En Côte d’Ivoire, la revanche de Simone Gbagbo, l’ancienne première dame candidate à la présidence

Contrairement à son ex-mari, Laurent Gbagbo, président de 2000 à 2010, qui n’a pas été autorisé à se présenter, Simone Gbagbo affrontera dans les urnes son ancien ennemi juré : le chef de l’Etat sortant, Alassane Ouattara, grand favori du scrutin.

Le Monde  – Elle est presque méconnaissable sur ses affiches de campagne. Le visage lisse malgré ses 76 ans, le sourire franc, Simone Ehivet Gbagbo est radieuse. Après un demi-siècle de combat politique acharné, la voici sur le devant de la scène. A la fin de ses meetings, elle danse de joie : pour la première fois dans l’histoire de la présidentielle en Côte d’Ivoire, « Gbagbo », c’est elle.

L’ancienne première dame est candidate au scrutin de samedi 25 octobre, contrairement à son ex-mari, l’ancien président Laurent Gbagbo, qui n’a pas été autorisé à se présenter par le Conseil constitutionnel à cause d’une condamnation. Elle affrontera dans les urnes trois autres opposants et le président sortant, Alassane Ouattara, grand favori, qui brigue un quatrième mandat.

Un adversaire qu’elle traite désormais avec courtoisie quand, hier, il était son pire ennemi. Le « chef bandit », clamait-elle avec hargne par le passé, l’homme du Nord qui l’a délogée par les armes de la présidence, le 11 avril 2011, avec l’aide du « diable » Nicolas Sarkozy, alors à la tête de la France.

Ce jour-là, elle apparaît sur les télévisions du monde entier. Dans une chambre de la résidence présidentielle, elle est assise sur un lit, dos courbé, tresses arrachées ; son époux est hagard. Ils sont vaincus, arrêtés quasiment en direct par les rebelles des Forces nouvelles, aidés par les pilonnages incessants des hélicoptères de la force française Licorne. L’issue de quatre mois d’un bras de fer meurtrier – qui a fait 3 000 victimes selon l’Organisation des Nations unies – avec Alassane Ouattara, vainqueur de l’élection présidentielle de 2010 auquel le couple Gbagbo refusait de céder le pouvoir.

Après dix années à la tête de l’Etat (2000-2010), dont huit à faire face à une rébellion installée dans la moitié nord du pays, c’est la chute des « Gbagbo ». Le nom propre s’utilise en duo depuis le début de la carrière politique de ces deux enseignants, qui, dans les années 1980, ont fait leurs armes en s’opposant au tout-puissant Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire (1960-1993) après l’indépendance. Lui débonnaire, elle intraitable.

Autour d’elle, une frange radicale

Car Simone Gbagbo passe pour la dure. Cette fille de gendarme, qui a dix-sept frères et sœurs, est une cheffe de bande. Diplômée de lettres modernes, elle est cultivée, intelligente, a de la méthode. Dès ses années étudiantes, elle s’engage dans le syndicalisme puis en politique quand, en 1982, elle fonde le Front populaire ivoirien avec Laurent Gbagbo. Elue députée dès 1995, avant de devenir première dame, celle qui se revendique « de gauche » a dirigé le pays de concert avec son mari. Surnommée « Lady MacBeth », elle est crainte, jusque dans son propre camp. Il se raconte qu’elle a giflé le premier ministre de son mari, en 2003, parce qu’il avait signé des accords de fin de crise – un geste qu’elle a toujours nié.

Durant la présidence Gbagbo gravitait autour d’elle la frange la plus radicale du Front populaire ivoirien et les personnages les plus redoutés du régime. Son aide de camp, Anselme Séka Yapo, fut plusieurs fois condamné pour assassinat et accusé d’avoir été à la tête des « escadrons de la mort » lors de la crise de 2010-2011. La justice française a aussi soupçonné l’ex-première dame d’être impliquée dans la disparition du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer qui, lors de son enlèvement en 2003, avait rendez-vous avec son beau-frère. Cela aussi, elle l’a toujours nié.

Face à la justice, Simone Gbagbo est inflexible. Sans doute l’héritage d’une vie de militantisme dans un pays où le combat politique est une épreuve pour laquelle on peut risquer sa vie. Durant son procès pour crimes contre l’humanité en 2017, elle est chaque jour restée de marbre et répond – malgré l’évidence – que certains meurtres n’ont « pas existé ». En raison d’un dossier mal ficelé, elle est acquittée, à la surprise générale et au grand dam des organisations des droits de l’homme. Un an plus tard, elle est amnistiée par le président Alassane Ouattara d’une précédente condamnation pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », et sort de prison.

