– Donald Trump réclame l’obscurité. Et le silence. Ce 21 mai, dans le bureau Ovale, le président américain dévoile à son auditoire une vidéo prouvant, dit-il, le « génocide » des fermiers blancs en Afrique du Sud. Les yeux braqués vers l’écran, le public observe, mi-embarrassé mi-sceptique, les images censées démontrer la présence d’un charnier : une rangée de croix blanches, plantées dans le sol. « Ce sont des tombes, il y en a 1 000 », affirme le locataire de la Maison Blanche. En réalité, il s’agit d’une commémoration en hommage à un couple, Glen et Vida Rafferty, tués par balle cinq ans plus tôt, près de leur ferme dans le Kwazulu-Natal. Les croix ont été installées pour la cérémonie. Dans le bureau Ovale, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, tente d’intervenir pour rectifier. Trump l’ignore et poursuit son exposé.
Peu importe la réalité. Donald Trump n’apprécie guère le gouvernement de Pretoria et encore moins le Congrès national africain (ANC), le parti du chef de l’Etat, qu’il accuse d’avoir dilapidé l’aide américaine sans se montrer redevable. L’ANC, la formation de feu Nelson Mandela (1918-2013), héros de la lutte antiapartheid, dénonce régulièrement ce qu’il perçoit comme la mentalité prédatrice des Etats-Unis.
Sous sa présidence du G20, dont le sommet se tient les 22 et 23 novembre, à Johannesburg, l’Afrique du Sud défend une vision définie par le slogan « Solidarité, égalité, durabilité » : allégement de la dette des pays en développement, réduction des barrières douanières et relance du multilatéralisme. Un programme jugé « antiaméricain » par Washington. « C’est une honte absolue que le G20 se tienne en Afrique du Sud », a déclaré Donald Trump, ulcéré, le 7 novembre, sur son réseau, Truth Social. « Je n’irai pas ! », ne cesse-t-il de répéter en se glorifiant d’organiser le prochain sommet du G20 au Trump National Doral Miami, un complexe de golf qu’il possède en Floride. Son vice-président, J. D. Vance, un temps pressenti pour représenter les Etats-Unis à Johannesburg, ne fera pas non plus le voyage.
Donald Trump méprise les grands sommets internationaux. A ses yeux, ils incarnent un multilatéralisme bavard et inefficace qu’il rêve de mettre définitivement à bas. « Le multilatéralisme, c’est son ennemi, et le G20 est un organisme qu’il faut détruire », déplore Jean-Yves Le Drian, ancien ministre des affaires étrangères français qui a eu des échanges avec le président américain lors du premier mandat de celui-ci, entre 2017 et 2021.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, le G20 est devenu le théâtre d’une lutte diplomatique entre Occidentaux et pays dits « du Sud global » – Chine, Inde, Brésil ou Afrique du Sud, qui n’ont pas rompu avec Moscou et contestent l’ordre mondial dominé par l’Occident. « Trump n’aurait eu aucun scrupule à prononcer un discours enflammé [à Johannesburg], mais il pense probablement que l’agenda du G20, notamment sur le développement durable, n’est pas pertinent, analyse Peter Rough, directeur du Centre pour l’Europe et l’Eurasie à l’Hudson Institute, un cercle de réflexion conservateur basé à Washington. Le G20 a connu son apogée lors de la crise financière de 2008, mais, avec la fragmentation du monde en blocs géopolitiques concurrents, son influence s’est amoindrie. »
Souvenirs pénibles
Ce G20 sans les Américains est vécu par les Européens comme un désastre. « On n’ira pas très loin, admet un diplomate sous le couvert de l’anonymat, soulignant la dépendance du Vieux Continent à la première économie mondiale. Comment reconstruire les relations multilatérales avec ce grand absent ? Même quand il n’est pas là, Trump hante les esprits : il a changé la vision du monde. » L’absence du président américain et de ses coups de sang est pourtant la garantie d’échapper à une séance d’humiliation collective pour les chefs d’Etat et de gouvernement européens.
La plupart d’entre eux gardent un souvenir pénible du sommet pour la paix à Gaza, qui s’est tenu, le 13 octobre, à Charm El-Cheikh, en Egypte, dans la foulée du cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Après avoir attendu plusieurs heures l’arrivée de Donald Trump, ils avaient encaissé ses commentaires, sans mot dire. « Nous avons là une jeune femme, une belle jeune femme », s’était permis de lancer le milliardaire, en désignant Giorgia Meloni, la présidente du conseil italien – déclenchant, à Rome, l’indignation des féministes.
« Je n’arrive pas à y croire, vous faites profil bas aujourd’hui ! », avait-il ironisé, en apostrophant Emmanuel Macron, qui avait refusé de se tenir derrière lui sur l’estrade, préférant rester en retrait dans la salle. « Beaucoup de cash, du cash illimité », avait également déclaré le locataire de la Maison Blanche, en désignant Mansour Ben Zayed Al Nahyane, le vice-président des Emirats arabes unis, comme si celui-ci se réduisait à un simple chéquier destiné à financer la reconstruction de la bande de Gaza, dévastée par les bombardements israéliens.
