinéennes. Huit coopérants demeurent en permanence à Conakry et des officiers guinéens viennent se former dans des écoles françaises. Selon une source sécuritaire, sous couvert de l’anonymat, les forces spéciales françaises apportent aussi une « assistance militaire technique » discrète à leurs homologues guinéennes, corps d’origine du général Mamadi Doumbouya et cœur de son pouvoir militaire.

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 (Conakry, envoyé spécial)

 

Source :  Le Monde – (Le 03 novembre 2025)

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