En Guinée, la déchirante quête des familles des jeunes disparus de la migration

"Je sais que le bateau sur lequel mon fils était embarqué a coulé, mais on ne nous a pas montré son corps. Alors dire que le petit est décédé, je ne sais pas...", lâche dans un sanglot Abdoul Aziz Baldé, dont le fils, Idrissa, parti de Guinée à la recherche d'un avenir meilleur, est porté disparu au large du Maroc.

AFP  – Comme lui, des milliers de jeunes partis clandestinement de Guinée ont disparu pendant leur voyage vers l’Europe, plongeant leurs familles dans une angoisse et une impuissance qui les torturent.

Ce phénomène touche plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, mais le nombre est démultiplié en Guinée, devenue ces dernières années l’un des principaux pays africains d’origine des jeunes migrants en route vers le Maghreb et l’Europe.

Leurs traces s’évanouissent avant un départ en mer prévu dans des embarcations surchargées, une traversée du désert à la merci de passeurs qui parfois les abandonnent, lors d’une rafle policière au Maghreb, durant un emprisonnement en Libye ou dans un centre de rétention, ou dans une ville européenne où ils décident de disparaître volontairement, rongés par la honte d’avoir échoué dans leur rêve.

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Dans une banlieue de la capitale guinéenne Conakry le 25 septembre 2025, près du logement de Abdoul Aziz Baldé, dont le fils est porté disparu au large du Maroc après avoir tenté de rejoindre l’Europe clandestinement par la mer

Souvent abandonnées à leur sort, leurs familles en sont réduites à chercher leurs enfants en écumant sur Facebook les indices d’endroits traversés ou en regardant des boucles WhatsApp macabres qui diffusent des photos de jeunes cadavres dans des morgues ou échoués sur des plages après des naufrages.

Mais depuis un an, une ONG locale, l’Organisation guinéenne pour la lutte contre la migration irrégulière (OGLMI), apporte une lueur d’espoir et d’humanité. Elle a entamé un travail pionnier, que l’AFP a pu suivre, pour identifier les familles des disparus et les aider dans leurs recherches.

« Sur 100 migrants qui bougent, il y en aura au moins 10 qui ne reviendront pas », explique à l’AFP Elhadj Mohamed Diallo, 38 ans, directeur exécutif de l’OGLMI.

Alors que le nombre de disparus guinéens se compte en « milliers », le sujet reste un tabou dans le pays comme au niveau des institutions internationales, déplore-t-il.

En ce matin d’automne, il sillonne la capitale, Conakry, sur sa moto rouge, son collègue Tidiane en passager, puis cahote dans les rues non bitumées d’une banlieue.

« Laisse-moi aller chez eux »

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Le 25 septembre 2025, dans une banlieue de la capitale guinéenne Conakry, Abdoul Aziz Baldé montre une photo de son fils Idrissa, qui a disparu au large du Maroc il y a plus d’un an en tentant de rejoindre l’Europe par la mer

C’est la première fois qu’il vient rencontrer la famille d’Idrissa, disparu depuis plus d’un an.

« C’est mon premier garçon… Un enfant très intelligent » qui aurait 29 ans aujourd’hui, confie le père, Abdoul Aziz Baldé, un chauffeur de 62 ans, très éprouvé.

La famille reçoit dans une maison partagée entre colocataires, où le dénuement est criant.

A chaque famille rencontrée, c’est le même rituel. Dans un recueillement douloureux, les parents d’Idrissa remontent sur leurs téléphones les fils WhatsApp pour retrouver la dernière trace visuelle de leur enfant. Sur l’une des dernières photos envoyées, un selfie, le visage du jeune homme apparaît souriant.

« Si on arrive à retrouver son corps, je voudrais faire tout mon possible pour le ramener. Parce qu’il est parti pour nous sauver, et sauver sa petite s?ur. Mais Dieu n’a pas voulu… », souffle son père en s’effondrant en larmes.