Au sommet de Charm El-Cheikh, Donald Trump n’était qu’un invité, mais il se comportait comme s’il était chez lui, dans le bureau Ovale. Cette pièce emblématique de l’aile ouest de la Maison Blanche s’est transformée, depuis le début de son second mandat, en une salle d’examen. Un passage obligé et redouté par tous les dirigeants de la planète. « Il faut une préparation psychologique avant d’aller voir Trump, confie un diplomate allemand. Il ne s’agit pas d’essayer d’être gagnant, il s’agit de ne pas perdre. »
Cet état d’esprit a permis au chancelier Friedrich Merz de demeurer stoïque, le 5 juin, lorsque le président américain a ravivé les souvenirs les plus douloureux du pays. « Ça doit être un mauvais jour pour vous ! », avait-il lancé, provocateur, en évoquant l’anniversaire du Débarquement allié qui a libéré l’Europe de l’Allemagne nazie. « C’était une libération pour nous aussi », avait rétorqué avec calme le chancelier, avant de rappeler, en guise de diversion, les origines bavaroises de Frederick Trump, le grand-père de Donald, né en 1869 à Kallstadt, aujourd’hui en Rhénanie-Palatinat.
« Lui parler de son aïeul était un pari risqué, car c’est un sujet que Trump préfère garder sous silence : son grand-père [émigré aux Etats-Unis, à l’âge de 16 ans] avait voulu rentrer vivre en Allemagne, mais n’a pas pu reprendre la nationalité du royaume de Bavière, car il n’avait pas accompli le service militaire obligatoire. Aborder ce passé, c’était partir à l’aventure », commente un proche de l’exécutif allemand, qui se dit soulagé que Friedrich Merz ait finalement atterri « dans la bonne case » après cet échange délicat.
Obsession mercantile
Lors de son premier mandat, canalisé par ses conseillers et les contre-pouvoirs, Donald Trump n’avait pas provoqué une telle paralysie chez les dirigeants européens. Sa réélection, en 2024, couplée à l’apathie de l’opposition américaine, inaugure une nouvelle ère : celle de la peur suscitée par un président américain capable de tout.
Dépourvu d’empathie, le milliardaire agit selon une logique strictement transactionnelle, dénuée de dogme idéologique. « Son véritable moteur, c’est l’argent », analyse Giuliano da Empoli, ancien conseiller politique du président du conseil italien Matteo Renzi et auteur des Ingénieurs du chaos (JC Lattès, 2019), dans un entretien à la revue géopolitique Le Grand Continent, le 17 avril.
Cette obsession mercantile, que décline la politique « America first » (« l’Amérique d’abord »), se traduit par une lutte acharnée où chaque décision est vue comme un combat pour défendre les intérêts américains. Pour Donald Trump, les accords « gagnant-gagnant » n’existent pas. « Sa doctrine se fonde sur le sentiment que les Etats-Unis sont exploités par les autres pays », explique Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, cité par Le Grand Continent, le 5 novembre.
La Chine représente, à ce titre, l’adversaire ultime, tandis que l’Europe apparaît comme un allié agaçant qui profite depuis trop longtemps des largesses financières et militaires de la première puissance mondiale. Fini le temps où les Etats-Unis subventionnaient le reste du monde au nom de la promotion du « monde libre » : Donald Trump en veut pour son argent.
En Europe, où chacun revendique sa propre « relation spéciale » avec Washington, les dirigeants jurent être avant tout pragmatiques : il s’agit de ne pas briser le lien transatlantique alors que le président russe, Vladimir Poutine, fait planer la crainte d’une extension de la guerre au-delà des frontières ukrainiennes.
« Qui a l’oreille de Trump ? »
L’heure n’est pas au refroidissement, mais à l’adaptation aux nouveaux codes diplomatiques imposés par l’ex-star de la télé-réalité. Dans ce jeu inédit où le futile occupe une place stratégique, plaire ou déplaire à Donald Trump tient à peu de chose : être grand (comme Friedrich Merz), musclé par les entraînements de boxe (à l’instar de Karol Nawrocki, le président polonais) ou être un as du golf (tel Alexander Stubb, le président finlandais).
« Mon père m’a dit un jour, alors que je rêvais de devenir golfeur professionnel : “Ne t’inquiète pas, Alex, même si tu ne deviens pas joueur professionnel, le golf te servira dans la vie”. Mon père avait raison », sourit, lors d’une confidence au Monde, Alexander Stubb de retour de Mar-a-Lago (Floride), où, en mars, il avait tenté sur le green de convaincre son homologue américain de durcir le ton face à la Russie. De son côté, Keir Starmer, premier ministre britannique, a opté pour le faste de la famille royale en offrant, en septembre, au couple Trump un tour en carrosse et un dîner de gala à Windsor.
Tous le savent. Avec Trump, rien n’est jamais figé. Une amitié qu’il proclame peut être réduite en poussière du jour au lendemain. Et la proximité idéologique avec le monde MAGA (Make America Great Again), fondée sur un rejet de l’étranger et un nationalisme exacerbé, n’apporte que de maigres avantages. Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, peut se targuer d’avoir échappé aux sanctions américaines sur les importations de pétrole russe. Le président polonais, Karol Nawrocki, a, quant à lui, obtenu la garantie du maintien des troupes américaines dans son pays. Mais ces faveurs ponctuelles ne compensent pas la détestation profonde que nourrit Donald Trump envers l’Europe.
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