« Mon devoir est de pardonner »

L’ancienne adolescente responsable des Jeunesses estudiantines catholiques, devenue évangélique, a tenu bon en priant durant ses années de détention. « Elle lisait la Bible à longueur de journée », atteste un de ses visiteurs. « J’ai prié pour me libérer de la rancœur et de la vengeance », expliquait Simone Gbagbo au Monde, qu’elle a reçu en mai, dans sa maison de la Riviera, un quartier d’Abidjan.

Le temps est loin où elle déclarait, en 2007, au reporter du quotidien : « Je vous serre la main sans aucun plaisir ; vous n’êtes pas le bienvenu. » Simone Gbagbo se montre désormais en « maman », la femme puissante qu’affectionnent ses partisans. La candidate à la présidentielle veut le faire croire, elle a changé.

« J’ai perdu ma dignité, j’ai perdu ma liberté, j’ai perdu mon époux avec la crise [de 2010-2011], mais mon devoir est de pardonner », dit-elle lors d’un meeting à Guibéroua, le 14 octobre. Séparés après leur arrestation en 2011 – Laurent Gbagbo sera envoyé à La Haye à la Cour pénale internationale où il sera acquitté de crime contre l’humanité –, le couple ne s’est jamais retrouvé. Lorsqu’il rentre en Côte d’Ivoire, en 2021, l’ancien président descend de l’avion au bras d’une autre femme, Nadiany Bamba, et repousse d’un mouvement de la main Simone Gbagbo, venue l’accueillir.

L’humiliation est publique, le divorce prononcé un an et demi plus tard. Comme toujours avec eux, la séparation est avant tout politique. « Simone a toujours su que Laurent était un homme à femme et elle n’en avait que faire, tant que cela n’avait pas d’impact sur leur union à eux », dit un de leurs proches. Après un court temps où ils ont tenté de se rapprocher, les deux anciens époux font désormais bande à part.

L’une est candidate avec sa formation, le Mouvement des générations capables, l’autre, à la tête du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire, pourfend tous ceux qui osent participer au scrutin de samedi. Dans un entretien à AFO Média, diffusé mercredi, il évoque un « coup d’Etat civil » et un « braquage ». « Beaucoup de gens sont révoltés, et à juste titre, a reconnu, le 14 octobre, Simone Gbagbo, parce que les condamnations de leurs leaders ne sont pas justes. Mais maintenant que les choses sont faites, les élections sont quand même organisées. Allez voter ! »

Dispersion de l’électorat gbagbiste

Combien de voix peut-elle espérer gagner face à la machine électorale du président sortant, alors que l’opposition est désunie ? Elle peut compter sur les partisans de quelques anciens cadres pro-Gbagbo, comme Charles Blé Goudé, l’ancien chef des Jeunes patriotes. « Elle est de gauche, je suis de gauche, rappelle-t-il. Elle porte un programme idéologique qui est aussi le mien. »

Mais cela risque de ne pas être suffisant, alors que l’électorat gbagbiste pourrait se disperser entre abstention et soutien à Simone Gbagbo ou à Ahoua Don Mello, ancien ministre de Laurent Gbagbo, candidat indépendant ; Jean-Louis Billon, dissident du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, et Henriette Lagou Adjoua, du Groupement des partenaires politiques pour la paix, sont également candidats. « On ne soutient personne. Et on ne soutient même pas la dynamique électorale », a réaffirmé pour sa part Laurent Gbagbo, mercredi.

Parmi les proches de l’ex-président, on hausse les épaules face aux compromis – certains disent « compromissions » – de l’ancienne « dame de fer » qu’ils accusent d’avoir été achetée par le pouvoir pour jouer le rôle de l’opposante, dans un scrutin qui semble joué d’avance. « Il y en a qui disent qu’Alassane [Ouattara] m’a donné 6 milliards [de francs CFA, soit 9,1 millions d’euros], s’est-elle amusée à Guibéroua. Ah, vrai, si Alassane me donne 6 milliards, je prends ! Parce que c’est l’argent du pays ! Mais il ne m’a pas donné 6 milliards. »

Sur AFO Média, Laurent Gbagbo a annoncé qu’il prendrait bientôt sa retraite afin de « vivre un peu, écrire ». Simone Gbagbo, elle, n’a jamais rien dit de tel. « Ne la prenez pas pour une femme, prévient un proche de l’ancien chef de l’Etat, un brin misogyne, c’est un homme politique. » Lorsque son mari était au pouvoir, on l’appelait « présidente ».

 

 

Source : Le Monde   

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