Idrissa disait ne plus supporter de voir son père s’épuiser au travail à plus de 60 ans. Malgré des études brillantes, il ne voyait, comme bien d’autres jeunes Guinéens, aucun débouché dans le pays.

Son père l’entend encore lui dire: « Tu es fatigué, tu ne peux plus conduire. Laisse-moi aller chez eux (en Europe) chercher de quoi vivre ».

A partir de 2023, Idrissa tente par trois fois d’aller en Europe par le Maroc. A chaque fois, son père a tenté de le retenir. Puis il est parti une quatrième fois en 2024, en emportant dans son sac à dos « tous ses diplômes, du brevet à ses masters », découvrira son père.

Le 19 août 2024, ce dernier reçoit un appel. « Vous êtes Baldé ? Vous avez un fils qui est au Maroc ? Toutes mes condoléances », dit un homme au bout du fil. « Ils ont embarqué sur des petits bateaux… Ils sont noyés ».

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Une habitante traverse la cour du logement de Abdoul Aziz Baldé, le 25 septembre 2025 dans la banlieue de la capitale guinéenne Conakry

« Le coup m’a terrassé », raconte M. Baldé. « Toute la famille a pleuré ».

Idrissa a disparu dans un bateau qui a chaviré le 17 août 2024, leur confirmera une jeune fille qui était à bord avec lui. « Quand ils se sont rencontrés avec la vague, elle a perdu connaissance. Donc elle ne sait pas où est parti Idrissa. Est-ce qu’il est mort ? Est-ce qu’il n’est pas mort? », s’épuise le père.

« Abandonné »

Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), au moins 33.220 personnes sont décédées ou disparues en Méditerranée et 17.768 sur le continent africain lors de leurs périples migratoires vers l’Europe entre 2014 et 2025.

Des chiffres considérés comme largement sous-estimés, selon l’ONG espagnole Caminando Fronteras, qui pour la seule année 2024 a recensé 10.457 personnes mortes ou disparues en mer « à la frontière occidentale euro-africaine ».

Parmi elles figurent « beaucoup de personnes originaires de Guinée », confirme à l’AFP Helena Maleno, fondatrice de cette ONG.

Parmi les proches de disparus, « des gens font des AVC en apprenant la nouvelle, d’autres ont des insomnies, des amnésies », souligne le chercheur guinéen Mahmoud Kaba, qui mène une vaste étude sur ces familles en Guinée.

Ces dernières sont isolées, alors que l’Europe restreint les visas et contrôle de plus en plus ses frontières, que les personnes migrantes sont criminalisées et que la tragédie des morts sur les routes migratoires suscite souvent l’indifférence.

Abdoulaye Diallo, 67 ans, éprouvé par la disparition depuis deux ans de son fils aîné, Abdou Karim, dit à l’AFP se sentir « abandonné ».

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Abdoulaye Diallo, père d’Abdou Karim, disparu depuis deux ans sur la route migratoire clandestine vers l’Europe, pose pour un portrait dans son logement le 23 septembre 2025 dans une banlieue de la capitale guinéenne Conakry

Il est rongé par l’angoisse depuis mars 2023, lorsque son fils, qui aurait 25 ans aujourd’hui, a cessé de lui envoyer des messages. Les dernières traces de vie d’Abdou sur Facebook remontent à novembre 2023.

A partir de ses 18 ans, en 2018, il est parti plusieurs fois, au Maroc, puis en Tunisie, puis un an en Libye, où il a été emprisonné. Puis, après un retour à Conakry, de nouveau vers l’Algérie et ensuite le Maroc, d’où il comptait se rendre en Espagne.

« C’était en 2023, il est parti dans une zone dangereuse… « , poursuit M. Diallo, qui pense que son fils est passé par le massif forestier de Gourougou, à l’est de Tanger (Maroc), devenu au fil des ans une base précaire pour des milliers de migrants originaires d’Afrique subsaharienne qui cherchent à entrer dans l’enclave espagnole de Melilla.

 

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Conakry (AFP )

 

 

 

Source : Courrier international (France)

 

 

 

 

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