Entre Israël et la Palestine, cinq scénarios pour l’avenir

La reconnaissance de la Palestine relance le débat sur les formes possibles que prendrait son Etat. Des plus pragmatiques aux plus utopistes, tour d’horizon des options qui ont vu le jour depuis la création d’Israël.

Le Monde – La reconnaissance, fin septembre, de l’Etat de Palestine par onze pays occidentaux, dont la France, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie, le Portugal et la Belgique, pose à nouveau la question du chemin vers la souveraineté de l’Etat palestinien. Alors que la Palestine est désormais reconnue par 158 des 193 Etats membres des Nations unies, elle n’existe toujours que sur le papier. Le plan de Donald Trump pour la paix en 20 points, rendu public le 29 septembre, mentionne l’Etat palestinien comme « l’aspiration du peuple palestinien », mais aussi comme un objectif lointain. Quelles différentes formes pourrait prendre l’Etat palestinien ?

La solution à deux Etats

La solution à deux Etats, un Etat de Palestine au côté de l’Etat d’Israël, continue de remporter les suffrages des diplomates, qui se réfèrent au plan de partage de 1947 (résolution 181 de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies) ayant débouché sur l’indépendance d’Israël et la guerre de 1948, et à la résolution 242, qui consacre l’inadmissibilité de l’acquisition des territoires occupés palestiniens (Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est) par Israël à la faveur de la guerre de 1967. Ces textes sont la base de toutes les tentatives diplomatiques de règlement jusqu’à présent.

La solution à deux Etats était également sous-jacente dans les accords d’Oslo de 1993, consacrant une autonomie de certains territoires palestiniens, sans pour autant jamais promettre un Etat à la fin du processus, comme le souligne le juriste Serge Sur : « Comme les Français au moment des accords d’Evian [qui marquent la fin de la guerre d’Algérie, en 1962], les Israéliens n’ont jamais voulu donner aux accords d’Oslo la force d’un traité international. Il ne s’agissait donc que d’un geste unilatéral pouvant être révoqué à tout moment. »

Afin de répondre aux préoccupations israéliennes, Serge Sur, partisan de cette solution, estime que des aménagements à la souveraineté palestinienne peuvent être prévus : un Etat démilitarisé est envisageable à condition qu’il dispose de forces de police, une monnaie propre n’est pas indispensable et la capitale peut être partagée, à l’instar de Nicosie, sur l’île de Chypre. Mais la condition sine qua non est que cet Etat jouisse d’une reconnaissance pleine et entière aux Nations unies et non pas, comme c’est le cas aujourd’hui, d’un statut d’Etat observateur qui fait de lui un « Etat virtuel ».

Le politiste Bertrand Badie est pour une application stricte du droit international, comme ce fut le cas pour les indépendances postcoloniales des années 1950-1960. « Le principe de souveraineté est total : vous êtes souverain ou vous ne l’êtes pas. Quand on crée un Etat, c’est pour être normal, “comme les autres”. » Pour lui, le cas palestinien, marqué par la présence de quelque 700 000 colons israéliens (un demi-million en Cisjordanie et 200 000 à Jérusalem-Est), s’apparente à l’Algérie de 1962 : « Il faudra leur donner le choix de rester et de prendre la nationalité palestinienne, comme Mgr Duval [Léon-Etienne Duval, archevêque d’Alger de 1954 à 1988] avait pris la nationalité algérienne, ou de partir. C’est aussi simple que cela. »

Les plus « pragmatiques » militent en faveur d’échanges de territoires, afin de rattacher à Israël le plus gros des implantations et de compenser ses pertes du côté palestinien. C’est, du côté israélien, la solution préconisée par le centre Begin-Sadate d’études stratégiques, proche de l’armée, qui avait produit une carte très précise dès 1997. Le militaire à la retraite israélien Shaul Arieli estimait, en 2020, l’échange optimal à 3,9 % du territoire palestinien, soit 6 205 kilomètres carrés). Cette solution est aussi envisagée par le géographe palestinien Khalil Tafakji, qui avait dressé la carte d’un statut final en 1998.

Partisane, elle aussi, de la solution à deux Etats, la juriste Monique Chemillier-Gendreau, autrice de Rendre impossible un Etat palestinien. L’objectif d’Israël depuis sa création (Textuel, 160 pages, 17,90 euros), estime que l’émergence d’un Etat palestinien n’est pas possible dans les conditions actuelles, faute d’un territoire cohérent, d’une population regroupée, de fonctions régaliennes et d’une capitale librement choisie. Elle propose donc de sortir de cette impasse en ouvrant les élections annoncées en Palestine à tous les Palestiniens, y compris ceux de la diaspora, afin de doter l’Organisation de libération de la Palestine d’une représentation légitime.

L’organisme issu de cette élection pourrait se déclarer gouvernement de libération nationale en exil. Il lui reviendrait de décider de dissoudre l’Autorité palestinienne, que la juriste décrit comme « un leurre et un piège » au service d’Israël. « Ce gouvernement en exil, revêtu des reconnaissances accordées à la Palestine, pourrait alors s’employer à faire appliquer le droit international », préconise Mme Chemillier-Gendreau. Elle se réfère ainsi à l’avis consultatif de la Cour internationale de justice de La Haye rendu le 19 juillet 2024, qui stipule « le droit du peuple palestinien à l’autodétermination » et mentionne « la présence illicite d’Israël dans le territoire palestinien occupé ».

