Ce texte s’adresse à ceux qui, au nom de la religion, prônent le pardon comme substitut à la justice. Je tiens à leur rappeler que la foi n’annule pas et n’efface pas la nécessité de la vérité : Il est bien écrit dans le Livre que nous sommes tous des frères. Pourtant, force est de constater que l’unité de foi demeure impuissante à nous rassembler, à renouer les fils rompus de la fraternité. J’ai vu des veuves suffoquer, sous des regards froids, dans la fumée des gaz lacrymogènes pour avoir réclamé ce qui leur revenait de droit. Ceux qui réprimaient leur voix ne prient-ils pas le même Dieu qu’elles ? Ces dernières ne demandent ni vengeance ni réparation.
L’histoire ne se répare pas. Elle s’assume, dans la mémoire et dans l’imaginaire du peuple. Cependant, pour qu’elle cesse de nous hanter, il nous faut un courage politique et social. C’est une vertu qui, hélas, nous échappe. Et j’en ressens une grande gêne en le disant. Comme tout être humain, j’aimerais bien me targuer d’avoir un peuple vaillant, un peuple qui ne fait pas vertu de l’abomination, un peuple digne, lucide. Mais hélas, la lâcheté, l’hypocrisie et l’aboulie nous empêchent de percer la nuit de notre histoire.
Chaque jour, un passé non exorcisé se rappelle aux hommes et aux femmes dont l’horizon de la justice demeure bouché… Pourtant ils ne demandent pas l’impossible, mais la considération de leur douleur et la lumière sur des funestes événements qui leur ont ravi fils, frères, époux et pères. Même trois mille ans ne suffiront pas à effacer leur blessure : telle est la force du réel. Toutefois, ils n’aspirent qu’à une consolation, à une entreprise de courage qui les aiderait à soulager leur peine longtemps bafouée par ceux qui tiennent les rênes de l’État. La consolation n’est pas une solution, mais un succédané, voire un palliatif, elle permet tout simplement d’atténuer les affres de la blessure. Elle ne soigne pas. Elle rend l’absence habitable. Elle est la supplique de toute personne ayant perdu un être cher. « Que l’on incarcère, que l’on condamne au pilori tous les bourreaux », tel n’est pas leur souhait puisque cela ne leur rendra pas les vies qu’on leur a volées. Ils veulent simplement croire à nouveau à la fraternité, voir émerger de cette ombre une autre possibilité de vivre. Prêter une autre intention à l’action de ces victimes relèverait de l’incompréhension ou de la malhonnêteté […] Ils ne sont pas mus par le ressentiment. Pour les avoir côtoyés, je peux témoigner qu’ils sont d’une grande humanité.
Devrions-nous avoir à rappeler que ces femmes, ces hommes et ces enfants sont des êtres humains à part entière ? La formulation d’une pareille évidence aurait été d’une totale absurdité si la dignité de ces êtres n’était pas mise en cause.
Voilà le vrai problème : les morts sont jugés indignes de justice. On refuse aux victimes ce qui devrait leur revenir de droit. Il faudra alors laisser se prolonger la souffrance dans la chair de cette communauté telle une malédiction que seule l’ordalie saurait lever.
Force est de constater que dans ce pays, certains ont droit à la justice et d’autres n’y ont pas droit. Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand cette fracture pourra-t-elle perdurer sans déchirer définitivement le tissu social ? La vérité n’est pas une menace : elle est la condition même de toute paix véritable. Quand aurons-nous le courage de regarder ce pan non glorieux de notre histoire, non pour rouvrir les plaies, mais pour permettre enfin qu’elles cicatrisent ?
Ces plaies ne se referment pas dans l’ombre d’une amnésie volontaire, mais sous la caresse de la lumière, quand on leur ouvre le jour.
C’est seulement dans la confrontation lucide et courageuse que nous pourrons prétendre (re)faire société ensemble.
Salihina Moussa
Nouakchott le 07 novembre 2025
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