France – Sébastien Lecornu démissionne, Emmanuel Macron seul face à la crise

Fragilisé de l’intérieur, le premier ministre a remis lundi sa démission au chef de l’Etat, quelques heures à peine après avoir formé son gouvernement.

Le Monde – Acculé, le premier ministre Sébastien Lecornu a remis sa démission à Emmanuel Macron, lundi 6 octobre, peu avant 10 heures. Près de quinze heures après l’annonce de la composition de son gouvernement, l’ancien ministre des armées, fidèle du président de la République, a jeté l’éponge. « Les conditions n’étaient plus remplies » pour rester premier ministre, a déclaré Sébastien Lecornu, une heure après sa démission, sur le perron de l’Elysée. Il a expliqué avoir « tenté de construire un cheminement avec les partenaires sociaux, forces patronales, forces représentant les syndicats salariés, notamment sur des sujets qui ont pu faire l’objet de blocages depuis maintenant de nombreuses semaines », comme l’assurance-chômage, la pénibilité, la Sécurité sociale, pour « refaire vivre le paritarisme » et « bâtir une feuille de route » avec le « socle commun ».

Citant le fait que les formations politiques « ont fait mine parfois de ne pas voir le changement, la rupture profonde que représentait le fait de ne pas se servir de l’article 49.3 de la Constitution », le premier ministre a conclu, dans un reproche à peine voilé aux Républicains : « Il faut toujours préférer son pays à son parti. »

Sébastien Lecornu devient le premier ministre le plus éphémère de la Ve République. Son départ de Matignon, vingt-six jours après son arrivée Rue de Varenne, plonge le pays dans une instabilité politique aux conséquences incertaines, puisque trois semaines après la chute de François Bayrou, un troisième premier ministre issu du « socle commun » renonce, faute de soutien majoritaire. La bombe à fragmentation que fut la dissolution ratée de l’Assemblée nationale de juin 2024 continue de produire ses effets délétères sur la vie politique et économique du pays.

Autre précédent historique sous la Ve République, Sébastien Lecornu n’aura pas eu le temps de prononcer sa déclaration de politique générale devant la représentation nationale. Son gouvernement, à peine nommé, retourne déjà sous le régime du gouvernement démissionnaire, c’est-à-dire qu’il sera chargé d’expédier les affaires courantes.

Jeu de dominos

Pour Sébastien Lecornu, le point de non-retour a été atteint dimanche soir, quand Bruno Retailleau a mené la fronde du « socle commun » contre un gouvernement dominé par des figures du macronisme et des soutiens d’Emmanuel Macron.

« La composition du gouvernement ne reflète pas la rupture promise », assène alors le président du parti Les Républicains (LR) sur le réseau social X, créant ainsi une crise inédite. Le courroux du ministre de l’intérieur s’explique par la nomination surprise de l’ancien ministre de l’économie Bruno Le Maire (2017-2024) au ministère des armées. Pour les LR comme pour le reste du monde politique, son retour au gouvernement sonne comme un affront. Il est perçu comme le symbole de la dérive des finances publiques et du recyclage de personnalités politiques décriés par l’opinion pour leur bilan.

Comme dans un jeu de dominos, les forces politiques composant le socle commun ont l’une après l’autre émis leurs réserves, comme au MoDem ou chez Horizons, où la révélation du casting gouvernemental a provoqué la colère, tant elle semblait privilégier le parti présidentiel au détriment de ses alliés. L’Union des démocrates et indépendants (UDI) et le Parti radical ont de leur côté acté leur sortie de la coalition gouvernementale.

La composition du gouvernement Lecornu cristallise, de fait, toutes les tensions accumulées au sein du camp gouvernemental et tous les reproches émis par les oppositions depuis l’arrivée à Matignon de ce fidèle d’Emmanuel Macron. La reconduction de 12 ministres démissionnaires sur 18 a déconcerté les soutiens supposés de Sébastien Lecornu, tenus dans l’ignorance jusqu’à la dernière minute.

Trois chemins vers la sortie de crise

Derrière les coups d’éclat et les menaces de sécession du socle commun avec le couple exécutif, c’est la « majorité très très relative » qui gouverne depuis la dissolution ratée de 2024 qui est ébranlée sur ses fondations. Un constat cruel domine à l’issue du bail de Sébastien Lecornu, celui de la faillite de sa méthode. En appelant à la « rupture » sur le fond et sur la forme, Sébastien Lecornu a soulevé nombre d’attentes impossibles à combler, aussi bien dans son camp que dans les oppositions.

Même l’abandon de l’article 49.3 de la Constitution – qui permet au gouvernement de faire adopter une loi sans vote du Parlement – et la promesse d’un débat parlementaire sans entraves pour l’adoption du budget n’auront pas permis de restaurer la confiance très détériorée entre les partis et le pouvoir exécutif depuis la fin du fait majoritaire. A l’instar de ses prédécesseurs, il s’est retrouvé dans l’incapacité d’unifier son propre camp, de rendre possible des csompromis budgétaires avec les socialistes et de se libérer de la tutelle du chef de l’Etat.

Trois chemins vers la sortie de crise s’offrent au chef de l’Etat. D’abord, la nomination d’un nouveau premier ministre, avec les difficultés croissantes à élargir une majorité vers la gauche ou l’extrême droite. La deuxième option comprend une nouvelle dissolution, puisque Emmanuel Macron a retrouvé le pouvoir de dissoudre l’Assemblée, en juillet. Une troisième voie, honnie par le président de la République, subsiste et risque de prendre une ampleur considérable dans le débat public : celle de sa démission, alors que son mutisme depuis la chute de François Bayrou inquiète et ulcère son camp.

Désormais, Emmanuel Macron se retrouve seul en première ligne, menacé par les appels à la démission et les incitations à la dissolution provenant de ses opposants. « Après la démission de Sébastien Lecornu, nous demandons l’examen immédiat de la motion déposée par 104 députés pour la destitution d’Emmanuel Macron », a proféré sur X le leader de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. De son côté, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, a appelé à une nouvelle dissolution. « Il ne peut y avoir de stabilité retrouvée sans un retour aux urnes », a-t-il déclaré en arrivant au siège du parti d’extrême droite pour évoquer la crise politique avec Marine Le Pen.

Symbole de la précipitation au plus haut sommet de l’Etat, la démission de M. Lecornu a surpris toute la chaîne protocolaire chargée d’organiser la passation de pouvoirs entre Sébastien Lecornu et Bruno Le Maire, lundi 6 octobre, à l’hôtel de Brienne. Même si les discours des deux hommes politiques devaient avoir lieu seulement à midi, la presse avait été convoquée à 9 h 45 devant le siège du ministère des armées à Paris. Plusieurs dizaines de journalistes patientaient devant le porche lorsque l’alerte annonçant la démission du premier ministre est survenue, à 9 h 46. Après quelques minutes de flottement, les gendarmes organisant la sécurité du bâtiment ont alors été contraints à un « au revoir » maladroit, avant de disparaître derrière la porte qui devait s’entrouvrir.

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

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