Israël, seul Etat dominant

Partant du constat qu’il a fallu 40 000 policiers israéliens pour faire sortir 8 000 colons seulement de la bande de Gaza en 2005 et qu’une telle opération n’est plus possible à l’échelle de la Cisjordanie, le géographe Michel Foucher estime que « la solution à deux Etats est un leurre. Il n’y aura jamais d’Etat palestinien viable. Il existe déjà, sur le terrain, une réalité binationale avec un seul Etat − Israël −, une seule monnaie − le shekel. Il reste à définir deux nationalités afin de garantir des droits égaux ou minimaux aux Palestiniens ».

Pour lui, le seul Etat qui existera à l’avenir entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain sera celui d’Israël. Il faut donc, dans ce cadre, aménager un statut acceptable par les Palestiniens « en détachant la souveraineté sur la terre de celle personnelle des individus, un peu à la manière du statut personnel sous l’Empire austro-hongrois au XIXe siècle ». Cette solution verrait la reconnaissance par Israël d’une « nationalité palestinienne » sans qu’il existe d’Etat palestinien, d’un statut de « minorité nationale » pour les Palestiniens et d’un maximum d’« enclaves autonomes autogérées ». A terme, ce pays pourrait intégrer une confédération israélo-jordanienne, donnant ainsi un Etat aux Palestiniens.

L’Etat binational

Longtemps, la solution à un seul Etat sur l’ensemble de la Palestine mandataire a été vue comme celle des « rêveurs », ceux qui parient sur une cohabitation pacifique entre Juifs et Arabes au sein d’une seule et même entité. Elle est revenue en force, du côté palestinien, à partir des années 2010, face à la prise de conscience qu’il serait impossible de démanteler le réseau de colonies israéliennes et que la priorité était de garantir des droits égaux aux Palestiniens vivant sous occupation.

Mais l’Etat binational a aussi compté des partisans au sein du mouvement sioniste, à l’instar d’Ahad Haam, de Martin Buber, de Judah Leon Magnes ou de Hannah Arendt. Dans son ouvrage Deux peuples pour un Etat ? (Seuil, 2024), l’historien israélien Shlomo Sand retrace l’histoire de cette idée à laquelle lui-même a fini par se résoudre.

Quant à sa forme, il s’agirait, par exemple, d’un seul Etat avec des institutions communes (Parlement, gouvernement, Cour suprême), mais reconnaissant deux nationalités et donc deux systèmes scolaires, deux régimes d’état-civil distincts, etc., qui s’appliqueraient en fonction de la nationalité de l’individu concerné.

La solution confédérale : deux Etats dans un seul pays

L’initiative A Land for All (« une terre pour tous »), née en 2012 de la rencontre entre le journaliste israélien Meron Rapoport et l’intellectuel palestinien Awni Al-Mashni, est soutenue par des militants, des intellectuels, des universitaires, des diplomates et des leaders politiques du monde entier, dont l’historien français Vincent Lemire. Elle a connu un regain d’intérêt après le massacre du 7-Octobre. A Land for All préconise une confédération de deux Etats disposant chacun de son territoire, une formule « fondée sur la pleine égalité politique, la reconnaissance mutuelle, la liberté de mouvement, le partage de Jérusalem et un dispositif de retour pour les réfugiés par la coopération entre les deux Etats – et non par la séparation ».

L’Etat confédéral, comme la Suisse avec ses cantons plus forts que les institutions communes, est aussi la solution à laquelle sont arrivés la juriste palestinienne Hiba Husseini et l’ancien ministre israélien de gauche Yossi Beilin, qui ont publié un document commun dressant les contours de la Holy Land Confederation (« confédération de la Terre sainte »), actualisé en 2025.

La solution « one land, two states » : deux Etats séparés sans frontières sur un territoire commun

Géographe de formation, l’intellectuel Hakim El Karoui part, dans son dernier livre, Israël-Palestine, une idée de paix (L’Observatoire, 304 pages, 23 euros), d’un constat : la solution à deux Etats, telle qu’elle est envisagée par les accords d’Oslo, « est morte depuis longtemps ». Il propose donc « d’aller voir comment, dans d’autres situations tout aussi complexes − caractérisées par des imbrications de populations et des conflits idéologiques, religieux, identitaires, qui durent parfois depuis des siècles −, on a réussi à apporter la paix là où prévalait la guerre ».

Après avoir passé en revue dix cas de résolution de conflits complexes, il arrive à la conclusion que la solution « one land, two states » (« un territoire, deux Etats ») est la seule « utopie réaliste ». Cette formule, déjà explorée en 2014 par le Suédois Mathias Mossberg et l’universitaire américain Mark LeVine, prévoit deux pays dans un seul territoire, ce qui revient à « dissocier la souveraineté sur le peuple de celle sur le territoire ». Comme l’explique Hakim El Karoui, « un Juif israélien resterait citoyen de l’Etat d’Israël, un Palestinien serait rattaché à l’Etat de Palestine, et les Arabes israéliens, tout comme les Druzes, devraient choisir leur citoyenneté ». Cette solution originale et sans frontières a l’avantage de garantir l’accès de chacun à la terre, sacralisée par les deux communautés. Mais elle repose sur une cohabitation entre Palestiniens et Israéliens de tous les instants.

Source : Le Monde – (Le 18 octobre 2025
 

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