En Haïti, un magistrat accusé d’exécuter lui-même des « bandits »

Le Bureau intégré des Nations unies met directement en cause Jean Ernest Muscadin pour la mort de vingt-huit personnes soupçonnées d’appartenir à des gangs, dans le sud du pays. Mais le commissaire du gouvernement compte de nombreux partisans au sein de la population, excédée par la violence et par l’incurie des autorités.

Le Monde  – Homme providentiel ou dangereux hors-la-loi ? En Haïti, les avis sont très tranchés à l’égard de Jean Ernest Muscadin, magistrat en poste depuis 2019 dans la ville de Miragoâne, dans le sud du pays. Aux yeux d’un grand nombre d’habitants du département des Nippes, dont Miragoâne est le chef-lieu, ce commissaire du gouvernement – l’équivalent, en Haïti, du procureur de la République – est l’homme de la situation. Alors que les gangs sèment la terreur depuis plusieurs années dans l’agglomération de Port-au-Prince, la capitale haïtienne, et gagnent du terrain dans des régions rurales, ce magistrat se démène pour éviter que le même sort ne touche sa ville et les trois départements méridionaux de la péninsule de Tiburon.

« Si, jusqu’à présent, les gangs ne sont pas entrés dans la région du “Grand Sud”, c’est grâce à la vigilance des autorités, dont le commissaire du gouvernement incarne le leadership », résume, au téléphone, le journaliste James Jean, correspondant à Miragoâne de la chaîne publique Radio Télévision Caraïbes.

En dépit de ses résultats en matière de lutte contre les bandes criminelles, M. Muscadin est devenu une personnalité controversée en raison de ses méthodes expéditives.

Dans son dernier rapport trimestriel sur la situation des droits de l’homme dans le pays, publié le 11 novembre et couvrant la période allant de juillet à septembre, le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh) l’accuse d’avoir été impliqué dans un cas d’exécution extrajudiciaire « le 23 juillet ». « Au trimestre précédent, ce commissaire avait exécuté vingt-sept personnes, en toute impunité », ajoute cette structure onusienne.

Exécution en direct

Des organisations non gouvernementales (ONG) haïtiennes tirent la sonnette d’alarme. « C’est un procureur, donc quelqu’un qui est supposé être au tribunal en train de monter des dossiers », martèle Rosy Auguste Ducéna, responsable de programmes au Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), une structure basée à Port-au-Prince. « Mais on le retrouve dans les rues, arme à la main, en train d’exécuter sommairement des personnes qu’il considère comme des bandits », s’offusque cette avocate. Ces pratiques sont d’autant plus « inacceptables » qu’Haïti a aboli la peine de mort en 1987. L’Etat est toutefois « dans une situation de déliquescence générale où n’importe qui peut s’ériger en justicier », déplore Mme Ducéna.

Dans un rapport publié en octobre 2023, le RNDDH accusait déjà le sulfureux procureur d’avoir « procédé à plusieurs exécutions sommaires » durant les deux années écoulées. Ainsi, en mai 2022, après l’arrestation, dans un village des Nippes, d’un « membre influent » du redoutable gang de Village de Dieu – groupe implanté dans les quartiers miséreux du bas de Port-au-Prince –, « le magistrat avait pris en vidéo l’interrogatoire sommaire » auquel il avait soumis celui-ci, « avant de l’exécuter en direct », détaillait l’organisation dans ce document de 39 pages, où le nom de M. Muscadin apparaît dix fois.

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 (Fort-de-France, correspondant)

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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